Le premier ministre Jean Charest en conférence de presse la semaine dernière, au moment où il annonçait la création de la commission d’enquête présidée par la juge France Charbonneau.
Photo : Agence Reuters Mathieu Bélanger
Rarement au Québec un chef de gouvernement a-t-il fait montre, comme Jean Charest, d'autant de cynisme envers les institutions — y compris la justice — et les fournisseurs de l'État, voire son propre groupe politique. Chose non moins inquiétante, parmi ses mandarins, nul ne s'est opposé, quitte à démissionner, au simulacre d'enquête qu'il a jeté en pâture au peuple. Que reste-t-il donc, en haut lieu, de la conscience professionnelle, du respect du public et du souci de la réputation du Québec?
Quels conseillers, en effet, ont pris part à l'élaboration et à la validation du décret 1029 créant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction? Fourberie, incompétence, pleutrerie? Comment a-t-on pensé leurrer les gens en inventant une formule qui, sous prétexte d'«enquêtes policières», n'allait ni blanchir les maires et entrepreneurs honnêtes ni démasquer les profiteurs des «stratagèmes» appréhendés?
Cour supérieure, Barreau du Québec, services de police ont failli tomber dans le piège. Mains juges n'ont pas été, il est vrai, dupes de la manoeuvre, mais leur devoir de réserve les empêchait de la fustiger. Heureusement, juge retraitée de la Cour d'appel, Louise Otis était libre de débusquer cette commission «sur mesure». Elle l'a fait en termes clairs, à l'honneur de la magistrature.
«Si on m'avait donné le décret 1029, a-t-elle commenté, j'aurais tout de suite dit "mais ce n'est pas une commission d'enquête!". Les deux tiers des pouvoirs de la Loi sur les commissions d'enquête ont été émasculés.» Elle n'aurait pas présidé un «comité de recherche des faits». Car, dit-elle, il lui aurait été impossible d'accomplir la mission que les Québécois auraient attendue d'elle: «connaître le système qu'on dénonce et savoir s'il y a moyen de le démanteler».
Certes, devant l'ampleur de la crise, le juge en chef, François Rolland, et sa collègue, France Charbonneau, ont pu céder au plan du gouvernement, qui prétendait ajouter aux moyens d'y remédier. Le même jour, le bâtonnier, Louis Masson, dans un premier commentaire, s'était lui aussi laissé entraîner dans la logique «complexe» choisie par le chef du gouvernement. Il fallait, a-t-on cru, mettre en oeuvre «un ensemble de moyens».
«La commission d'enquête annoncée aujourd'hui, a d'abord déclaré Me Louis Masson, est l'un de ces moyens, mais il faut aussi compter sur le travail policier, sur de possibles révisions d'instrument juridiques, si ceux-ci s'avèrent nécessaires et sur la formation et la rétention des expertises dans le secteur public. Il n'y a pas de solution miracle, ajoutait-il. Éradiquer la collusion et la corruption demande la collaboration de tous.»
Or, deux jours après, le comité exécutif du Barreau rectifiait le tir.
«Au terme de notre première analyse, explique désormais son bâtonnier, nous ne pouvons avaliser complètement cette commission, puisque trop de questions demeurent en suspens. Le gouvernement a fait un pas important en acceptant de créer une commission d'enquête, il doit maintenant lui donner les moyens d'atteindre les résultats visés.» Ces précautions oratoires formulées, l'ordre des avocats attaque la principale mesure du décret 1029.
Il exprime de «vives inquiétudes» sur le fait que «cette commission ne puisse accorder d'immunités et qu'en conséquence, elle ne puisse contraindre à témoigner». Son communiqué en donne la raison: «Pour que les témoins n'aient pas peur de s'y présenter et de dire la vérité, il faut être en mesure de les contraindre à témoigner.» Qu'un premier ministre et un titulaire de la justice, avocats de surcroît, aient méconnu cette évidence en dit long sur la piètre conception qu'ils ont de leurs responsabilités.
La suspicion
Après avoir été contredit par la communauté juridique, puis par des organismes policiers, et avoir vu sa commission «sur mesure» rejetée par l'opinion publique, le chef libéral aura trouvé un ultime expédient. Devant 2000 congressistes libéraux auxquels lui-même et tout l'appareil du parti avaient invoqué l'empêchement juridique, le premier ministre promettait d'accorder à la commissaire France Charbonneau les pouvoirs qu'il lui interdisait la veille.
Ce développement aura été accueilli avec soulagement chez les militants libéraux. Mais entre-temps la suspicion du public à l'endroit du PLQ s'est répandue, tout comme s'est alourdie l'humiliation des maires, entrepreneurs, fonctionnaires, ingénieurs et autres professionnels, globalement suspects de complaisance ou de complicité avec des profiteurs aux moeurs mafieuses.
Ce désastre moral n'épargne presque aucun milieu, et de moins en moins d'institutions. Qu'un leadership aussi usé en soit à préparer des élections — plutôt que de laisser à d'autres Québécois la direction du gouvernement — dépasse l'entendement. Les libéraux ne comprennent-ils pas la réprobation sans appel, rarement vue au Québec, que les sondages laissent prévoir? Le PLQ craignait, dit-on, une enquête qui risquait d'entraîner sa disparition. Son sort paraît pourtant déjà scellé, avant même que la commission n'ait commencé.
Pire, le cabinet Charest a tellement laissé pourrir les choses qu'aucun autre parti politique n'est jugé capable, semble-t-il, de faire le nettoyage qui s'impose. La perte de confiance, en effet, n'épargne ni le Parti québécois, hier une équipe de gouvernement, ni Pauline Marois, sa chef. Quant au prochain parti censé naître de la Coalition pour l'avenir du Québec, en tête dans les sondages, il est loin encore d'obtenir l'appui d'une majorité.
Voilà le genre de crise qu'une société démocratique ne peut pas résoudre, sauf par des moyens exceptionnels. Ce remède ultime et douloureux, que la classe politicienne s'en accommode ou pas, porte un nom: commission d'enquête publique.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
Commission Charbonneau
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