Commençons par une évidence : tout le monde a le droit de changer d’idée. Tout le monde. Y compris un premier ministre.
Il y a néanmoins de ces «virages» plus impressionnants que d’autres au point d'en prendre carrément des allures de pirouette.
Un exemple qui, ces jours-ci, fait beaucoup réagir, est cette fameuse déclaration de Philippe Couillard sur le gaz naturel faite en fin de semaine à la conférence de Paris sur les changements climatiques.
Le premier ministre avançait ainsi que les hydrocarbures avaient peu d’avenir au Québec. Qui plus est, que le gaz naturel disparaitrait peu à peu comme source d’énergie d’ici le milieu du siècle : «Le gaz naturel est un combustible fossile, mais c’est un élément de transition dans l’objectif de décarboniser presque complètement notre économie».
La réaction de Gaz Métro ne s’est pas fait attendre.
Selon Stéphanie Trudeau, vice-présidente stratégie et développement : «M. Couillard nous a habitués à faire la différence entre les mots hydrocarbure et pétrole. Le gaz naturel fait partie du plan de réduction des GES».
Ce mardi matin, en entrevue chez Paul Arcand, la présidente de Gaz Métro, Sophie Brochu, disait quant à elle en avoir discuté avec le premier ministre. «J’ai clarifié la pensée» du premier ministre, a-t-elle répété à plusieurs reprises. Du moins, avant de se corriger en précisant qu’elle avait plutôt cherché à comprendre la pensée de M. Couillard sur la question.
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Mais ce n’est pas tout.
Le premier ministre déclarait également ceci sur la présence présumée d’hydrocarbures sur l’île d’Anticosti:
«Anticosti, moi j'ai rien à voir avec ça. Je l'ai trouvé à mon arrivée au gouvernement. J’aurais préféré ne pas le trouver parce que j'étais contre ce projet-là quand j'étais dans l'opposition».
Disant tabler plutôt sur les énergies renouvelables comme l’hydro-électricité, il ajoutait qu’il n’avait «aucun enthousiasme pour les hydrocarbures».
«J'espère qu'il n'y a plus d'ambiguïté sur cette question-là. Je pense qu'ils (les représentants d’entreprises pétrolières québécoises) doivent décoder que je n'ai pas d'enthousiasme pour développer les hydrocarbures au Québec. L'avenir du Québec ne repose pas sur les hydrocarbures. Absolument pas.»
Se disant lié par le contrat signé entre le gouvernement péquiste de Pauline Marois et les pétrolières Pétrolia, Corridor Resources, Maurel & Prom et Junex - un contrat prévoyant des travaux d’exploration sur l’île d’Anticosti où le gouvernement du Québec prend la majeure partie des risques en y investissant près de 115 millions de dollars -, le premier ministre étonne aussi par son refus de revoir le contrat s’il croit vraiment que l’entente est mauvaise ou inutile.
Or, sur l'île d'Anticosti, le gaz et le pétrole qui s'y trouveraient enfouis seraient essentiellement de schiste – et ce faisant, nécessiterait pour l’extraire que l'on ait recours à la fracturation hydraulique – une méthode d’extraction hautement polluante, extrêmement coûteuse et potentiellement menaçante pour l’environnement.
Bref, un dossier complexe, pour ne pas dire nébuleux. Et du moins selon l’ex-président de Pétrolia, André Proulx, un dossier hautement politisé.
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Plusieurs seront évidemment tentés d’applaudir au virage vert de M. Couillard à la conférence de Paris.
Or, jusqu'à preuve du contraire dès son retour, le problème de la crédibilité des propos reste toutefois entier.
Pourquoi ?
Parce que la position de son gouvernement, de même que la sienne dès 2013, dans l’opposition, semblait être nettement plus favorable aux hydrocarbures. Critique, également, de l'avenir prédit à l'hydro-électricité comme principale forme d'énergie renouvelable.
À ce chapitre, rappelons qu’en août 2013, au Forum des idées du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, alors chef de l’opposition officielle, se disait au contraire plus qu’enthousiaste à l’idée d’une transition qu’il disait souhaiter vers... le gaz naturel.
Sous le titre évocateur suivant - «Le gaz et la fracturation hydraulique font rêver Couillard» - Le Devoir rapportait en effet ceci.
Dans les circonstances, ça vaut la peine de relire l'article en question:
«Pour réduire la dépendance du Québec au pétrole, Philippe Couillard proposera, dans sa prochaitrès intéressé par la fracturation hydraulique,ne plateforme électorale, une transition vers le gaz naturel. S’il se garde bien de parler de « gaz de schiste », utilisant plutôt le terme « gaz naturel », le chef du Parti libéral du Québec se montre très intéressé par la fracturation hydraulique, qu’il qualifie de « révolutionnaire ».
