Dans dix ans ces mêmes filles diront qu’elles le portent par conviction et que c’est leur choix. Elles auront raison de nous le dire; car en s’habituant à la contrainte objective, l’individu oublie le poids de cette dernière. En effet, l’habitude est une seconde nature comme disait Aristote, elle donne l’illusion de la spontanéité et de la liberté.
Par Ali Kaidi
Pourquoi les autorités iraniennes imposent-elles le port du voile aux femmes? Pourquoi certaines femmes choisissent-elles de l’enlever ? Est-il vraiment un simple habit, sans aucune prétention idéologique, comme Dalila Awada le prétend, ou alors représente-t-il -ou cache-t-il- quelque chose de plus important? Ces femmes osent-elles enlever le voile juste parce que les autorités l’imposent ou bien le font-elles parce qu’ à leurs yeux ce fichu fait référence à un système de valeurs qu’elles rejettent? Au reste, si c’était, un simple habit, pourquoi l’exiger au nom d’une religion? Pourquoi certains musulmans ont-ils trouvé légitime de punir, voire de tuer des femmes qui refusent de le porter? Il ne faut pas s’étonner que ces questions n’intéressent pas les défenseurs de la laïcité ouverte, et encore moins, les islamistes, pourtant elles soulèvent des interrogations qui sont au cœur de la question du voile et de l’islamisme.
Admettant que la question de l’interdiction de porter le voile aux employées de la fonction publique est une question qui touche à «la reconnaissance du droit indiscutable de choisir comment elles veulent se vêtir », comme Dalila Awada l’allègue, dans ce cas, comment expliquer toute cette mobilisation des multiculturalistes et des islamistes contre l’interdiction du port du voile? Si c’était un simple vêtement, n’importe quelle femme l’aurait enlevé sans aucun problème. Pourquoi ces soi-disant défenseurs de la liberté individuelle ne s’opposent-ils pas à certains employeurs, à l’instar des banques, qui exigent une tenue vestimentaire à leurs employés (es), hommes et femmes sans distinction?
Le voile, est-ce vraiment un choix?
Dans un article intitulé «Question d’autodétermination», Dalila Awada a essayé, tant bien que mal, de nous démontrer que les femmes iraniennes qui ont pris un risque, en osant se débarrasser de leurs foulards, de se prendre en photos et de les envoyer ensuite à la page Facebook des Libertés furtives des femmes iraniennes, ont agi de la sorte parce qu’elles voulaient défier les autorités théocratiques. Pour elle, ces femmes ont enlevé cet accoutrement et libéré leurs cheveux parce qu’on le leur a imposé.
Mais, le problème dans ce raisonnement est que Dalila Awada emploie cette explication d’une façon tendancieuse ; elle l’impose comme postulat indiscutable; car son but est d’arriver à une conclusion qui concerne le débat sur la laïcité au Québec, oui au Québec qui se trouve, comme elle l’a bien souligné, à mille lieux, enfin à mille lieues des pays musulmans.
Bien entendu, c’est on ne peut plus clair, c’est pour rajouter de l’eau à son moulin. Néanmoins, le talon d’Achille de son argumentation est qu’elle démontre qu’elle n’est pas contre le fait que l’on essaye d’apprendre des expériences des autres, mais qu’elle est juste contre ceux et celles qui ont des positions différentes de la sienne.
En effet, Dalila Awada ne s’est pas empêchée d’utiliser cet événement dans un débat sur la laïcité qui se déroule au Québec, elle a exprimé cette tentative en affirmant que « là-bas, contraintes de se couvrir la tête, elles se dévoilent, ici quand on tente de convaincre les femmes, sans répit et de façon hautaine, d’abandonner leur foulard, elles ne vont probablement pas faire une ribambelle en guise de remerciement». Ainsi, elle ne se rend pas compte de la contradiction qui mine ce raisonnement; d’un côté elle trouve utile de tirer des enseignements, voire des conclusions des situations appartenant à d’autres contextes politiques et socioculturels lointains pour critiquer l’interdiction du port du voile, et de l’autre, elle critique ses opposants qui défendent cette interdiction en renforçant leurs arguments par des faits qui se sont produits dans des contextes hors Québec. On l’a souvent entendu pendant le débat sur la charte de laïcité répéter en concert avec les défenseurs du port du voile que le : «Québec n’est pas le Moyen-Orient».
