Les magistrats lui ont donné un nom de code à la Tolkien, le Monde du milieu ("mondo di mezzo"), comme pour dire l'abysse en face duquel ils se trouvent. Egalement surnommé Mafia capitale, le groupe mafieux démantelé le 4 décembre est de nouveau à la une des quotidiens italiens.
Accusé d'avoir contrôlé des appels d'offres dans la capitale italienne et détourné des fonds publics, le réseau touche des dizaines de personnes, parmi lesquelles des chefs d'entreprise, des fonctionnaires et des hommes politiques – dont l'ancien maire de Rome entre 2008 et 2013, Gianni Alemanno. Plus de 30 personnes ont été arrêtées et 39 autres font l'objet de poursuites.
Un petit piston
Chaque jour, de nouvelles révélations montrent l'ampleur du scandale et le niveau de corruption atteint. Elles permettent aussi de mieux comprendre comment était organisé le réseau. "Dans le Monde du milieu, il y a toujours la bonne personne à qui demander une faveur, un petit service, un piston. Mafia capitale pouvait se targuer d'un énorme réseau de contacts auxquels s'adresser pour suivre pas à pas la procédure d'un appel d'offres, pour soigner les intérêts d'un 'ami' ou seulement pour avoir des informations. De la préfecture au vicariat apostolique en passant par l'entourage de la présidence de la République, l'avantage de tous ces contacts est toujours le même : favoriser les affaires de la bande qui, la plupart de temps, impliquent aussi l'administration publique. Comme ce fut le cas pour l'appel d'offres concernant la gestion du centre de demandeurs d'asile, le Cara di Castelnuovo di Porto, à 30 kilomètres de Rome, capable d'accueillir jusqu'à 650 migrants. Une poule aux œufs d'or, estimée à 20 millions d'euros", résume La Repubblica dans son édition du 9 décembre.
Le chef de la bande : un ex-terroriste
D'après les magistrats, rapporte Il Post, le chef de ce vaste réseau mafieux est l'ex-terroriste d'extrême droite Massimo Carminati qui, grâce à des liens noués dans l'entourage de l'ex-maire de Rome – lui-même ancien membre du Mouvement social italien (MSI, néofasciste) –, se serait infiltré dans divers appels d'offres en faveur d'entreprises ou de structures amies.
"L'autre personne au centre de l'enquête, écrit le site d'information, est Salvatore Buzzi, 59 ans, ancien militant de l'extrême gauche italienne. Après un passage en prison, Buzzi fonda "29 Giugno' (29 juin), une coopérative d'ex-prisonniers. "Au fil des ans et grâce à la corruption d'hommes politiques, Buzzi a fini par devenir le directeur d'un consortium de coopératives qui géraient quelques camps de Roms, des centres d'accueil pour immigrés et des espaces verts."
"Tu n'as pas idée combien on gagne sur le dos des immigrés"
Le 8 décembre, la majorité des quotidiens italiens revenaient sur l'hypothèse d'un enrichissement illicite de l'ancien maire de Rome. "Alemanno, à Buenos Aires, avec des valises pleines d'argent", titrait lundi Il Sole-24 Ore. "Alemanno a fait quatre voyages, accompagné de son fils, avec des valises remplies de billets." Cette phrase interceptée dans une conversation téléphonique par les carabiniers antimafia a été prononcée le 31 juillet par Luca Odevaine, ex-chef de cabinet de Walter Veltroni (maire de Rome de 2001 à 2008), écrit La Repubblica.
Luca Odevaine, arrêté le 4 décembre et lui-même accusé de corruption aggravée, était, jusqu'à son arrestation, membre de la coordination nationale pour les réfugiés. Il est lui aussi l'un des personnages clés de l'affaire. En collaboration avec Salvatore Buzzi, il aurait mis en place ce que les quotidiens italiens appellent le "système Odevaine" : il gonflait les chiffres sur le nombre d'immigrés dans les centres d'accueil gérés par Buzzi pour obtenir davantage de subventions et de budget de fonctionnement, explique La Stampa.
Luca Odevaine, de son côté, encaissait des pots-de-vin sur les comptes bancaires de sa femme et de son fils. Dans une autre conversation téléphonique interceptée par la police, Salvatore Buzzi se vante de ce système lucratif : "Tu n'as pas idée de combien on gagne sur le dos des immigrés. Le trafic de drogue est moins rentable."
Le réseau démantelé était particulièrement bien structuré, aussi bien qu'un holding ou une grande entreprise, analyse le quotidien économique Il Sole-24 Ore. "Chez Mafia capitale, on est au-delà des canons habituels du réseau mafieux avec des avantages réciproques et une force d'intimidation propre à l'association de malfaiteurs qui pollue le marché et la concurrence. Carminati et ses associés étaient puissants : ils payaient et s'enrichissaient grâce à un cadre politique, bureaucratique et entrepreneurial qui les soutenait, les favorisait ou les subissait. Une entreprise mafieuse moderne, solide et en croissance constante."
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