Un sondage réalisé par la firme Angus Reid de Toronto en fin de semaine nous apprend que les Québécois continuent, même après le témoignage de Jean Charest la semaine dernière, à accorder davantage de crédibilité à celui de Marc Bellemare, dans une proportion de 3 pour 1 (51 % c. 17 %).
Commençons par souligner que les chiffres d’Angus Reid, s’ils sont tout de même très révélateurs de l’état d’esprit des Québécois, doivent cependant être relativisés.
Tout d’abord, l’échantillon n’est que de 804 personnes, alors que les sondages généralement réalisés au Québec par nos maisons spécialisées utilisent plutôt des échantillons de 1000 personnes, ce qui a pour effet de réduire la marge d’erreur. Ensuite, si l’on tient compte de la marge d’erreur indiquée par le sondeur, les résultats sont, à toutes fins pratiques, inchangés depuis le sondage précédant. Enfin, la maison Angus Reid n’est pas celle qui a le plus d’expérience dans l’interprétation des données québécoises.
Notons aussi en passant que La Presse ne semble plus utiliser les services de CROP depuis un certain temps. De l’eau dans le gaz?
Cela dit, la conclusion la plus importante qui se dégage de ce sondage est que Jean Charest, même en mobilisant tout le prestige de sa fonction, même en nommant une commission d’enquête à sa botte, même en jouissant d’un avantage important sur le plan de la visibilité, n’est pas parvenu à entamer de façon significative la crédibilité du témoin Marc Bellemare.
Ici, il devient important de distinguer les conséquences sur le plan politique des conséquences sur le plan juridique.
Sur le plan politique, pour Charest, les carottes sont cuites. Jamais il ne parviendra à renverser la vapeur, et tout espoir pour lui d’éviter la tenue d’une commission d’enquête à la portée plus large est désormais évanoui.
Les observateurs évoquent souvent le précédent de la Commission Gomery pour justifier le refus de Jean Charest de déclencher une commission d’enquête sur un enjeu plus large tel que la corruption dans l’industrie de la construction. Et si le précédent qui aurait davantage marqué l’esprit de Charest ne serait pas plutôt celui de la Commission Oliphant, chargée de faire enquête sur les liens entre l’ex-premier ministre Brian Mulroney et l’homme d’affaires allemand Karl-Heinz Schreiber dans le dossier Airbus ?
On se souviendra que malgré tous les efforts faits par le gouvernement Harper pour circonscrire le mandat de la Commission, celle-ci était tout de même parvenue à établir que Mulroney avait reçu de Karl-Heinz Schreiber PLUSIEURS CENTAINES DE MILLIERS DE DOLLARS EN ESPÈCES LIQUIDES pour ses bons offices dans quelques dossiers actifs alors qu’il était premier ministre.
Sans aller jusqu’à prétendre que Charest est aussi crapuleux que Mulroney, il faut tout de même reconnaître qu’ils sont tous les deux des produits de la même culture politique et qu’ils étaient, et sont encore, des proches, si l’on en juge par la présence de Brian Mulroney aux funérailles du père de Jean Charest.
Sur le plan juridique, la situation est plus délicate car elle se joue sur deux théâtres d’opération simultanément, celui de la Commission Bastarache et celui du procès en dommages intenté par Jean Charest contre Marc Bellemare, auquel se greffe la demande reconventionnelle de Marc Bellemare.
En droit, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans un article précédent, un témoignage affirmatif a plus de force probante qu’un témoignage négatif. Et dans ce cas-ci, le témoignage affirmatif de Marc Bellemare est corroboré par celui de Georges Lalande.
Le commissaire Bastarache, lui-même un ancien juge à la Cour suprême du Canada, aura sûrement à l’esprit la situation ridicule dans laquelle il se trouverait s’il fallait que ses conclusions sur la crédibilité du témoignage Bellemare dans le cadre de la commission qu’il préside soient par la suite infirmées par celles d’un tribunal dans l’affaire Charest. C. Bellemare, que ce soit au stade de la Cour supérieure, en appel devant la Cour d’appel du Québec, ou pire encore, devant la Cour suprême du Canada.
Le pauvre commissaire Bastarache marche sur le fil d’un rasoir, ce qui explique sans doute l’air de plus en plus constipé qu’il affiche au fur et à mesure de la progression des travaux de la commission.
Sur le plan juridique, la situation de Marc Bellemare est délicate à ce stade-ci, non pas parce que sa cause est mauvaise, mais parce qu’il doit à tout prix éviter de s’aliéner encore davantage la sympathie des magistrats qui seront saisis de son affaire, car il faut bien comprendre que ce qu’il a dit jusqu’ici ne fait pas particulièrement bien paraître la magistrature.
Mais l’homme est rusé, il a plus d’un tour dans son sac, et il n’a pas dit son dernier mot. Déjà, ce matin, La Presse annonce que son épouse « aurait retrouvé » son agenda...
Jean Charest et la Commission Bastarache
Les Québécois continuent de privilégier la version Bellemare
Ici, il devient important de distinguer les conséquences sur le plan politique des conséquences sur le plan juridique.
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
29 septembre 2010Jean Charest ne se rappelle pas d'une rencontre qu'il aurait eu avec Marc Bellemare en 2003.
En 2003?
Comment voulez vous que Charest se rapelle d'une rencontre en l'an 2003 avec Bellemare quand il ne se rapelle meme plus qu'il nous as fait perdre récemment en 2008 plus de 40 millards avec les pressions indus que son gouvernement a exercer sur la caisse pour que la caisse aille chercher 1/4 de 1% de plus mais qui s'est solder par la plus grande catastrophe financiere que le Québec ai connu.
Charest nous avait prévenu une semaine avant d'aller chez Bastarache que sa mémoire était imparfaite ...mais quand même pas a ce point la j'espere
Jacques Bergeron Répondre
28 septembre 2010Qui peut croire Charest, lui qui a tenté d'influencer un juge en faveur d'un ami alors qu'il était député et ministre conservateur à Ottawa. Tout ce que peut dire cet individu n'est que mensonge en tout temps et en tout lieu depuis ce jour d'il y a plus de 20 ans. Un menteur sera toujours un menteur même s'il est devenu premier ministre ou président d'un État. Regarder agir le premier ministre Charest, et l'autre pupille de Paul Desmarais, un certain Nicolas Sarkozy, ne peut que confirmer cette opinion.
Archives de Vigile Répondre
27 septembre 2010Bonjour M. Le Hir
Dans la petite vie, Claude Meunier "Ding et Dong" a écrit une épisode farfelue au sujet des menteurs invétérés.
Si Chantal Landry ou John James Charest avaient porté le bracelet qui sonne à chaque mensonge, l'hilarité générale s'en serait suivie à la Commission Bastarache.
http://www.youtube.com/watch?v=Uxkff6Hz0fg
Claude Richard Répondre
27 septembre 2010Pourquoi n'a-ton pas pensé proposer à Jean Charest et à Marc Bellemare de subir le test du détecteur de mensonge? On le fait passer pour n'importe quelle petite affaire d'assurance; alors pour une affaire d'État comme le trafic d'influence, il serait d'autant plus important qu'on ait en main tous les éléments pour bien juger. Les "performances" de l'un et de l'autre ne masqueraient alors plus rien.
Mais j'ai bien l'impression que pour la commission Bastarache la vérité est secondaire. Ce qui compte, c'est de bien exécuter la commande et de réhabiliter le PM et de discréditer l'autre.