Ce raisonnement est absurde; car il implique une obscénité impossible à admettre, son auteur insinue, qu’en Iran et ailleurs dans d’autres pays musulmans, les femmes qui n’ont pas exprimé leur rejet du voile d’une façon spectaculaire, remarque celles-ci représentent la majorité des femmes musulmanes voilées, ne subissent aucune contrainte pour porter cet accoutrement. Ainsi, si l’on suit le raisonnement de Dalila Awada, on sera forcé d’accepter l’idée que les femmes portant le voile l’ont fait par choix. Cette absurdité est une conséquence logique d’une autre absurdité du même niveau d’obscénité que Dalila Awada impose dans son raisonnement comme règle naturelle sur laquelle toute son argumentation repose. En effet, elle pense que les gestes de résistance que les femmes iraniennes et d’autres femmes musulmanes ont immortalisés sur les réseaux sociaux «démontrent que dans nombreux cas, obliger sans raisons valables des individus à adopter des comportements ou des pratiques qu’ils n’ont pas eux-mêmes choisies, résultera en un rejet catégorique de l’imposition». Mais depuis quand une exigence religieuse dans une théocratie ne constitue pas une raison valable? D’autant plus qu’il n’y a pas quelque chose de plus valable dans une religion que les recommandations de dieu. D’ailleurs, les femmes qui refusent d’enlever le voile dans les lieux de travail montrent que la recommandation de porter le voile est valable et qu’elle est même supérieure aux recommandations de l’État et toutes autres choses du moment que ces femmes sont prêtes à sacrifier leur vie professionnelle pour leurs convictions religieuses ou idéologiques que Dalila Awada appelle conviction.
Ce qui est encore plus tendancieux dans le raisonnement d’Awada est son obstination idéologique à refuser de préciser de quelle nature est la conviction qui exige des femmes de porter le voile. Ce n’est point étonnant, c’est la même obstination qui l’empêche de nous parler des fillettes d’ici, du Québec, des fillettes qui vivent certes, comme elle le souligne, «à mille lieues des conflits politiques, économiques et sociaux qui sévissent dans ces pays meurtris», mais qui portent le même voile et forcément pour les mêmes raisons idéologiques ou religieuses que les femmes dans tous les pays musulmans. Certainement, elle rencontre ces filles quotidiennement, mais elle ne dit rien d’elles parce que leur situation dément la fameuse expression «c’est leur choix» que les islamistes ont tendance à employer pour défendre le port du voile.
Il ne suffit pas de dire que le port du voile au Québec n’a aucune valeur politique pour que ce soit réellement ainsi. Cependant, si la valeur du port du voile n’est pas politique comme Dalila Awada le prétend, quelle est donc sa valeur pour les musulmanes québécoises? Peut-on déduire qu’elle est purement religieuse? Sans doute non; car beaucoup de femmes musulmanes ne portent pas le voile.
L’islamisme et la musulmane voilée versus la musulmane non voilée…
Par ailleurs, pour elle, la femme qui ne porte pas le voile ne peut pas être musulmane ou qu’elle est moins musulmane qu’une femme voilée. Cette conviction est inhérente à son raisonnement. Lorsqu’elle dit que «De toute façon, quelle est la valeur d’une pratique religieuse si elle est faite sans conviction? Nulle, absolument nulle». Certes, cet argument ressemble à celui que Locke a utilisé dans La lettre sur la tolérance pour justifier la nécessité de séparer l’autorité religieuse de l’autorité politique. Or, Dalila Awada l’utilise dans son article pour d’autres fins.
D’abord, elle confond sciemment entre pratiques religieuses et signes religieux. Elle cherche à faire passer l’idée que le port du voile dans l’islam est une pratique religieuse, or cela est faux et beaucoup de musulmans savent pertinemment cela. L’islam n’est pas le produit de la révolution iranienne ni du militantisme des frères musulmans ou encore de l’obscurantisme des wahhabites ou d’autres courants et mouvements de l’islam politique qui imposent le port du voile aux femmes. En fait, on peut être musulman sans être embrigadé dans ces idéologies sexistes.
D’emblée, Dalila Awada intègre la rébellion de ces femmes iraniennes dans la rhétorique des défenseurs de la laïcité ouverte et celle de leurs compagnons de route, les islamistes. Elle a fait de cette affirmation un postulat indiscutable. C’est clair pour elle, ces femmes ont jeté le voile parce qu’il est imposé. Cette façon de voir les choses l’a ramenée à distinguer entre deux catégories de femmes portant le voile : des femmes qui le portent par conviction et d’autres par contrainte. Ainsi, les femmes iraniennes qui ont osé exposer leur féminité en libérant leurs cheveux de ce fichu voile sont vues par notre féministe (!) Dalila Awada comme des femmes qui manifestent leur opposition à une autorité politique et non pas à un système de valeurs qui s’inspire d’une religion, en l’occurrence de l’islam chiite légitimant le statut d’infériorité qu’Allah et les interprètes de son livre saint et de la tradition ont réservé à la femme. Elle a parlé de l’ordre étatique sans aucune allusion à l’ordre religieux et pourtant elle a souligné au début de son article que ces femmes défient une théocratie.
Dalila Awada a tout fait pour éviter de nous parler de la dimension religieuse du geste de ces femmes rebelles, elle a sciemment exclu dans son vocabulaire les mots qui font référence à la religion et à l’idéologie auxquelles le voile fait référence. Elle s’est interdite d’utiliser le mot islam et islamisme même si le geste de ces femmes sera forcément interprété et puni à la lumière des exigences de ces deux systèmes de valeurs. Pour elle, l’autodétermination de ces femmes est un comportement qui se fait à l’encontre de l’autorité politique seulement; or l’état iranien n’exige pas le port du voile pour des raisons laïques, en fait il l’ordonne parce qu’il considère que le port du voile est une exigence religieuse. C’est pour cette raison qu’il est plus exact de dire que ces femmes ont défié l’autorité religieuse. Par leur acte, elles se révoltent contre l’islam officiel de l’Iran en particulier et l’islamisme en général où il se trouve. Elles dénoncent le système de valeurs qui menace aujourd’hui l’actrice iranienne Leila Hatami, membre du jury du Festival de Cannes, parce qu’elle a fait la bise au président du festival. Son geste, faut-il le rappeler, est jugé par les autorités iraniennes non conformes aux principes religieux iraniens. Toutefois, ces principes qui interdisent à la femme d’avoir un contact physique avec un homme étranger à sa famille sont les mêmes qui l’obligent à porter le voile.
Madame Awada n’a pas vu cette dimension religieuse. En vérité, elle ne veut pas la voir parce qu’elle ne correspond pas à sa défense du port du voile. Mieux, elle rendrait caduc son argumentaire.
Et les fillettes qui portent le voile…
Pour les islamistes, la meilleure façon de défendre le voile en occident est de dire que c’est un vêtement neutre ou qu’il est polysémique. Dans les deux cas, le port du voile apparaîtra comme un choix individuel. C’est facile de justifier cette thèse, il suffit aux défenseurs du voile de nous inviter à voir les façons diverses de le porter et ses différentes couleurs et formes. Ainsi, on sera forcé d’admettre qu’il est un simple vêtement. Mais le problème est que Dalila Awada et ses acolytes nous parlent aussi des femmes qui le portent par conviction, mais sans aucune précision de la nature de cette conviction. Dans cet article, elle ne précise pas quelle est la nature de cette conviction: est-elle religieuse, philosophique, idéologique ou autres? Cette ambiguïté, n’est pas un manquement de précision involontaire de sa part, mais, bien évidemment, un manquement sciemment commis. Elle l’a utilisé pour ne pas nous parler des raisons pour lesquelles le port du voile est une obligation. Car, quand on parle de l’obligation on est loin, très loin de l’idée du choix.
La vérité est que cette façon spectaculaire de dévoiler leurs cheveux est une façon pour ces femmes iraniennes de montrer au monde entier qu’elles sont contre l’idéologie qui prône l’inégalité homme-femme. Il n’est pas question d’un habit seulement; car si c’était le cas, elles auraient fait cela en catimini.
Le port du voile implique certaines convictions et certains comportements qui expriment des valeurs particulières, et ce sont ces valeurs que Dalila Awada n’a pas abordées dans son article. Qu’elle nous explique pourquoi les femmes musulmanes doivent cacher une grande partie de leur corps, quel est le statut de la femme dans l’idéologie et la religion qui exige d’elle de se couvrir du regard des hommes, et comment le voile qui symbolise l’inégalité peut-il être un choix délibéré d’une femme, est-il un tissu neutre lorsqu’on voit des fillettes qui n’ont même pas l’âge de la puberté le porter ? Le voile est-il vraiment un choix pour des filles qui le portent à cet âge?
Dans dix ans ces mêmes filles diront qu’elles le portent par conviction et que c’est leur choix. Elles auront raison de nous le dire; car en s’habituant à la contrainte objective, l’individu oublie le poids de cette dernière. En effet, l’habitude est une seconde nature comme disait Aristote, elle donne l’illusion de la spontanéité et de la liberté.
Bref, Arrêtez vôtre obstination idéologique, le port du voile n’est ni plus ni moins qu’une question d’intégrisme islamiste.
Par Ali Kaidi
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