Comme il est tentant de tirer de vastes conclusions d’une simple élection partielle. Les élections partielles sont comme un miroir, on y voit souvent ce qu'on veut bien y voir.
Depuis la victoire ce lundi soir du candidat-vedette Richard Martel pour le Parti conservateur du Canada (PCC) dans le comté fédéral de Chicoutimi-Le Fjord, rares sont ceux à résister à cette tentation.
Sur les élections partielles, je persiste pourtant et signe depuis des années : dans les faits, plus souvent qu’autrement, elles ne sont que des microclimats locaux et passagers par définition. Tenter d’y lire de grands mouvements de l’opinion publique est aussi fiable que d’essayer de lire son avenir dans les feuilles de thé.
Il en va ainsi dans Chicoutimi-Le Fjord.
Le réalité est qu’indépendamment de la forte victoire de Richard Martel, le réalignement des planètes politiques fédérales au Québec dont on parle tant était déjà évident bien avant.
Primo, avec l’éclatement final du Bloc québécois et l’incapacité de Jagmeet Singh, chef du NPD, à conserver au Québec les appuis restants sous Tom Mulcair, une lutte à deux se dessinait déjà. Une lutte entre le Parti libéral du Canada (PLC) de Justin Trudeau et le PCC d’Andrew Scheer.
Mais attention. La victoire conservatrice dans Chicoutimi-Le Fjord n’annonce pas pour autant une victoire conservatrice au scrutin fédéral de 2019, ni au Québec ni à travers le Canada.
L’étoile de premier ministre Justin Trudeau a peut-être pâli, mais celle d’Andrew Scheer est encore trop indéfinie pour croire qu’elle brillera l’an prochain jusqu’au firmament du pouvoir.
Au Québec, cette lutte à deux, mais dont le PLC reste encore dominant, est surtout l’énième indice de la dislocation du mouvement souverainiste dans son ensemble.
C’est aussi l’indice d’un NPD de plus en plus affaibli depuis le départ de son chef Tom Mulcair.
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Le «facteur» nationaliste
La dislocation du mouvement souverainiste étant ce qu’elle est, il se trouve des nationalistes et des souverainistes à croire vraiment pouvoir trouver un nouveau «chez-soi» politique au PCC.
Y compris même pour un ex-chef du Bloc, Michel Gauthier.
Le mirage est puissant, mais c’est tout ce qu’il est – un miroir aux alouettes, voire même un piège trompeur.
Le PCC de Scheer n’est PAS celui de Brian Mulroney et de son fort contingent de ministres du Québec.
C’est encore moins celui du défunt Accord du Lac Meech, lequel visait à réparer l’injustice flagrante du rapatriement de la constitution canadienne en 1982 sans la ratification de l’Assemblée nationale.
Le PCC de Scheer est l’enfant du mariage inégalitaire entre le Reform Party et l’ancien et moribond Parti progressiste-conservateur.
Je dis inégalitaire, parce que l’école de droite issue de l’Ouest canadien (l'ex-partie Reform Party) domine nettement au PCC. Ce n’est pas un hasard si Stephen Harper fut choisi pour diriger la mouture fusionnée des deux entités.
Traduction: le PCC de Scheer n’a rien à cirer du nationalisme québécois, si ce n’est que pour la valeur des votes des Québécois. Quant à sa connaissance de la culture québécoise, on repassera – un indice sûr que la «belle province» ne l’intéresse que de manière, eh bien, intéressée politiquement.
Son respect des «juridictions provinciales» ne changerait pas grand-chose à la vie politique du Québec. Ce dont le Québec a besoin si la souveraineté n'advient pas, ce sont de nouveaux pouvoirs.
Si les Québécois en sont rendus à jubiler sur la seule possibilité d’obtenir un jour des conservateurs un rapport d’impôt unique, notre régression politique aura été finale.
Andrew Scheer a l’air bien sympathique. De toute évidence, c’est un gentil monsieur et il trouve le Québec bien joli, en personne ou en cartes postales. Mais pour le reste, la matière manque au rendez-vous.
Comme Stephen Harper, le chef conservateur, en version certes plus douce, donne surtout l’impression de voir le Québec comme une province un brin folklorique.
Les deux hommes, c'est connu, aiment beaucoup se faire prendre en photo avec le pittoresque Bonhomme Carnaval.
Bref, le PCC mouture post-Mulroney, ne voit pas le Québec comme une nation moderne.
À vrai dire, même la fameuse motion sur le sujet votée en 2006 à la Chambre des communes sous le premier ministre conservateur Stephen Harper le confirmait amplement.
Vous vous souvenez ? En anglais, la motion disait ceci : «That this House recognize that the Québécois form a nation within a united Canada.»
En version française, ça donnait plutôt ceci : «Que cette Chambre reconnait que les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni.»
Or, dans les faits, l’usage du mot «Québécois» dans la version anglaise n’était pas fortuit.
Si les conservateurs avaient vraiment voulu reconnaître le Québec en tant que nation politique au sein du Canada, ils l’auraient dit clairement de cette manière-là.
Dans la version anglaise, en utilisant «Québécois» au lieu du mot anglais «Quebecker», Stephen Harper faisait clairement référence à ce qu’on nommait jadis les Canadiens français du Québec.
Cette motion réduisait ainsi la «nation» québécoise à sa composante majoritaire d’ascendance française, donc ethnoculturelle, et non pas politique et sociologique.
En la réduisant ainsi, cette motion présente le portrait d'une belle colonie où il fait bon dire «Bonjour» en allant manger une poutine avant de faire prendre en photo avec le Bonhomme Carnaval.
C’est vraiment ça, le nouveau rêve de quelques nationalistes québécois déçus avec raison de ce qui se passe sur la scène politique québécoise?
Ce n’est pas un rêve, c’est une illusion.