Washington -- La banque centrale et le Trésor américains multiplient les interventions pour contenir la crise économique et financière aux États-Unis, du jamais vu pour les analystes qui y lisent une redéfinition en profondeur du rôle des pouvoirs publics au pays du libre marché.
Dans ce feu d'artifice, la banque centrale (Fed) est en première ligne, et pas seulement pour la spectaculaire baisse de son taux directeur, ramené de 5,25 à 2,25 % depuis l'été. Son action la plus frappante a sans doute été le sauvetage de la banque d'investissement Bear Stearns le 14 mars, que la Fed a piloté en direct et où elle est engagée pour 30 milliards de dollars.
«Souvenez-vous du 14 mars: c'est le jour où le rêve d'un capitalisme de libre marché mondial est mort», soulignait cette semaine l'éditorialiste du quotidien économique Financial Times Martin Wolf. La logique aurait voulu qu'en économie de marché cette banque privée se retrouve en faillite. La sauver revient, soulignent les critiques, à nourrir l'«aléa moral» qui fait croire aux investisseurs qu'il y aura toujours une bouée de sauvetage publique. Le Trésor et la Fed ont surtout estimé, à tort ou à raison, qu'ils risquaient une implosion du système financier sans intervention.
Les autres mesures prises par la banque centrale sont plus techniques, mais pas moins innovantes. «La Fed a inventé un nouvel alphabet pour traiter les problèmes de liquidité du 21e siècle», estime Scott Anderson de la banque Wells Fargo, qui souligne qu'au total 400 milliards de dollars d'argent public ont été injectés dans le système financier en mars. La Fed a ouvert sa fenêtre d'escompte, normalement réservée aux banques commerciales, aux banques d'investissement; lancé de nouvelles facilités de crédit; et commencé à accepter des actifs risqués en garantie.
De son côté, le gouvernement agit aussi, même si ses mesures paraissent moins frappantes du fait de leur côté très technique. Les autorités ont assoupli mi-mars les règles de financement des organismes de refinancement hypothécaire, ce qui devrait permettre d'injecter 200 milliards de dollars sur le marché du crédit immobilier. Les réseaux régionaux chargés de fournir un financement à bas coût pour l'immobilier ont aussi bénéficié d'une réforme leur permettant d'apporter 100 milliards de dollars.
«On se souviendra des dix derniers jours comme d'une période où le gouvernement a jeté aux orties un demi-siècle de règles pour sauver le capitalisme américain de la chute», affirmait jeudi le Wall Street Journal.
Pour autant, il n'est pas sûr que ces mesures soient suffisantes, tant la crise paraît multiforme et profonde. Et après le sauvetage de Bear Stearns, les analystes s'attendent à une nouvelle salve, pour amortir notamment la crise immobilière. «Après avoir soutenu Wall Street avec l'argent du contribuable, les dirigeants auront beaucoup de mal à dire que les propriétaires en difficulté ne méritent pas d'être aidés», assure Richard Berner de Morgan Stanley.
Plusieurs pistes pourraient être explorées: du côté de la Fed, une baisse des taux jusqu'à ce qu'ils soient nuls, ou le rachat de titres du Trésor voire d'obligations d'entreprises; du côté politique, l'apport de garanties par l'administration chargée du logement, ou encore l'intervention directe du Trésor pour garantir des prêts ou vendre des obligations.
Beaucoup soulignent aussi que les États-Unis ne pourront faire l'économie d'un durcissement réglementaire une fois la crise finie. «Une nouvelle réglementation des institutions et financiers se profile», avertit M. Berner.
Les principes libéraux mis à mal par la crise
«Souvenez-vous du 14 mars: c'est le jour où le rêve d'un capitalisme de libre marché mondial est mort»
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