Cela fait des mois que l’économie mondiale envisage avec plus ou moins de crainte le moment où la Réserve fédérale américaine se décidera à relever ses taux d’intérêt. Mais la pauvre Fed reste toujours aussi hésitante.
Il y a encore un mois seulement, la forte majorité (82 %) des experts sondés par le Wall Street Journal étaient prêts à parier que la première hausse des taux d’intérêt de la banque centrale américaine depuis 2006 était pour sa réunion de mercredi et jeudi prochains. La multiplication des signes de ralentissement économique en Chine et la chute en cascade des marchés boursiers ont ébranlé cette belle assurance à tel point que moins de la moitié d’entre eux font encore la même prédiction aujourd’hui, la plupart des autres croyant désormais que cela se produira à la toute dernière réunion de l’année, en décembre.
Il y a neuf mois, la majorité des membres du comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) prédisaient eux-mêmes que leur taux directeur aurait été augmenté d’au moins trois quarts de point de pourcentage avant la fin de 2015. En juin, ils avaient ramené cette hausse probable à un demi-point. Il faut dire qu’il y a de la marge vers le haut depuis que ce taux directeur a été abaissé en pleine crise financière, il y a sept ans, à son plancher absolu situé dans le mince espace entre 0 % et 0,25 %.
Et pourtant, on doute encore.
On doute parce que même si la croissance économique s’est accélérée aux États-Unis (3,7 % en rythme annualisé au deuxième trimestre) et que le taux de chômage n’est plus que de 5,5 %, on a peur que tout cela soit encore bien fragile. Surtout dans un contexte où l’Europe et le Japon tardent à redécoller et que plusieurs économies émergentes traversent un passage à vide.
On doute aussi parce que ces malheurs à l’étranger renforcent le dollar américain, ce qui nuit aux exportations américaines, et parce qu’une augmentation des taux d’intérêt ne ferait qu’empirer le problème.
Mais on doute surtout parce que les prix et salaires dans une économie vigoureuse devraient normalement augmenter et qu’on ne trouve toujours pas de trace d’inflation, le taux de référence ne s’élevant qu’à 1,2 %, alors que la cible de la Fed est de 2 %.
Risque d’inflation ou de déflation ?
Pour certains, il ne faut pas attendre que la remontée de l’inflation se concrétise parce qu’il sera alors trop tard pour réagir efficacement et que l’on risque ainsi de compromettre les acquis de 30 ans de politique monétaire. On rappelle aussi que les faibles taux d’intérêt et toutes les liquidités injectées dans l’économie par les banques centrales ont plombé les rendements des épargnants en plus de pousser les investisseurs vers des placements de plus en plus risqués dans l’espoir d’en avoir plus pour leur argent.
Et puis, il y a la peur que la Fed n’ait pas le temps de suffisamment remonter ses taux avant que ne survienne l’inévitable prochaine récession, la laissant avec moins de munitions pour se battre.
Pour d’autres, la meilleure façon de se protéger contre la prochaine crise est de ne pas faire capoter la reprise avec un resserrement précipité des conditions monétaires. Le principal danger auquel font face actuellement les pays développés n’est pas l’inflation, mais la déflation, écrivait la semaine dernière l’économiste Carmen Reinhart sur le site Internet d’analyse Project Syndicate. On n’y a pas vu, disait-elle, l’inflation moyenne à un niveau aussi bas depuis 1933 et la Grande Dépression.
Dommages collatéraux
Gardiens de l’économie mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale craignent aussi que la remontée des taux aux États-Unis provoque une sortie massive de capitaux étrangers des pays en développement et assèche leurs sources de financement. Ces derniers en ont eu un pénible aperçu au printemps 2013 lorsque la Fed avait seulement évoqué l’idée de réduire le rythme de ses injections de nouvelles liquidités.
Mais la hausse se ferait très « graduellement » et s’arrêterait dans un lointain futur à un niveau bien inférieur aux autres fois, rétorquent les uns. Au FOMC, on parle tout au plus d’un taux de 3,75 %.
Mais puisqu’on vous dit que l’économie américaine n’est pas encore prête et que le contexte mondial n’est pas favorable, répondent les autres. Mieux vaut risquer d’attendre un peu trop longtemps et se retrouver brièvement avec un problème d’inflation que d’agir trop vite et tuer la croissance.
Mais l’on ne parle que d’une première hausse d’un quart de point de pourcentage, après quoi on verra, insistent les uns. Si tout va bien, on continuera. Si ça se corse, on pourra toujours arrêter et ce sera au moins ça de pris.
Justement, pourquoi risquer de tout faire capoter pour un misérable quart de point de pourcentage ? persistent les autres. Le début du relèvement des taux devrait lancer le signal qu’on a désormais confiance dans la solidité de la croissance.
Aaah, et puis des clous ! Remontez-les donc, vos damnés taux d’intérêt, et qu’on n’en parle plus. Ce sera toujours mieux que l’incertitude dans laquelle vous nous faites mijoter depuis des mois, ont déclaré, excédés, des banquiers centraux indiens, mexicains, indonésiens et péruviens dans un article étonnant du Financial Times,mercredi, où ils parlaient de la remontée des taux de la Fed comme on le ferait d’un sparadrap qu’on préférait enlever d’un coup.
PERSPECTIVES
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