Quelques jours après la catastrophe ferroviaire de Lac-Mégantic, au milieu du mois de juillet dernier, Pauline Marois rencontre son Cabinet pour une réunion d’urgence. Autour de la table s’enclenche une discussion sur les sommes à accorder pour aider la municipalité dévastée. Quelques ministres débattent des programmes où il est possible de puiser. « On s’en fout ! » lâche la première ministre dans un éclat qui fige ses conseillers et ministres. Elle ordonne de débloquer l’argent. « Les programmes et la bureaucratie, ce sera pour plus tard. »
« On a senti qu’elle a vraiment pris en main le gouvernement à ce moment-là », explique une source péquiste présente à cette réunion. S’il faut déterminer un point à partir duquel le PQ a amorcé sa remontée, il se trouve dans la gestion de ce triste événement.
Pourtant, l’effet n’a pas été immédiat. Les intentions de vote ont peu bougé dans les semaines suivantes. Un sondage Léger-L’actualité mené au début d’août montrait que 64 % des Québécois n’avaient pas changé d’opinion sur le gouvernement — 19 % disaient que leur perception s’était améliorée et 8 % qu’elle s’était détériorée.
Le PQ a toutefois « freiné sa baisse », souligne le sondeur Jean-Marc Léger. « Les gens ont pensé : ils ne sont pas si mauvais que ça. La perception a commencé à changer. »
Depuis la victoire électorale de septembre 2012, la chute avait été constante pour les troupes de Pauline Marois. « Une année d’enfer », explique un conseiller de la première ministre.
Pendant des mois, l’improvisation des ministres, l’incohérence des actions du gouvernement (qui parlait de solidarité sociale, mais a réduit de 19 millions de dollars l’aide aux plus démunis), les reculs et les promesses non tenues (taxe santé, hausse des tarifs d’électricité) ont fait grimper le taux d’insatisfaction.
En avril 2013, le PQ récoltait à peine 25 % des intentions de vote, selon CROP, presque à égalité avec la Coalition Avenir Québec et loin derrière le Parti libéral du Québec, qui avait 13 points d’avance.
Un an plus tard, Pauline Marois est de retour, impatiente d’en découdre sur le chemin électoral. « C’est un revirement spectaculaire, explique Youri Rivest, vice-président de CROP. Habituellement, on voit une lune de miel après les élections, puis une lente érosion des appuis. Le PQ a fait l’inverse. »
Certains ont surnommé Pauline Marois la « dame de béton » en raison de sa résilience. On pourrait aussi la comparer à un chat, tant elle aligne les vies politiques — une légende égyptienne veut que les chats aient neuf vies, parce qu’ils trouvent toujours le moyen de survivre aux dangers.
Depuis 10 ans, elle a survécu à une défaite dans une course à la direction (2005), à une défaite électorale (2008), à un « putsch » de ses militants et de certains députés (2011) de même qu’à une première année très difficile au pouvoir.
La tragédie de Lac-Mégantic semble l’avoir fait retomber sur ses pattes. « La première ministre a trouvé le ton juste », explique Youri Rivest. Et les ministres, plus aguerris, se sont mis à jouer en équipe, à être plus disciplinés dans leurs communications. « Le contraste a été évident », soutient Jean-Herman Guay, politologue à l’Université de Sherbrooke.
Mais Lac-Mégantic n’est qu’un des trois éléments qui ont permis au PQ de rebondir.
Pauline Marois a décidé de ne plus courtiser le vote de gauche, grignoté par Québec solidaire depuis quelques années. Son virage vers le centre de l’échiquier, et même vers le centre droit, ne s’est pas démenti. « Elle chasse sur les terres de la CAQ, où il y a plus de potentiel de croissance qu’à gauche », affirme Jean-Herman Guay.
Un stratège péquiste confirme que « l’approche a changé ». « On était plus à gauche dans l’opposition, mais en arrivant au pouvoir, la réalité te frappe. »
Le gouvernement Marois a d’abord renoncé à hausser substantiellement les redevances minières, puis a appuyé l’inversion du pipeline 9B, d’Enbridge. Il a donné le feu vert à l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti et présenté deux budgets marqués du sceau de l’austérité, avec des hausses de tarifs et un contrôle des dépenses.
Même si la croissance économique est faible et que le Québec demeure en déficit budgétaire, Pauline Marois souhaite se présenter comme une bonne gestionnaire. « Il fallait un match nul sur l’économie contre nos adversaires pour espérer gagner les élections, explique un conseiller qui côtoie la première ministre. On a des chances d’y arriver. »
Le débat sur la Charte de la laïcité a également permis au gouvernement de dominer les échanges politiques sur un terrain plus favorable, celui de l’identité : il a coincé la CAQ, qui propose une position de compromis, et déstabilisé le PLQ, visiblement mal préparé à un débat aussi énergique.
Pauline Marois — qui a parfois paru mal informée dans ce débat, notamment sur le multiculturalisme en Angleterre — en a peu parlé, mais a donné son plein appui à son ministre Bernard Drainville, aucune faille n’apparaissant dans la détermination du gouvernement. Comme à Lac-Mégantic, le PQ a été moins hésitant que lors de sa première année au pouvoir.
Malgré les risques de dérapages, ce nationalisme plus conservateur a bien servi le PQ, constate Jean-Herman Guay. « Partout dans le monde, les nationalismes identitaires qui fonctionnent sont basés sur le “nous” et le “eux”. Sur le sentiment très fort que le “nous” est différent et qu’il faut se protéger. En ce sens, le PQ marque une certaine rupture avec le nationalisme postmoderne d’ouverture sur le monde qu’il véhicule depuis René Lévesque. »
Le débat sur la Charte a aussi permis à Pauline Marois de faire le plein d’appuis parmi les baby-boomers, davantage allergiques aux religions. Et traditionnellement, ces électeurs se rendent plus nombreux aux urnes, explique Jean-Marc Léger. « Chez les personnes de 45 ans et plus, le PQ est en avance sur le PLQ. Je n’ai jamais vu ça. Les jeunes sont moins favorables au PQ, ce qui peut représenter un danger à long terme, mais dans l’immédiat, le vote des plus âgés est plus solide. »
La campagne électorale n’est pas jouée, et il est fort possible que la multitude de sujets abordés donne un résultat serré le jour du scrutin, affirme Jean-Herman Guay. Mais il est indéniable que le PQ est en meilleure position qu’il y a un an.
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