Le « spin » qui a eu raison d'Alexandre Cloutier

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L'establishment secoué par le résultat

La grande surprise de vendredi soir ne réside pas tant dans la victoire de Jean-François Lisée que dans l'ampleur de la défaite d'Alexandre Cloutier. Celui qui était parti favori dans la course à la direction du Parti québécois pourrait finalement avoir été victime du « spin de l'establishment ».
En obtenant 47,03 % des voix dès le premier tour, Jean-François Lisée sera passé étonnamment près de l'emporter du premier coup. Le revirement évoqué il y a déjà deux semaines se sera donc concrétisé.
Plusieurs analystes croyaient que les deuxième et troisième choix des partisans de Paul Saint-Pierre Plamondon et de Martine Ouellet feraient la différence. M. Lisée n'aura finalement presque pas eu besoin d'eux tellement l'écart avec Alexandre Cloutier fut grand dès le premier tour.
Avec 29,66 % des voix au premier tour, Alexandre Cloutier n'obtient pas un seul point de pourcentage de plus que lors de la dernière course à la direction du PQ, à l'issue de laquelle il avait obtenu 29,21 % du vote. Une véritable gifle pour le candidat, parti favori, et pour les 14 députés qui l'ont appuyé.
On pourra bien sûr mettre en avant de nombreuses hypothèses pour expliquer cette déroute – résurgence de l'enjeu identitaire pendant la campagne, âge avancé des membres du Parti québécois, etc. –, mais la plus plausible semble être « le spin de l'establishment ».
Les journalistes ont bien sûr l'habitude des « spins », ces interprétations ou ces cadrages des événements qui ont pour effet tantôt de favoriser un candidat, tantôt de mettre en lumière les faiblesses d'un autre. Plusieurs d'entre eux disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus, mais certains sont plus efficaces que d'autres.
À peine Alexandre Cloutier avait-il confirmé qu'il se lançait dans la course à la succession de Pierre Karl Péladeau, que l'entourage de ses rivaux s'activait déjà auprès des journalistes : le député de Lac-Saint-Jean était le « candidat de l'establishment », celui-là même qui dirige en sous-main le Parti québécois depuis des années sans jamais le conduire à la victoire.
Même s'il s'en sera défendu, cette association à la vieille garde du parti aura collé à la peau du plus jeune des candidats du début à la fin de la course, et Alexandre Cloutier n'aura pas su lui donner une réponse adéquate, comme il l'a lui-même admis et comme le prouvent les résultats de vendredi. Pire, certaines des décisions de son équipe auront renforcé cette image – démission en bloc d'officiers parlementaires en début de course pour l'appuyer, choix de mener une campagne excessivement prudente et encadrée et maintien de l'ambiguïté historique du Parti québécois sur la question référendaire.
Partie du mauvais pied sur cette impression des plus dommageables, la campagne se sera enfoncée. Chaque raté additionnel – sa sous-performance durant les débats, son manque d'aisance et de répartie devant les médias – a renforcé cette idée selon laquelle l'establishment auquel il était apparemment associé le conseillait mal et n'avait pas les bons réflexes.
Or, les bons « spins » ont ceci de fâcheux et de redoutable : il est très difficile de s'en débarrasser une fois qu'ils ont pris. En l'occurrence, cette étiquette de l'establishment – qu'elle soit fondée ou non – aura alimenté la trame narrative de toute la course à la direction de M. Cloutier. Ajoutez à cela une campagne plutôt habile de Jean-François Lisée, et le résultat de vendredi n'est finalement peut-être pas si surprenant.
Jusqu'au dernier moment, on aura tout de même eu un doute, croyant à tort que la machine politique censément mieux huilée d'Alexandre Cloutier lui permettrait de compenser les faiblesses de sa campagne.
Or, malgré toute la foi qu'on aime placer en elles, les machines politiques ont leurs limites : elles peuvent renforcer des tendances existantes, mais elles ne peuvent les créer, et elles sont généralement impuissantes face aux vagues de fond. Dans le contexte, on peut même se demander si la redoutable machine de M. Cloutier n'aura pas, bien malgré elle en poussant le taux de participation à la hausse, favorisé la sortie du vote... au profit de Jean-François Lisée!
Au demeurant, il y a longtemps qu'on n'avait pas vu un « spin » aussi efficace que celui du « candidat de l'establishment ». Le drame de l'équipe Cloutier aura été d'être incapable de contrecarrer ses effets délétères – renforçant ainsi l'impression selon laquelle le candidat n'avait pas les réflexes politiques suffisamment aiguisés pour la fonction qu'il sollicitait.
Les deuxième et troisième choix peu importants
Tout au long de la course, la question des deuxième et troisième choix des militants péquistes aura alimenté les spéculations.
On ne saura jamais quelles étaient les préférences des partisans de Martine Ouellet, mais un examen attentif des résultats obtenus par Paul St-Pierre Plamondon permet de mettre les choses en perspective.
Paul St-Pierre Plamondon a obtenu l'appui de 3772 membres lors du premier tour, et 236 d'entre eux n'ont pas exprimé de deuxième choix. Des 3536 voix restantes, 1046 se sont reportées sur Alexandre Cloutier (29,6 %) au deuxième tour, 625 sur Martine Ouellet (17,6 %), et 1865 sur Jean-François Lisée (52,7 %).
En somme, si les électeurs de Paul St-Pierre Plamondon ont majoritairement appuyé Jean-François Lisée comme deuxième choix, leur ralliement n'a pas non plus été massif. En fait, la symétrie entre les résultats obtenus par chacun des trois principaux candidats au premier tour et le niveau d'appui recueilli au deuxième tour auprès des partisans de Paul St-Pierre Plamondon est frappante.


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