Des juges de la Cour supérieure fulminaient hier au palais de justice. On ne parlait que de « ça ».
Plusieurs ont le sentiment que le gouvernement Charest est en train d'utiliser le prestige de la Cour supérieure à des fins politiques et ils en sont carrément outrés.
Deux juges parmi les plus anciens de la Cour ont confié être renversés qu'on constitue une commission d'enquête dépourvue de pouvoirs de contrainte, incapable de donner l'immunité aux témoins.
« C'est un simulacre de commission d'enquête et jamais, je n'aurais présidé une chose semblable ! », dit l'un.
Il n'est pas le seul.
Impossible de faire un sondage scientifique, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que le sujet est hautement controversé au sein de cette cour de 160 juges. Un très grand nombre auraient refusé ce mandat et n'en font pas mystère.
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Pourquoi la juge France Charbonneau a-t-elle accepté de présider cette commission décriée par tout le milieu juridique ?
Parce qu'elle y croit, sans doute. Femme énergique et volontaire, pourquoi ne voudrait-elle pas faire avancer les choses et aboutir à un résultat socialement utile ?
Mais en aura-t-elle les moyens ?
On se demande qui voudra témoigner sans la protection de la loi et on réalise que personne ne sera nommé, encore moins blâmé dans ce rapport.
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Déjà, depuis longtemps, la présidence des commissions d'enquête est un sujet controversé chez les juges.
L'ancien juge en chef de la Cour suprême, Brian Dickson, était d'avis qu'un juge en exercice ne devrait pas présider une commission d'enquête.
C'est en effet par définition une bête politique, généralement créée par un gouvernement dans le pétrin.
Cette position radicale est minoritaire. La magistrature accepte que ses membres président des commissions, dont plusieurs ont fait des contributions historiques.
Mais pas n'importe lesquelles à n'importe quelles conditions !
En 2010, le Conseil canadien de la magistrature, gardien de la déontologie des juges, a publié un « protocole » pour guider les juges à ce sujet.
Pourquoi ? Parce que l'indépendance des juges et la crédibilité de l'institution judiciaire sont en jeu. Si elles servent à éclairer un problème
d'intérêt public et à y trouver des remèdes, fort bien. Mais si, au contraire, l'opération sert à se débarrasser d'un problème embarrassant en le passant à une commission d'enquête sans pouvoir, c'en est une autre...
Ainsi, le Conseil recommande d'examiner « attentivement et en temps utile la loi autorisant l'enquête et le décret énonçant le mandat ».
À l'heure actuelle, on sait que la commission n'est pas créée en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête, mais uniquement d'un décret.
Il faut se méfier aussi des tentatives de « limiter une enquête au moyen de modalités particulières ».
Qu'a-t-on fait ici sinon limiter le pouvoir d'enquête de la commission en lui enlevant la capacité de contraindre les témoins ?
Plus il y a de restrictions, plus il faut se méfier, dit ce document.
Les commissions d'enquête, qui ont jalonné l'histoire du pays, n'ont d'intérêt que si elles sont indépendantes et si elles ont les moyens de découvrir la vérité avec crédibilité. Elles ont un but pédagogique et préventif.
La commission Charbonneau sera certes indépendante : elle établira son budget, choisira son personnel et prendra ses décisions.
Mais sans les outils classiques de découverte judiciaire des faits.
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Le danger de cette manoeuvre, c'est une instrumentalisation de la magistrature par le gouvernement.
Qui paiera le prix si cette commission n'arrive pas à s'affirmer ? Jean Charest, bien sûr. Mais également la juge Charbonneau, qui ne l'a pas mérité, et qui a accepté ce mandat en toute bonne foi.
C'est une sorte de piège politique qui a été tendu ici, au mépris de deux institutions.
D'abord, la commission d'enquête, jusqu'ici censée être un outil puissant de gestion des déviances politiques, policières ou autres.
Ensuite la Cour supérieure. Sans doute soucieuse de contribuer à la résolution d'une crise sociale et politique, elle ne manquera pas d'être égratignée si la chose tourne en eau de boudin. Son indépendance sera remise en question et ce n'est jamais bon.
Rappelons-nous la commission Bastarache, où Jean Charest a utilisé le prestige de cet ancien juge de la Cour suprême pour s'attaquer à un homme, mais sous couvert d'étudier la nomination des juges.
Nul doute que le commissaire Bastarache a voulu contribuer à l'amélioration du système - plusieurs de ses recommandations ont été suivies d'ailleurs.
Mais ce fut au prix d'attaques de toutes sortes, souvent injustes, qui auraient dû être dirigées vers Jean Charest.
Cette fois-ci, c'est plus grave encore.
C'est l'équivalent d'une attaque frontale contre deux institutions démocratiques fondamentales.
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Malaise à la Cour supérieure
Le danger de cette manoeuvre, c'est une instrumentalisation de la magistrature par le gouvernement.
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