Les gouvernements canadien et britannique ont plaidé lundi la cause de Bombardier devant un tribunal commercial américain dans l’espoir de faire renverser la menace de sanctions qui pèse sur ses appareils de la CSeries au sud de la frontière canadienne.
Devant la Commission internationale du commerce des États-Unis, l’ambassadeur du Canada à Washington, David MacNaughton, a fait valoir que les droits compensateurs et antidumping de 300 % que se propose d’imposer le département américain du Commerce aux avions du fabricant montréalais étaient illégitimes pour plusieurs raisons. Il a notamment estimé que les torts que dit subir le concurrent et plaignant américain, Boeing, tiennent pour le moment uniquement de la spéculation et de la conjecture rendant sa plainte irrecevable aux yeux non seulement du droit américain, mais également des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a ajouté que, jusqu’à présent, la Commission n’a pas de preuve que les avions de la CSeries seront exportés sur le territoire américain, que Boeing n’a même pas de modèle à offrir sur le marché des appareils de 100 à 150 sièges et que même s’il venait à un éventuel client l’idée de choisir un appareil plus gros que ses besoins, son carnet de commandes rempli pour les sept prochaines années l’empêcherait de répondre à la demande. De plus, infliger des sanctions commerciales contre Bombardier équivaudrait à s’en prendre à des travailleurs américains, 23 000 d’entre eux étant liés au programme de la CSeries dans neuf États américains.
Bombardier a essentiellement offert des avions neufs au prix d’avions usagers
Kevin McAllister, président et chef de la direction de la division Avions commerciaux de Boeing
L’ambassadeur canadien était accompagné par son homologue britannique, Kim Darroch, venu défendre les milliers d’employés de Bombardier en Irlande du Nord où sont fabriquées les ailes de la CSeries. Outre les arguments déjà évoqués, ce dernier a dénoncé l’hypocrisie de Boeing qui se plaint du coup de pouce des gouvernements reçu par ses concurrents tout en acceptant elle-même des milliards en aide à travers toutes sortes de programmes des pouvoirs publics.
Aux journalistes venus entendre sa déposition, l’ambassadeur canadien, David MacNaughton, a expliqué par la suite que la rhétorique protectionniste du président Donald Trump et d’autres voix aux États-Unis encourage les compagnies américaines à se lancer dans une guérilla commerciale qu’elles n’auraient pas osé entreprendre normalement.
En guise de représailles, Ottawa a récemment annoncé qu’il préférait acheter à l’Australie des F-18 usagés plutôt que 18 avions de chasse CF-18 Super Hornet de Boeing neufs en attendant de renouveler complètement sa flotte. Le gouvernement fédéral a aussi fait savoir que l’un des critères qui détermineront son choix pour cet immense contrat à venir sera l’attitude des compagnies intéressées à l’égard de l’industrie canadienne.
Tricheur !
Boeing n’a pas manqué de défendre son point de vue devant les juges. Son président et chef de la direction de la division Avions commerciaux, Kevin McAllister, a déclaré que l’aide publique à Bombardier lui conférait non seulement un avantage déloyal sur un marché qui pourrait intéresser le géant américain, mais qu’elle lui permet déjà de lui voler des ventes. Il a raconté notamment que le transporteur américain Delta s’apprêtait, l’an dernier, à lui acheter des avions usagés lorsque Bombardier est débarqué avec ses nouveaux appareils de la CSeries et lui a raflé le contrat sous le nez. « Bombardier a essentiellement offert des avions neufs au prix d’avions usagers, et cela a fonctionné. »
« Boeing fabrique les meilleurs avions au monde, mais il ne peut pas compétitionner une compagnie qui bénéficie de l’appui et du financement des gouvernements », a-t-il dit.
Aux prises avec l’explosion des coûts et des délais de développement de sa nouvelle famille d’appareils, Bombardier a notamment reçu en 2015 du gouvernement du Québec 1 milliard $US en échange d’une prise de participation de 49,5 % dans le programme. Mis de nouveau en difficulté par les menaces de sanctions commerciales américaines, l’avionneur montréalais a fait cadeau, il y a deux mois, à son autre concurrent, Airbus, de la majorité des actions de la CSeries en échange de son expertise et de son réseau de vente, faisant reculer son propre poids dans l’actionnariat à 31 % et celui de l’État québécois à environ 19 %. Afin de contourner les sanctions commerciales américaines, Airbus a proposé au même moment que les appareils de la CSeries destinés à ce marché soient assemblés à son usine en Alabama, plutôt qu’à Montréal comme les autres. Cette nouvelle chaîne d’assemblage apporterait de 400 à 500 emplois directs aux États-Unis, des milliers d’autres indirects ou induits et environ 300 millions en nouveaux investissements, estime Bombardier.
Selon Boeing, cette idée d’usine aux États-Unis n’est qu’une « ruse » et les sanctions imposées par Ottawa dans les contrats d’avions de chasse sont une autre preuve de l’implication des gouvernements derrière Bombardier.
Guerre des nerfs
La décision de la Commission internationale du commerce des États-Unis est attendue le 9 février.
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