Plus on apprend ce qui se passe derrière des portes closes à Ottawa, plus on réalise la proximité qui lie le gouvernement Trudeau à Facebook, Google et autres géants de la Silicon Valley.
Une proximité de plus en plus troublante au moment où un nombre grandissant de pays décide de se distancier de ces entreprises pour mieux les encadrer... mais pas le Canada.
Une proximité, ainsi, qui laisse planer un doute sur l'indépendance d'Ottawa et sur sa volonté de réglementer ces multinationales sans frontières qui menacent certains des plus importants piliers démocratiques du pays.
Il a beaucoup été question ces derniers mois du traitement préférentiel réservé à Netflix, qui n'a pas à facturer la TPS à ses abonnés comme les entreprises canadiennes. L'avantage concurrentiel est évident, et donc scandaleux. Surtout quand on apprend que l'entente qui consacre cette injustice restera confidentielle, de même que la quasi-totalité des échanges entre cette entreprise étrangère et le gouvernement !
Mais derrière cette injustifiable décision, prise à la suite de rencontres entre Netflix et la ministre Mélanie Joly, se cachent d'autres arrangements entre Ottawa et les géants du web.
Des arrangements alarmants dont les répercussions pourraient être plus graves encore, car ils touchent le coeur de l'écosystème démocratique du pays : les élections et les médias.
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Du côté du processus électoral, les menaces que posent Facebook et les autres réseaux sociaux sont bien réelles, comme on l'a vu aux États-Unis.
Un rapport récent de l'Agence canadienne d'espionnage électronique révèle qu'il est « fort probable » que le scrutin fédéral de 2019 soit perturbé par des cybermenaces et des opérations d'influence menées par l'entremise des réseaux sociaux.
La menace est d'autant plus sérieuse qu'une cyberattaque est déjà survenue lors des élections fédérales de 2015.
Or que fait le gouvernement Trudeau ? Il laisse Facebook s'occuper du problème à sa façon, en gros.
La réponse la plus précise au rapport de l'agence d'espionnage est en effet venue il y a quelques mois de la part de Facebook même, avec la connivence d'Ottawa.
L'entreprise a annoncé la création d'une « initiative de soutien à l'intégrité électorale au Canada » sous la forme de deux documents. Un « manuel du bon usage des médias sociaux » ainsi qu'un « guide en matière de cyber hygiène » à l'intention des partis et des candidats.
Autrement dit, le fardeau de régler les failles et problèmes de Facebook est mis sur le dos du gouvernement, des candidats, des élus, des citoyens, qui sont invités à être plus vigilants !
Cette annonce, soulignons-le, a été pilotée par Kevin Chan, le directeur des politiques publiques de Facebook, qui a été auparavant directeur des politiques au Parti libéral du Canada.
Une annonce, curieusement, qui a reçu l'assentiment de la ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, qui était présente en tant que simple panéliste. Elle s'est alors dite « heureuse » de voir Facebook « franchir un pas dans la bonne direction envers la protection de notre processus démocratique »...
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Le scénario est sensiblement le même pour les médias écrits.
Alors que les journaux vivent une crise sans précédent en raison du monopole qu'exercent Facebook et Google sur les revenus publicitaires, Ottawa s'est contenté jusqu'ici de hausser les épaules.
La ministre Mélanie Joly a certes reconnu l'existence de la crise dans sa politique culturelle. Mais le seul geste concret qu'elle a fait est la signature d'un partenariat avec Facebook !
À nouveau, le géant de la Silicon Valley a échappé à la réglementation et à l'encadrement du gouvernement en promettant « une initiative » et quelques milliers de dollars. Cette fois, la ministre responsable n'a pas été panéliste dans un événement privé. Elle s'est plutôt chargée elle-même de faire l'annonce du Facebook Journalism Project. Or cette initiative en partenariat avec l'Université Ryerson (qui n'a pas d'équivalent québécois ni de nom français) vise à « former les journalistes » et à « favoriser l'innovation dans les entreprises médiatiques ».
Autrement dit, Facebook se porte au secours d'une industrie qu'elle est en train de mettre à terre !
Elle menace l'emploi des journalistes, mais s'occupe de leur formation !
Elle prétend aider les entreprises de presse, mais se bat en parallèle contre les mesures fiscales qui pourraient les aider.
Et tout cela, avec la complicité du fédéral.
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Le constat est accablant. Alors que la planète se mobilise pour mieux encadrer ces multinationales, quitte à les attaquer devant les tribunaux, le gouvernement Trudeau leur tend plutôt la main.
Il signe des partenariats avec « les plateformes ». Il verse des millions en publicité à ces entreprises qui ne sont pas tenues de prélever les taxes de vente. Il assouplit les règles pour leur plaire. Il multiplie les ententes particulières, les rencontres et les échanges...
Le représentant de Facebook, Kevin Chan, a ainsi pu rencontrer plusieurs ministres du cabinet ces derniers mois, même si bien des chefs d'entreprise peinent à voir ne serait-ce qu'une fois leur ministre attitré.
Même chose pour Google. Ses représentants ont eu plus d'une trentaine de communications avec le gouvernement dont deux avec Justin Trudeau lui-même, et d'autres avec Leslie Church, la chef de cabinet de Mélanie Joly... qui a elle-même travaillé chez Google jusqu'en 2015.
Au moment où le gouvernement devrait se distancier de ces multinationales surpuissantes et monopolistiques... il se rapproche !
Au moment où on attend un encadrement plus serré pour protéger la différence culturelle canadienne et québécoise... il propose une autorégulation, voire une déréglementation tranquille. Comme si on demandait à Facebook de régler la menace qu'elle représente !
Et cela se fait en toute opacité, main dans la main avec ceux-là mêmes qui profitent des largesses réglementaires du gouvernement.
Seule lueur d'espoir : le gouvernement Trudeau a signifié ces derniers jours sa volonté d'aider les entreprises de presse, avant qu'il ne soit trop tard. On ne s'attaquerait toujours pas à la suprématie de Facebook ou à ses revenus, mais au moins, on aiderait les entreprises canadiennes à lui faire face en prenant le virage numérique.
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