Le silence de la France

Chronique de José Fontaine

La Wallonie est un Etat fédéré de Belgique de langue française, comme très largement Bruxelles. Bruxellois et Wallons vivent en français depuis 1830 (création de l’Etat belge) et bien avant. Ces deux Régions comptent à elles deux 4,5 millions d’habitants. La frontière qui sépare la Wallonie de la France sur des centaines de kilomètres traverse des populations très nombreuses, aux contacts facilités par la langue, les échanges de toutes sortes, les fêtes, les liens familiaux, tout. Dix, quinze millions de francophones au-dessus de Paris.
Pourtant, en notre paysage intellectuel, hormis nous, ce sont des chercheurs non-français, surtout anglais (au sens large), dont les apports sont seuls décisifs. L’Américain John W.Rooney renouvelle l’étude de la révolution belge. Le Suédois Höjer est le meilleur spécialiste de l’histoire parlementaire de 1918 à 1940. Les Irlandais Horne et Kramer ont étudié magistralement les massacres d’août 14 perpétrés principalement dans le pays wallon. Horne est un spécialiste de cette guerre et des répercussions sur les rapports Wallons/Flamands. L’Anglais Martin Conway est le meilleur spécialiste de la collaboration en Wallonie en 1940-1944. R.Arango est l’auteur d’un livre magistral sur la question royale (1940-1950). Plusieurs de ces chercheurs parlent le français à la perfection. Martin Conway, Professeur à Cambridge prépare un ouvrage sur la Belgique d’après guerre. L’Encyclopédie hollandaise Elsevier accorde dans les années 80 à la Wallonie une importance aussi grande qu’à l’Espagne. Les Allemands ont produit énormément sur la Wallonie, par exemple sur les différentes langues régionales. Au plan culturel, l’Américain Philip Mosley analyse la scission du cinéma belge entre cinéma wallon et flamand. Les dictionnaires, encyclopédies, sites internet (etc.), de langue anglaise fourmillent d’informations pertinentes, parfois ignorées des Wallons eux-mêmes, sur les sujets les plus divers
En France? Rien. Silence absolu. Ou des études bâclées, fourmillant, elles, d’erreurs ridicules au point que dans Le Monde le correspondant de la Belgique (un Belge), en viendrait à faire exprès ces erreurs pour coller au pays non pas de qui il parle (Belgique/Wallonie), mais à qui il parle (France). La revue française Hérodote, comme je l’ai déjà dit ici , explique les raisons de ce silence (également dans la littérature, le cinéma, le théâtre, la chanson), par le tabou que constitue, dans la représentation géopolitique de la France, un pays comme la Wallonie (ou la Suisse romande). Voilà des Français, mais hors de l’hexagone. Où peuvent-ils bien être alors? En nullité, comme dans les histoires suisses ou belges (et ces deux épithètes sont en déjà en elles-mêmes une manière de nous renvoyer dans les ténèbres extérieures). La France est foncièrement incapable de produire elle-même un concept de la Wallonie. Dans l’image qu’elle se fait d’elle et du monde, la Wallonie n’existe que sur le mode du n’être pas comme aurait dit Sartre.
Participant de sa culture, nous en pâtissons. C’est pour sortir la Wallonie du néant auquel la réduit la culture française que nous avons écrit en 1983 un Manifeste pour la culture wallonne. L’Etat belge, en effet, qui a toujours copié la France depuis 1830, copie en ses structures fédérales, la négation de la Wallonie par la France. Il y a bien une Région wallonne, mais l’enseignement est assuré non pas par la Wallonie, mais par une Communauté française chargée de l’enseignement et de la culture. Aux yeux de cette institution, il n’y a pas de culture wallonne et elle use de ses pouvoirs pour l'imposer, tacitement à tout le moins. Or, tout ce que je viens de dire démontre au contraire la forte spécificité de la Wallonie et des Wallons. Coincés entre la Flandre qui nous domine et la France qui nous ignore, nous avons quand même pu dire notre histoire et nos drames, nous avons écrit, filmé, peint, mis en scène l'existence des femmes et des hommes d’ici, leurs corps, leurs paysages. Pensant et souffrant, en nos luttes, un destin difficile de peuple minoritaire et meurtri, nous avons gagné le statut de peuple autonome portant l’embarras de la France à son paroxysme. A la place des Français, je serais gêné qu’on traite ainsi un peuple voisin, cousin, impossible à ignorer, et auquel – hormis nous – ne s’intéressent seulement, dans le monde, que des non-Français. L’homme libre admet volontiers ce qui est grand et se réjouit que cela puisse exister. La France me fait donc souffrir, car elle gâche ainsi sa grandeur. Cela me peine autant que le jour où, à Québec, j’observai, au Musée de la civilisation, des gamins de m… français s’esclaffer grossièrement de l’accent québécois des vidéos de présentation en lequel s’exprimaient de grands intellectuels de chez vous, pourtant incomparables témoins de la France en Nouvelle France.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    7 octobre 2009

