Les Juifs du Québec, canadiens avant tout

Les "petites nations" dans le monde


Québec

Daniel Ben Simon

Ha'Aretz (Tel-Aviv)
Qu'ils soient francophones ou anglophones, séfarades ou ashkénazes, ils ne sont pas favorables à l'indépendance. C'est ce que notait l'un des grands quotidiens israéliens dans un reportage publié en 2004.
Je suis né au Québec et je suis anglophone. Je vis au Québec et je suis canadien. Et, en plus, je suis juif." La façon dont se définit Marc Gold, président national du Comité Canada-Israël, est emblématique des identités multiples avec lesquelles doivent jongler les Juifs de la province canadienne. Les deux référendums de 1980 et 1995 sur la souveraineté du Québec ont dérouté la communauté juive. "Je n'imaginais pas que j'aurais un jour à choisir entre être canadien ou citoyen du Québec, s'indigne Marc Gold. Je ne comprends pas pourquoi je devrais renoncer à l'une ou à l'autre de mes identités. Je me sens très québécois et très canadien aussi, et je ne vois pourquoi je devrais choisir."
Les Juifs ont immigré au Canada en deux grandes vagues. Les premiers sont arrivés d'Europe centrale et de l'Est à la fin du XIXe siècle, et se sont intégrés à la communauté anglophone. Les seconds sont venus d'Afrique du Nord, et plus particulièrement du Maroc, à partir des années 1950. Ces derniers ont beau être francophones, ils n'ont pas un instant envisagé de renoncer à leur identité canadienne pour se voir attribuer le privilège douteux de n'être plus que des citoyens du Québec. Cela explique pourquoi les Juifs, aussi bien francophones qu'anglophones, ont pris leurs distances avec les séparatistes québécois. "En ce sens, il n'y a aucune différence entre le vote ashkénaze et le vote séfarade", souligne David Bensoussan, l'un des dirigeants de communauté séfarade de Montréal, qui compte 25 000 personnes, soit le quart des 100 000 Juifs de la ville. "Les Ashkénazes ont fui le nationalisme européen pour se retrouver avec le nationalisme francophone du Québec. Les Séfarades ont fui le nationalisme arabe d'Afrique du Nord pour se retrouver en plein nationalisme québécois. C'est donc logique que nous ayons tous voté contre le séparatisme. Et pas seulement les Juifs. Tous les groupes immigrants de la province ont voté comme nous, assure-t-il. Mais il ne faut pas dramatiser. Malgré les aspirations souverainistes, nous nous entendons très bien, certainement mieux qu'en Suisse et en Belgique."
"Il n'est pas dans notre intérêt de nous séparer du Canada"
De fait, comme le souligne Marc Gold, "la plupart des Juifs vivent très bien au Canada". Les Juifs canadiens n'ont pas été confrontés à la montée du sentiment anti-israélien qui s'est répandu dans beaucoup de pays européens. Et si les médias locaux ont attaqué Israël pour la façon dont il a traité les Palestiniens pendant l'Intifada, ils l'ont fait sur un ton beaucoup moins virulent qu'en Europe.
Deux incidents sont toutefois restés gravés dans la conscience collective des Juifs canadiens. En 2003, des centaines d'étudiants, dont beaucoup étaient musulmans, ont empêché le ministre des Finances israélien de l'époque, Benyamin Nétanyahou, de prononcer un discours à l'université Concordia de Montréal. Puis, début 2004, la bibliothèque d'une école juive a été incendiée. Ces incidents ont provoqué une onde de choc dans la communauté, mais se sont avérés n'être que des épisodes isolés. Beaucoup de Juifs pointent un doigt accusateur vers les autorités québécoises, leur reprochant d'avoir manifesté leur sympathie pour les Palestiniens. D'autres disent qu'en réagissant de façon très mesurée à ces incidents les autorités ont cherché à s'attirer les bonnes grâces des centaines de milliers de musulmans qui se sont établis au Québec ces vingt dernières années.
Les incidents sporadiques dirigés contre la communauté juive n'ont pas entamé la foi de Marc Gold dans la solidité de la société canadienne. "Il n'y a aucun risque que la haine pénètre ici, mais je ne nierais pas que les Juifs sont de plus en plus inquiets. Nous n'avons pas l'habitude de voir des policiers et des agents de sécurité postés devant les écoles juives et les synagogues. On a aussi du mal quand on entend à la radio tous ces auditeurs qui appellent pour parler de l'argent des Juifs, de l'influence des Juifs."
Le mouvement séparatiste québécois inquiète pourtant davantage Marc Gold que la tension qui s'est emparée de la communauté juive. En 1995, le Premier ministre québécois de l'époque, Jacques Parizeau, avait attribué la défaite de l'option souverainiste à "l'argent et [au] vote ethnique". "Je n'oublierai jamais cette période", raconte le peintre Max Benchetrit, qui a émigré du Maroc au Canada en 1967. "Nous, les Juifs, nous avons voté contre l'indépendance parce qu'il n'est pas dans notre intérêt de nous séparer du Canada."
Encadré(s) :
Malaise
Courrier international
Le 6 août dernier, lors d'une marche de protestation contre l'offensive israélienne au Liban, des manifestants avaient brandi des pancartes haineuses envers les Juifs. Des politiciens québécois figuraient en tête du cortège, suscitant le malaise de la communauté juive.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé