Après avoir suggéré que le débat sur la laïcité est mort et enterré, avec la défaite cuisante du PQ aux dernières élections, et  insinué  que   la victoire du PLQ est celle d’une force politique encourageant le multiculturalisme et la  laïcité ouverte, le revoilà, le débat sur laïcité bien sûr, qui  refait surface avec le problème des écoles religieuses ou confessionnelles. Précisément, il s’agit  de cinq  écoles hassidiques qui enseignent sans permis aux enfants un programme sectaire qui n’a rien avoir avec le programme élaboré par  le ministère de l’Éducation.
     Le problème que ces écoles soulèvent  ne se situe pas au niveau des autorisations seulement; car ses  responsables estiment  qu’il  est  de leur droit de négocier le contenu des programmes d’enseignement afin de les  rendre conformes aux  convictions religieuses de leur communauté. Cette façon de voir l’éducation des enfants n’est pas une attitude étrangère au contexte d’un Québec qui baigne dans les eaux troubles du  multiculturalisme et de  la laïcité ouverte. Vu sous  l’angle de  ces deux idéologies,  on ne peut qu’admettre que ces écoles et bien d’autres écoles confessionnelles aient raison  d’exiger des accommodements. On ne  s’étonne pas que cela arrive au  Canada ; car on sait pertinemment que  dans ce pays qui se dit  laïc,  au nom de la liberté religieuse,  on peut témoigner à visage caché dans un tribunal et qu’un maire peut réciter des prières dans des institutions politiques. Bref, on y a le droit de faire beaucoup de choses aussi insensées les unes que les autres au nom de la liberté religieuse. Cependant, il n’est pas difficile  aux  parents des élèves qui fréquentent ces cinq écoles de trouver dans les lois fondamentales fédérales et provinciales, ainsi que  dans le multiculturalisme, des éléments juridiques et idéologiques pour  justifier l’existence de ces écoles sectaires.     
    Par ailleurs, selon le  préambule de  la Charte canadienne des droits et libertés qui stipule  que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit », il est du droit de ces hassidiques et beaucoup d’autres parents appartenant à d’autres communautés religieuses de revendiquer la liberté   d’élever et d’éduquer leurs enfants conformément aux valeurs de leur religion. Il ne faut donc pas s’offusquer qu’ils expriment  ainsi et aussi ouvertement leur volonté de  se soustraire aux exigences du ministère de l’Éducation. En plus,  au niveau provincial,  la  Charte des Droits et Libertés de la  Personne leur garantit aussi ce droit. L’article 42 de cette Charte précise que les parents ont le droit  de choisir pour leurs enfants des établissements d’enseignement privés qu’ils veulent, mais  à condition qu’ils respectent  la loi. Et l’article 41 garantit aux parents  le droit d’assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs convictions, mais cela doit se faire dans le respect des droits de leurs enfants et de l’intérêt de ceux-ci. En principe la condition fondamentale que ces écoles  doivent respecter est l’intérêt de l’enfant.       
     Ainsi, sur la base  de ces deux  chartes et bien d’autres textes de  loi, il peut nous sembler  que le problème de ces écoles réside essentiellement dans le fait qu’elles  ne sont pas conformes aux  lois et règlements du ministère de l’Éducation; or, à notre sens, le problème est plus profond que cela, il s’agit du fait qu’elles sont confessionnelles d’une part  et qu’elles ne respectent pas l’intérêt des enfants de l’autre. La situation de ces  écoles  pose des interrogations qu’on ne peut pas réduire à  la question de la légalité et à quelque problème propre à la communauté hassidique seulement. En fait, elle concerne aussi les écoles  qui ont des  permis,  ainsi que des  écoles appartenant à d’autres communautés religieuses.
    Les  défenseurs de  la laïcité ouverte en général, quoiqu’ils essayent de critiquer l’attitude de ces écoles,  ne possèdent pas les instruments idéologiques nécessaires pour cela,  à moins qu’ils se focalisent  sur le problème de la  légalité seulement. Car, ces écoles communautaires ne contredisent  pas les exigences de la laïcité ouverte. En principe, cette dernière  assure aux parents le droit d’imposer à leurs enfants l’éducation que leurs convictions religieuses  exigent. En somme, la laïcité ouverte ne les empêche pas de revendiquer, au nom de leur spécificité religieuse, le droit  de contraindre leurs enfants  à  se renfermer sur eux- mêmes et sur leur communauté. Ainsi, l’endoctrinement des enfants, puisqu’il s’agit de cela, se fait  grâce à l’éducation qu’ils reçoivent  d’une part  dans leur famille et de l’autre dans les écoles. Au lieu que l’école apaise le poids des contraintes communautaires avec une école laïque, publique, égalitaire et neutre,  elle les renforce en leur inculquant  des valeurs et des comportements qui feront d’eux des individus  incapables d’affronter les difficultés de la vie en dehors des  limites de leur communauté.
    La vraie  question que ces cinq écoles hassidiques  hors la loi soulèvent, à notre avis,  est la suivante: comment réconcilier ces deux droits fondamentaux,    le droit des enfants à une éducation de qualité  et la liberté religieuse des parents ? 
     Ce problème ne date pas d’aujourd’hui;  malgré les promesses des divers gouvernements de le régler, la situation n’a guère évolué, même le PQ avec sa  charte de  la laïcité a refusé de l’aborder.  Ce laxisme montre  que  le Québec  n’est pas encore prêt  pour discuter le problème sous cet angle. Jusqu’à ce jour, on se contente de spéculer sur des questions de financement. Au reste, c’est la seule chose sur  laquelle les  inclusifs libéraux sont disposés à réfléchir. Alors, la question qui se pose aujourd’hui à eux est la suivante: est-il juste pour un état laïc de subventionner les écoles hassidiques ou appartenant à  d’autres communautés religieuses pour assurer une éducation religieuse à leurs enfants?  
    En réalité,  cette question dissimule  une  autre question que nous estimons plus importante ; elle concerne les droits  des enfants. Certes, personne ne peut nier que les parents ont le droit d’éduquer leurs enfants, mais dans tout cela quel est le  droit de ces derniers et où est leur intérêt ?
     Dans un témoignage déchirant  accordé à RDI,  Shiffra et Yohan,   deux victimes d’une école sectaire similaire aux écoles qui font l’actualité ces jours-ci,  ont  si bien montré  l’impact réel de cette  problématique sur l’avenir des enfants. La force de leur  témoignage  est liée au fait qu’il émane d’un couple qui  a décidé de quitter sa  communauté après avoir pris conscience qu’il était victime d’un communautarisme religieux insupportable.
   Shiffra et Yohan  révèlent   que  l’école qu’ils ont fréquentée les a handicapés socialement. C’est pour cette raison que  leur volonté aujourd’hui est   de ne pas voir leurs enfants subir les mêmes  dérives communautaires. Selon leur témoignage, l’école  a fait d’eux des immigrants  malgré eux, et  pourtant, comme ils  le soulignent, ils sont nés au Québec. En fait, la communauté et l’école qu’ils ont fréquentées n’ont pas vu utile de leur offrir  la chance d’apprendre  le français. Le paradoxe est qu’ils ont appris à parler cette langue dans un centre pour immigrants devenant adultes. À ce propos, ils sont convaincus aujourd’hui que  parler le Yiddish seulement, leur langue maternelle en l’occurrence, était une tactique communautaire  qui avait comme objectif d’empêcher les enfants d’avoir des  contacts avec le monde extérieur à leur communauté. La  communauté veut être rassurée  que ses enfants n’aient pas  accès à d’autres informations et connaissances que celles qu’elle  autorise.  Elle a peur qu’ils développent un esprit critique qui mettrait en question leurs dogmes.   
    En plus, Yohan a précisé dans cet entretien  que dans son école,  il n’a jamais reçu  de cours de mathématiques, de Français ou d’Anglais. Les seuls cours qu’il a étudiés  étaient des cours d’éducation religieuse. C’est clair que son école ne respectait pas le programme du ministre à l’instar de ces écoles hassidiques qui font l’actualité.
     Après tous ces mauvais traitements,  il est important pour nous de noter que Yohan n’est pas en colère aujourd’hui contre sa communauté,  mais plutôt  contre les politiciens du Québec qui ont laissé des enfants sous  la domination d’une communauté qui ne pense qu’à sauvegarder sa spécificité religieuse; il estime donc que les politiciens sont responsables de son ignorance.
   Ce sont ces situations humaines inacceptables multipliées par le nombre des élèves que les cinq écoles dont on parle aujourd’hui réservent aux enfants qui  les fréquentent. D’ailleurs, et cela est révélateur, le porte-parole de la Coalition d’organisations hassidiques d’Outremont (COHO) n’a pas caché dans un entretien accordé à un  journaliste du devoir que sa communauté n’est pas prête à revenir sur  la place qu’elle accorde  aux sciences dans ses écoles. Selon lui, le cours Éthique et Culture religieuse ainsi que   le cours de biologie et de sciences que nos enfants apprennent dans les écoles publiques  laïques   ne seront jamais enseignées dans les écoles juives. Il a exprimé  ce dogmatisme que la majorité des communautés religieuses partagent  en affirmant  qu’« on ne veut pas enseigner la théorie de l’évolution. À un enfant à qui on a dit toute sa vie que c’est Dieu qui avait créé la Terre, on ne va pas soudainement lui dire le contraire» !
     Comment régler cette situation ? Nous pensons que cela aurait été possible si le Québec avait adopté une laïcité claire, mais, malheureusement, ses lois sont  minées par les dérives communautaires du multiculturalisme et par les contradictions de la laïcité ouverte; car pour ces deux idéologies l’état doit tolérer et respecter les exigences religieuses de cette communauté, or,  les personnes qui subissent les contraintes communautaires à l’instar de Shiffra et Yohan  pensent le contraire ; pour elles  ce n’est pas de la l’intolérance d’empêcher l’endoctrinement sectaire des enfants, au contraire ne pas le faire est une attitude complice certes passive dans une certaine mesure, mais condamnable.  Pour le mari de Shiffra, l’argument du respect des croyances religieuses que les adeptes du multiculturalisme et de la  laïcité ouverte  n’arrêtent pas de brandir sans mesurer ses conséquences à chaque fois qu’il est question de débattre sur la  laïcité et les accommodements religieux  est simplement fallacieux, et son expérience l’atteste. Le mari de Shiffra critique cet argument   en disant que « ceux qui disent que forcer les hassidiques à scolariser les enfants revient à de l’antisémitisme, je leur dis l’antisémitisme, d’après moi, c’est de ne pas aider les enfants juifs à être scolarisés».
    Enfin, l’argent public est en principe sans odeur religieuse ou idéologique, il devrait être, à notre sens,  neutre comme les institutions de l’état  sont censées l’être. La laïcité exige de l’état d’arrêter de subventionner toutes les écoles confessionnelles.  En son nom, il est légitime aux citoyens et citoyennes de demander  que l’argent que l’état dépense sur  les écoles confessionnelles soit redistribué aux écoles publiques laïques qui en ont un grand  besoin; car ces écoles sont ouvertes à toutes les confessions, elles assurent le droit à l’éducation pour tout le monde sans aucune distinction de n’importe quel ordre.
    Cela étant dit, il est bon de savoir aussi que  la fermeture des écoles confessionnelles ne privera pas les enfants des différentes communautés religieuses du droit fondamental  à l’éducation. Cette réalité  est nécessaire  à signaler, car le plus important dans l’histoire est que le droit à l’éducation de nos enfants soit garanti et leur intérêt assuré.  
 
Par Ali Kaidi
Quand l’intérêt des enfants passe après les convictions religieuses des parents
										
									
									
						
						



















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