Le Québécois, cet Autre

Soumis à la conception canadienne, les Québécois la font leur, et provoquent la très lente — et d’autant plus pénible ! — désagrégation de leur propre société.

Le multiculturalisme et ses dérives

Chaque conscience poursuit la mort de l'Autre. — Hegel
Le néo-nationalisme québécois est en partie étranger à l'ancien, groulxiste et bourassiste. Il est né en fait de cette grande ébullition des années 60, ayant produit le mouvement afro-américain des droits civiques, l’anticolonialisme, le mouvement des droits des gais et le féminisme de deuxième vague. Ce faisant, il balaya une grande part du messianisme chimérique et du conservatisme attardé qui affligeait ses prédécesseurs, l’ancrant davantage dans le réel et l’action. Et dès lors que ce nationalisme quitta le monde du fantasme (voyant le Canadien français investit de la tâche divine d’évangéliser l’Amérique, ou de reprendre contrôle du Canada par la natalité... du fantasme, vous dis-je)... dès qu’il retourna sur terre, donc, il n’eût d’autre choix que d’y constater l’impasse que la Confédération lui imposait.
Outre leur idéal émancipateur, ces divers mouvements ont eu en commun d’analyser les rapports de domination par la philosophie, la psychanalyse et le marxisme. La dynamique entre le dominant et le dominé, ou le sujet et l'Autre, et la dynamique conditionnant l'un et l'autre furent au centre de leur réflexion. Cette approche fut utilisée pour le Québec, ce qui attira les regards des principaux penseurs de l’anticolonialisme. Albert Memmi, auteur du nécessaire Portrait du colonisateur, Portrait du colonisé, avait reconnu chez les Québécois les attributs de l'homme colonisé. Il y consacra d'ailleurs un texte, Les Canadiens français sont-ils des colonisés?, joint à une édition de 1972 du classique. Jacques Berque séjourna au Québec et livra la même opinion en conférence, ainsi qu'au journal riniste (1) L'Indépendance, en mars 1964. Aimé Césaire fut flatté (2) par la reprise du concept de négritude par Pierre Vallières (3) et même Jean-Paul Sartre a su affiché son soutien pour l'indépendance (révolutionnaire, bien-sûr) du Québec.
Ce type d'analyse est toujours honoré au sein des autres mouvements émancipatoires, et ce, tout en débattant de ses limites pour le monde actuel. Le mouvement du Québec fait figure d'exception: avec la brisure de 1980, son peuple en a fait un tabou, un lieu d'amnésie... comme il lui est caractéristique faire à tant d'autres sujets. Nous verrons pourquoi. Pourtant, l'analyse se retrouvant au sein de ces théories ont encore résonance dans le Québec d'aujourd'hui, notamment dans ce rapport entretenu avec le peuple canadien anglais.
En fait, la condition québécoise trouve résonance chez «l'Autre», concept s’apparentant à la dialectique hégélienne, repris par l’anticolonialiste Frantz Fanon. Toutefois... dans ce texte, je ne ferai d’abord référence à Fanon qu’en filigrane. Cette optique pouvant sembler — faussement — lointaine pour le Québécois, je ferai plutôt référence à cette pensée connexe ayant utilisé ce même concept: soit, le féminisme. Après-tout, le Québec est immanquablement assimilé à la femme du «couple» canadien. J’aurai donc pour entreprise, dans ce texte, de tisser le lien logique entre la pensée de Simone de Beauvoir et la situation québécoise, tout en suggérant Fanon, illustrant ainsi l'aspect commun de domination et d‘aliénation.
Le regard
Pendant près d’un siècle, Montréal a été le poumon économique du Canada. Puis, dans les années 1960 et 1970, les grandes entreprises anglophones partirent s’installer à Toronto, fuyant les excès du nationalisme québécois. Les querelles constitutionnelles incessantes n’aidant pas, la ville connut deux décennies de marasme économique. Son prestige touristique reposait en grande partie sur sa proximité avec les États-Unis, qui voyaient en elle un coin d’Europe sans décalage horaire, et sur sa réputation de ville festive, datant de la prohibition américaine des années 1920. Ces dix dernières années, le changement a été spectaculaire. Montréal a reconstruit son économie [...] Quant au particularisme francophone, la cause de tous ses maux, il fait aujourd’hui sa plus grande force. [...] Montréal réunit aujourd’hui le meilleur de la France et du Canada. (4)
Ainsi s'ouvre l'édition montréalaise de 2008 d'un guide de voyage très branché, le Wallpaper City Guide. Le Québec et son histoire, une conquête, une rébellion et une annexion, une tentative de disparition programmée, une lutte pour la survie, un éveil des noirceurs, une époustouflante reprise en main d'un peuple refoulé, l'effervescence d'une culture renaissante... tout cela a bien peu d’importance.