« L’ère des hydrocarbures sur la planète n’est pas terminée, loin de là, on va les voir encore pour plusieurs décennies, mais ça se transforme », a soutenu le chef du Parti libéral dans son discours de clôture du Forum des idées dimanche midi au Collège Champlain à Saint-Lambert. Citant la revue The Economist, Philippe Couillard a rappelé à quel point le pétrole était néfaste pour l’environnement et a soutenu que la transition vers le gaz naturel représentait « le gain le plus important en termes de réduction » des impacts négatifs sur l’environnement.
Questionné en point de presse sur la position qu’il défendra dans sa prochaine plateforme électorale sur les hydrocarbures, le chef du Parti libéral du Québec a répondu qu’il souhaitait «rééquilibrer notre portefeuille énergétique avec la transition vers le gaz naturel». Il a également parlé avec conviction de la fracturation hydraulique, qui permet d’aller chercher le gaz de schiste.
« Il faut noter l’aspect révolutionnaire - dans le terme réel du terme - de l’introduction de la fracturation. Ça a complètement changé le paysage énergétique mondial. Quand on dit que l’Amérique du Nord et les États-Unis vont être autosuffisants bientôt, cette découverte-là, ça change le monde. Alors oui, il faut viser l’électrification des transports, c’est une bonne idée [...] mais il faut également regarder les autres choses que l’on peut faire pour diminuer notre dépendance au pétrole, par exemple avec un autre type d’hydrocarbures, comme le gaz naturel, qui est beaucoup mieux en termes d’émissions de gaz à effet de serre. »
Rappelant les propos tenus la veille par l’économiste Alan McIntyre, associé principal pour l’Amérique du Nord chez Oliver Wyman, qui était invité à discuter du développement économique au Québec dans le cadre du Forum des idées organisé par le Parti libéral, Philippe Couillard estime qu’on ne peut plus compter uniquement sur l’hydro-électricité. « On nous disait hier : vous avez un grand avantage hydroélectrique, mais cet avantage-là n’est peut-être pas infini dans le temps à cause de la surproduction de gaz ailleurs sur la planète, notamment aux États-Unis, ce qui fait que notre capacité d’exporter va commencer à diminuer. »
Dans son discours, fort apprécié des nombreux libéraux venus l’entendre samedi matin, Alan McIntyre rappelait que « les réserves québécoises de gaz de schiste [...] se classent sixièmes parmi les États des États-Unis et les provinces ». Selon lui, « la grande question qui pèse sur toute discussion concernant les ressources naturelles est la volonté du Québec et sa capacité technique à exploiter ses réserves minérales, pétrolières et de gaz de schiste dans un monde où des ressources similaires sont exploitées agressivement ailleurs - surtout aux États-Unis - d’une manière qui changera la balance du pouvoir sur la question énergétique dans la prochaine décennie ». Son message a clairement été entendu par Philippe Couillard qui a présenté à de nombreuses reprises ce forum comme étant l’occasion d’aller chercher des idées pour sa prochaine plateforme électorale.»
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Autre élément à noter dans ce dossier contradictoire, l'éventuelle nouvelle politique énergitique 2016-2025 - du moins dans la «réflexion» et les cogitations du gouvernement, présente l'exploitation possible d'hydrocarbures au Québec sous un jour plutôt favorable.
«Les hydrocarbures proviennent de l’accumulation de matières organiques et de la décomposition de celles-ci. Ainsi, pour former des hydrocarbures, la matière organique doit se retrouver à de grandes profondeurs où elle subira les effets combinés de la pression et de la température. En fonction de la température et de la pression, des hydrocarbures liquides (pétrole) ou gazeux (gaz naturel) seront formés. La présence d’hydrocarbures est généralement associée aux bassins de roches sédimentaires. Malgré une importante production d’énergies renouvelables, le Québec dépend des hydrocarbures pour satisfaire plus de 50 % de ses besoins en énergie. L’utilisation des hydrocarbures est profondément ancrée dans nos habitudes de déplacement et dans nos procédés de production de biens. Or, cette dépendance coûte très cher puisque le Québec ne produit présentement aucun hydrocarbure fossile sur son territoire. Il doit donc importer tout le pétrole, le gaz naturel et le charbon qui y sont consommés. Au-delà du fardeau économique et environnemental que cette situation impose à la société québécoise, elle exige que nous assumions et gérions les risques inhérents au transport et à la manipulation des produits énergétiques fossiles. Par ailleurs, les nouvelles technologies d’exploitation des ressources fossiles ouvrent de nouvelles perspectives pour les formations géologiques pétrolifères, les shales, présentes au Québec, mais dont la mise en valeur était, jusqu’à récemment, non viable économiquement. Le Québec doit se positionner relativement à ces nouvelles possibilités et discuter des conditions à réunir avant d’envisager l’exploitation de ces ressources, si leur présence était confirmée dans une perspective d’équité intergénérationnelle, de respect des personnes et d’équilibre coûts-bénéfices sur les plans social, environnemental et économique.»
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Alors, ce virage «vert» de M. Couillard, vous y croyez ou pas ?
Et ce virage, s'il s'avérait concret et durable - et c'est un très gros «si»-, vous le souhaitez ou pas?
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