(Québec) Le gouvernement Marois va abandonner un autre de ses engagements de campagne électorale. Déposée la semaine prochaine, sa refonte de la Charte de la langue française ne soumettra pas l'accès aux collèges anglophones aux dispositions de la loi 101, a appris La Presse.
Ce virage était prévisible: depuis le début, Pauline Marois était personnellement opposée à cette mesure susceptible d'alimenter une nouvelle controverse. Ce coup de barre sera facile à expliquer à l'aile plus radicale du parti: le gouvernement tient à souligner qu'il a bien pris acte du verdict des électeurs. Il a mis de l'eau dans son vin sur la question de la taxe santé, sur le dégel du bloc patrimonial d'Hydro-Québec, sur les redevances exigées aux minières. Il en ira de même dans le dossier potentiellement explosif de la Charte de la langue française.
Ces orientations sur le projet de loi de la ministre Diane De Courcy, responsable du dossier linguistique, doivent être abordées aujourd'hui, lors de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, a appris La Presse. Le projet de loi sera déposé la semaine prochaine à l'Assemblée nationale, pour consultation au début de 2013.
Au congrès du printemps 2011, l'aile plus radicale du PQ, aiguillonnée par Pierre Curzi, ex-député de Borduas, avait fait entrer dans le programme du PQ l'application de la loi 101 pour les collèges anglophones, une mesure qu'avaient combattue, en leur temps, Lucien Bouchard et Bernard Landry. Par la suite, le président du PQ, Raymond Archambault, avait confié à des députés péquistes que cette intention ne serait pas retenue dans la plate-forme électorale du parti. Peinant alors à rester à la tête du PQ, Mme Marois avait consenti à contrecoeur à maintenir cette décision.
Interdire aux allophones et aux francophones le droit de fréquenter le cégep en anglais pose des problèmes légaux; il s'agit d'étudiants majeurs, qui pourraient plaider que c'est une atteinte à leurs droits. Parmi les nombreux adversaires de ce projet, la Fédération des cégeps a aussi mis de l'avant des statistiques qui démontrent que la situation n'est pas alarmante. Les cégeps ne relèvent pas de la Loi sur l'instruction publique, comme les écoles primaires et secondaires, mais bien de l'enseignement supérieur - l'admission aux universités n'est pas soumise à la loi 101.
Français au travail
Du côté de la francisation des entreprises de moins de 50 employés, Québec ira de l'avant, mais avec précaution. Certains types d'activités ne seront pas soumis à des contraintes aussi lourdes. Déjà, l'Office québécois de la langue ne parvient pas à appliquer la loi existante auprès des 6000 grandes entreprises, confie-t-on dans le milieu. Et en période de lourdes compressions budgétaires, l'heure n'est pas au déploiement d'effectifs supplémentaires.
Pour appuyer cette intention du gouvernement Marois, toutefois, l'Office a fait paraître hier une étude qui tombait à point nommé. À partir de données du recensement et d'un sondage de Léger Marketing de 2010, l'organisme conclut qu'après une nette progression de 1971 à 1989, l'usage du français au travail a connu un léger recul entre 1990 et 2010.
Surtout, le bilinguisme au travail, à Montréal notamment, est en augmentation, souligne-t-on. Pour Louise Marchand, présidente de l'OQLF, «l'utilisation de l'anglais au travail varie; on peut l'utiliser un peu, beaucoup ou passionnément, mais il y a quand même 63% des gens dans l'ensemble du Québec et 82% à Montréal» qui ont à travailler du moins en partie en anglais. «Cela allume un feu jaune, il faut s'assurer d'un équilibre entre le droit de travailler en français et les obligations des employeurs», a dit Mme Marchand dans un entretien à La Presse.
À 89%, les Québécois utilisent majoritairement le français au travail - sept points de plus qu'en 1971. C'est aussi un recul de deux points par rapport au sommet de 1989.
Bilinguisme
Sur la progression du bilinguisme, Mme Marchand explique que cela s'inscrit dans un contexte d'intensification des échanges internationaux: l'anglais occupe une place importante dans tous les pays.
La ministre De Courcy a soutenu qu'«entre 1989 et 2010, il semble qu'on glisse vers l'anglais, vers la bilinguisation des milieux de travail. C'est très clair que la langue de travail sera touchée». Elle ajoute que cette tendance à la baisse «nous force à agir afin de protéger les dernières avancées du français réalisées depuis la fin des années 80». Pour le président du Conseil du patronat, Yves-Thomas Dorval, il faut se garder de comparer les études «aux différentes méthodologies» comme le fait l'Office. «Ce qu'on vit au Québec n'est pas une bilinguisation, mais un ralentissement par rapport au passé» a-t-il dit à La Presse.
Ancien cadre d'Imperial Tobacco à Londres, M. Dorval souligne que le bilinguisme est répandu en Europe non anglophone. «Je ne pense pas que le bilinguisme soit inhérent au Québec, et surtout pas que ce soit un ennemi. Au contraire, c'est un atout à cultiver!» Pour lui, il serait difficile d'appliquer sans nuances aux entreprises plus modestes des dispositions sur les certificats de francisation des grandes sociétés.
D'ailleurs, l'Office observe dans son étude que l'usage du français est plus répandu dans les entreprises de moins de 50 employés que dans celles qui en comptent davantage.
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