    Les francophones de Belgique sont des Français pour la France. Est-ce que la France a vraiment accepté la création de la Belgique ?
    « Jusqu'à son indépendance, ce territoire est convoité par les nombreux souverains et gouvernements français et est le théâtre de beaucoup de batailles des guerres franco-espagnoles et franco-autrichiennes durant les XVIIe et XVIIIe siècles, ce qui lui vaut de porter le surnom de « champ de bataille de l'Europe » — une réputation qui sera renforcée par les deux Guerres mondiales.»
    Extrait de Wikipédia
    Le Québec ce n'est pas la Belgique. La convoitise était anglaise. C'est une autre histoire.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 octobre 2009

    Même si la défense du wallon me tient à coeur, je pose la question suivante à mon interlocuteur: n'est-ce pas plutôt les Français qui tendent à "impérialiser" leur identité nationale? Cet interlocuteur pose une question assez typique de ce que je dénonce finalement dans cet article. La France dédaigne ses "arpents de neige" canadiens ou son sillon industriel wallon (ou Genève, l'Afrique, le LIban...), mais des Français sortent de manière intermittente, tous les cent ans, ou plus, comme des diables hors de bénitiers, pour nous signaler, après nous avoir ignorés pendant des siècles, que nous commettons l'erreur de "nationaliser" notre "régionalisme". Et s'ils jouaient le jeu, plutôt, du plus beau mot de la devise de la République, la Fraternité?La Francophonie n'en serait-elle pas plus belle et plus crédible! Car, personne ici - personne! personne! - ne désire renier la France.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 octobre 2009

    Le wallon est une langue d'oïl qui n'est pas seulement parlée en Belgique mais aussi en France. Ce n'est qu'un dialecte parmi tant d'autre qu'on retrouve en France. Il ne faut régionaliser l'identité Française. Les Wallons sont des Français qui ont nationalisé leur identité régional, comme les Québécois, les Breton, les Acadiens et bien d'autre.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 octobre 2009

