Le 25 mars 1994, la nouvelle présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay, se présentait à la porte du Salon rouge de l'Hôtel du Parlement pour y dévoiler les prévisions de dépense du gouvernement de Daniel Johnson.
À l'époque, Mme Gagnon siégeait déjà au Conseil des ministres depuis près de neuf ans. Encore aujourd'hui, l'entente sur l'immigration qu'elle avait signée avec son homologue fédérale, Barbara McDougall, est périodiquement citée en exemple du fédéralisme d'ouverture.
Pourtant, à sa grande déconvenue, l'agent de sécurité posté devant le Salon rouge ce jour-là avait refusé de la laisser entrer. Il avait fallu que les journalistes attestent son identité pour qu'il accepte finalement de lui céder le passage.
Il est vrai que Mme Gagnon-Tremblay n'est pas la ministre la plus spectaculaire du gouvernement Charest, même si son retour au Conseil du trésor risque de la placer sous les feux de la rampe plus souvent qu'à son tour au cours des prochains mois, à la faveur des négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.
Après vingt-cinq ans en politique, il est tout de même remarquable qu'un Québécois sur deux (49 %) ne sache toujours pas qui elle est, selon le baromètre des personnalités politiques de Léger Marketing dont Le Devoir publie aujourd'hui les résultats. Qui plus est, parmi les 51 % qui disent la connaître, 18 % sont incapables de se faire une opinion sur son travail.
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Le cas de Mme Gagnon-Tremblay est loin d'être exceptionnel. On peut toujours s'expliquer que 70 % ne connaissent pas la ministre de la Justice, Kathleen Weil, qui a fait son entrée à l'Assemblée nationale il y a tout juste un an.
Il est plus étonnant que son collègue de la Sécurité publique et leader parlementaire du gouvernement, Jacques Dupuis, qui siège à Québec depuis 1998 et donne presque quotidiennement le spectacle d'une mauvaise foi triomphante, demeure un parfait inconnu pour la moitié de la population. Soit, Yves Bolduc n'impressionne personne à la Santé, mais on le voit à la télévision tous les jours. Est-il normal que 39 % des Québécois ignorent qui il est?
Si l'on exclut Jean Charest, Pauline Marois, Amir Khadir et, dans une moindre mesure, Louise Beaudoin, force est de constater que la popularité des personnalités politiques les plus estimées a peu à voir avec leurs fonctions actuelles, mais beaucoup avec leurs activités antérieures.
Si Pierre Curzi est le plus apprécié de tous les membres de l'Assemblée nationale, tous partis confondus, il le doit moins à ses plaidoyers en faveur d'une plus grande affirmation de l'identité québécoise qu'à son passé de comédien.
Personne ne pourrait soutenir sérieusement que la performance de Marguerite Blais à titre de ministre responsable des Aînés explique son cinquième rang. C'est plutôt à l'ancienne animatrice de télévision que la population demeure attachée. On peut dire la même chose des anciens journalistes que sont Bernard Drainville, Christine St-Pierre et Gérard Deltell. Leur carrière politique est beaucoup trop récente pour justifier le taux de notoriété et de popularité enregistré par Léger Marketing.
Il suffit de comparer avec le cas de Sylvain Simard, qui est député de Richelieu depuis 1994 et a occupé des ministères aussi prestigieux que les Relations internationales, l'Éducation et le Conseil du trésor. Pourtant, pour deux Québécois sur trois (64 %), il demeure un simple quidam.
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Un exercice comme celui-là est toujours mortifiant pour la classe politique qui, enfermée dans sa bulle, a souvent l'impression que le monde gravite autour d'elle. Parmi les membres du gouvernement Charest, 13 sont inconnus de plus de 55 % de la population, parfois même de plus de 75 %. Si l'on ajoute ceux qui se disent incapables de se faire une opinion sur son travail, il serait à peine exagéré de parler de ces parfaits inconnus qui nous gouvernent.
Cela rend le cas d'Amir Khadir d'autant plus remarquable. Unique représentant de Québec solidaire à l'Assemblée nationale, le député de Mercier ne risque pas de souffrir de l'usure du pouvoir, mais sa popularité n'en est pas moins étonnante, compte tenu du peu d'intentions de vote dont son parti est crédité (7 %). Cela rappelle Mario Dumont, que l'on estimait d'autant plus qu'il était seul de son camp. Les Don Quichotte plaisent toujours.
Le Québec ne constitue sans doute pas une exception. Des coups de sonde comme celui de Léger Marketing donneraient sans doute des résultats analogues dans les autres provinces, où la classe politique n'a pas davantage la cote.
Certains diront que la conjoncture, plutôt déprimante, n'est pas de nature à stimuler l'intérêt pour la chose publique, mais la faible notoriété de nos gouvernants n'est pas un phénomène nouveau.
L'extrême concentration du pouvoir — et de l'attention médiatique — autour du chef n'incite peut-être pas à s'intéresser aux seconds violons, mais elle peut aussi favoriser une certaine paresse citoyenne. Finalement, certains ne sont peut-être pas si mécontents de rester dans l'ombre.
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mdavid@ledevoir.com
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