    Merci à tous ces commentaires.
    Gégé Tremblay a indiqué une belle vidéo très amusante. Mais d'un autre côté, bien qu'irrévérencieuse, elle avalise la situation unitaire (vécue comme unitaire, plus exactement), de l'Etat belge.
    Herman a raison de dire qu'il faut faire une distinction entre la Wallonie et Bruxelles. Je ne me fierais pas entièrement cependant à la source qu'il cite pour d'autres raisons. Si j'ai associé la Wallonie et Bruxelles, c'est parce qu'elle constitue présentement un ensemble (duel) francophone et que pour tous ceux qui sont dans cet ensemble, le français est une vieille histoire.
    J'ai parfois entendu parler de ces contacts entre les autonomistes de divers acabits en France et la CIA (Lucien Outers me disait cela: mais en même temps il y a toujours eu des contacts entre des autonomistes wallons et, par exemple, des personnes qui ont joué un rôle dans le voyage de De Gaulle au Québec, comme Philippe Rossillon - cité par Lacouture dans son De Gaulle, tome III, p. 512 - que j'ai rencontré un jour, très brièvement, il y a trente ans, il est décédé il y a quelques années) , dont parle Jean-Noël Kauffman. Mais je ne suis pas sûr que la France aurait peur des autonomismes possibles en son sein en raison seulement de la menace des USA et de l'Allemagne. Ils sont aussi autochtones. Possèdent une vraie vitalité. On ne sait pas jusqu'où ils iront. Mon sentiment serait qu'ils n'iront jamais bien loin (mais je me trompe peut-être), toutes les tentatives de certaines Régions de France pour obtenir le tiers de la moitié du quart (divisé par 100!) de l'autonomie wallonne actuelle, ont été étouffées dans l'oeuf par le Conseil Constitutionnel rappelant que la République française est une et indivisible.
    On a dit cela aussi (la CIA) du conflit entre Flamands et Wallons en Belgique. La seule chose dont on a témoigné ouvertement et sur la base d'archives, en plusieurs études historiques que l'on peut retrouver, c'est que de Gaulle a été écarté de Belgique, notamment par Pierre Harmel et que la France aurait même soutenu les autonomistes flamands (il y a une source fiable et récente sur cela), dans l'idée que faisant sauter la Belgique, ils offraient la Wallonie à la France. Il y a des sources fiables (Fernand Schreurs qui l'a écrit comme une chose sûre lui ayant été communiquée par un diplomate français de haut rang, dans des notes manuscrites des années 60, publiées en 1991 par la revue TOUDI), aussi qui permettent de dire que la France aurait peut-être - probablement? - soutenu/protégé la révolte wallonne contre Léopold III (mais la situation était vraiment très grave).
    En réalité, je ne parle pas ici des élites d'abord médiatiques ni même "intellectuelles" mais des chercheurs qui appartiennent à une population qui se livre à des travaux moins directement "dangereux" (tous les thèmes que j'ai cités: histoire, culture, sciences politiques, littérature...). Paul Ricoeur dit que l'idéologie possède aussi une fonction d'intégration. C'est la façon dont se voit une collectivité humaine et qui lui permet, en se voyant, d'exister comme "nous". Or, dans l'idéologie française, il n'y a pas de place pour la Wallonie ni la Suisse romande comme collectivités. Un peu plus pour le Québec. Lorsque vous regardez de vieux dictionnaires Larousse, dans les drapeaux des Etats souverains, ils reprennent celui du Québec, bien avant 1967 (déjà dans les années 50). Toutes les études françaises sur la Belgique sont décevantes, ne vont pas au fond des choses et, au total, n'apportent rien. Comme ce sont des chercheurs dont je parle ici, je me dis que, comme les Français moyens (et aussi sans doute les politiques et les diplomates, mais eux pour d'autres raisons), bien avant même tout calcul réfléchi (du type "attention à la Wallonie, elle va donner le mauvais exemple à la Bretagne"), il y a une incuriosité foncière (*). Elle est décevante, par rapport à l'intérêt d'autres chercheurs de différents autres pays (l'Allemagne, la Suède, l'Angleterre, les USA...). Christophe Traisnel est l'exception qui confirme la règle. J'en tire comme conclusion que la France - ni délibérément, ni spontanément - aide à l'étouffement de l'identité wallonne en Belgique où en divers milieux elle paraît tout aussi incongrue que dans la vision que la France a d'elle-même. Heureusement - si je puis dire - nous ne sommes pas français et nous nous prenons en charge. Il y a vraiment un très bon travail des Wallons au plan historique, géographique, culturel, économique, sociologique. C'est très vaste et valable à mon sens, dynamique aussi. On peut en avoir une idée en consultant l'Institut Destrée, la Fondation wallonne, les archives de TOUDI, le site officiel de la Région wallonne, les Universités de Wallonie...
    (*) Mais pas chez les Anglais ou gens de langue anglaise que je cite, en raison d'une fascination pour ce qui est "français" qui profite à la Wallonie (il y a aussi beaucoup d'études américaines et anglaises sur la France, bien plus que sur la Wallonie évidemment). Donc, indirectement, nous bénéficions du fait d'être proches d'une grande culture qui a encore un rayonnement important dans le monde. Cela, je ne vais pas le nier évidemment! Comme je ne renierais jamais la France et notre lien avec elle. jamais, évidemment! Mais...

  • Archives de Vigile Répondre

    3 octobre 2009

    Affirmer ici que Bruxellois et Wallons vivraient en Français depuis la création de la Belgique en 1830 est ni plus ni moins que de la malhonnêteté intellectuelle.
    Bruxelles était à cette époque une ville flamande comptant 15% de francophones et hormis leurs élites, en 1830 une très large majorité de Wallons parlaient ... le Wallon !
    Je vous livre ici un petit copié collé pris sur un site universitaire québecois :
    «7 La Belgique indépendante (1830)
    Au moment de la création de l'État belge en 1830, la Constitution avait prévu un État unitaire, sans langue officielle reconnue
    Dans les faits, le français fut utilisé comme la seule langue officielle. Or, à cette époque, la majorité de la population belge avait comme langue maternelle son parler local, à savoir, d’ouest en est et du nord au sud, le west-flandrien, le flamand, le brabançon, le limbourgeois, le picard, le wallon, le francique rhéno-mosan (carolingien), le champenois, le lorrain ou gaumais, ainsi que le francique mosellan luxembourgeois. La ville de Bruxelles, quant à elle, ne comptait à ce moment-là que 15 % de francophones; il s’agissait, comme dans toutes les autres villes de Flandre, des classes aisées de la population autochtone et d’une petite minorité de Français immigrés dans la ville.»

    Pour lire la suite aller sur
    http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/belgiqueetat_histoire.htm
    Bien à vous,
    Herman

  • Archives de Vigile Répondre

    3 octobre 2009

    Bonjour M. Fontaine,
    Si les élites politiques, "intellectuelles" et médiatiques de la France ne s'intéressent pas au Québec, à la Wallonie et à la Suisse romande, il y a à mon sens plusieurs raisons à cela.
    La première, et la plus importante, c'est tout simplement la peur d'un démantèlement de la France par les Etats-Unis. Certains ont dit (en 1995, je crois) : "Si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi." Les services secrets états-uniens entretiennent des liens suivis avec les divers groupes autonomistes bretons, basques, corses, etc., ce qui est une manière de dire à la France : "Si le Canada (ou la Belgique ou la Suisse) est divisible, la France l'est aussi." Charles Pieri, indépendantiste corse ayant des liens avec la pègre, a ainsi été arrêté en 2003 à la veille de s'envoler pour les Etats-Unis où il devait rencontrer des responsables de la CIA.
    Il y a aussi eu l'épisode de la reconnaissance unilatérale (et illégale au simple regard du droit international) de l'indépendance de la Croatie par l'Allemagne et les Etats-Unis en 1992. C'était, de la part des Etats-Unis, un message adressé à la France (et à d'autres pays comme l'Espagne) : "Nous seuls sommes les maîtres, si vous soutenez des minorités qui ne nous sont pas favorables, ou l'intégrité territoriale de pays qui nous ont hostiles, nous soutiendrons les forces autonomistes chez vous de telle manière à ce que votre pays soit démantelé ou tombe dans la guerre civile." De ce point de vue, en France, l'avertissement n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd (il suffit de se souvenir du manque presque absolu de réactions officielles françaises au référendum québécois de 1995).
    Et enfin, il y a la fascination des élites françaises pour tout ce qui est anglo-saxon, fascination mêlée d'un tenace sentiment d'infériorité. Ce dernier point a été très bien traité par Régis Debray dans son livre "L'Edit de Caracalla", paru en 2002.
    JJK

  • Archives de Vigile Répondre

    3 octobre 2009

    La Belgique
    http://www.youtube.com/watch?v=ddxRJrPOo1o&eurl=http%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2Finbox%2F%3Fref%3Dmb&feature=player_embedded