Le récit est plutôt celui-ci. Jadis fut le temps béni du Montréal anglais. Les French nous servaient de l’alcool lors de nos soirées festives et leur curieux patois étranger nous amusait. Puis, les «separatists» ont tout gâché, en demandant d‘être «respectés». Les anglophones ont quitté et, naturellement, le soleil a suivi. Mais heureusement, depuis 10 ans (depuis l’échec référendaire et la mort providentielle du nationalisme), la lumière (donc, l‘anglophone) revient, les pelouses reverdissent, les oiseaux gazouillent (...et taisons que la reprise économique a eu lieu sous la gouverne séparatiste). Les French redeviennent dociles, et nous pouvons enfin apprécier Montréal comme on a toujours voulu le faire: comme un gros pavillon français du Epcot Center au Canada, un «village historique» de 2 millions de figurants. «Un coin d’Europe sans décalage horaire, le meilleur de la France et du Canada», ceci, donc, est l’image du Québec offerte à lui-même et au monde.
On aura vite compris que ce texte fut composé par un anglophone. Wallpaper, magazine britannique (fondé par un Canadien anglais) a donné tout naturellement la parole à une personne de langue anglaise pour décrire la deuxième plus grande ville francophone du monde. Ce dernier livra la vision étriquée du Québec commune en ce milieu. Cette approche est systématique. Dans les moments les plus prolifiques du Quebec Bashing dans les médias, les journaux allemands, la télévision américaine et les autres médias internationaux n'agissent pas différemment. Lorsque des activistes anglophones ont comparé le Québec contemporain au sud ségrégationniste étatsunien ou à l'Allemagne nazie, ces médias étrangers ont accepté ces groupes marginaux comme de dignes représentants locaux.
S'il en est ainsi, c'est que seule la perspective anglo-canadienne est véritablement souveraine, et explique le pays au monde. À l'étranger, le Canada est un pays anglais, où il y a des Français; et ce parce que la conception anglo-canadienne est celle d'un pays d'abord anglais, où il y a des Français. Par conséquent, il ne viendrait pas même à l'esprit de l'étranger moyen de demander ce que pense le francophone. Comprenons-nous bien: pour connaître l'âme de l'Australie, on ne demandera pas l'avis du kangourou. Ce dernier est là comme décor exotique; il est être passif, non être agissant. On demandera plutôt à l'anglo-saxon ce qu'il pense du kangourou. ...et ce que ce dernier lui apporte. De la même façon, à la porte d'une résidence, on demandera «l'homme de la maison», à la femme qui nous accueille. «Take me to your leader!», disait l'extra-terrestre du film de série B.
L'Autre
Cela s'explique! Au sein du Canada, le Franco-Québécois est condamné au rôle de l'Autre. ...semblable à celui dénoncé par de Beauvoir, concernant la femme. Car l’Autre n’est pas sujet; l’Autre est objet. Il sert au sujet. L'Autre est défini par ce sujet, selon ses intérêts. Il ne peut être défini par lui-même. Il n'a droit au respect qu'en mesure de sa ressemblance, ou de ce qu'il peut lui apporter; son utilité. S’il s’en différencie, et se fait par conséquent sujet, il sera rabaissé. «[L'Homme] représente le type humain idéal. Tout ce qui différencie la femme, on le blâme, on le considère comme une faute», écrivait la philosophe. (5) Le Canada ne refuse-t-il pas toute reconnaissance du caractère distinct du Québecois? Ne l’affuble-t-il pas des pires calomnies lorsque ce dernier affirme ce caractère? Alors, la seule manière que le Québécois puisse regagner l’estime du Canada est en s‘y fondant à nouveau. Un livre du journaliste Peter Desbarats sur René Lévesque a pour titre «A Canadian in Search of a Country» et Lucien Bouchard, à son départ, fut ironiquement honoré du titre de «Great Canadian». L'Autre ne peut être sympathique, et ne peut avoir de valeur, qu'en mesure où il ressemble à soi.
Demandez au Torontois ce qu'il pense du Québec. D'abord, il circonscrira le Québec entier à Montréal, la ville où il trouve ce qui lui ressemble. Tout au plus, il mentionnera la ville de Québec comme curiosité de passage, qui lui rappelle les villages d’une France lointaine et imaginaire. Chicoutimi, pour sa part, est une distante considération (...mais, North Hatley, dans les «Townships», peut-être...). Dans la bouche du Torontois, Montréal sera invariablement, immanquablement, indubitablement «so multicultural», même si elle l'est dans les chiffres beaucoup moins que sa propre ville! C’est insensé, à moins bien-sûr qu’on considère les francophones comme une ethnie Canadian parmi d'autres. Aussi, on ne manquera pas de souligner à gros trait, et ce, deux fois plutôt qu'une, combien les habitants francophones sont «so european»... «so» étranger, donc.
Jamais ne fera-t-on référence à la culture québécoise, ou si peu. D’ailleurs, dans la citation du guide de voyage, on notera que l’unique mention de l’adjectif «québécois» est négative, et que, tant qu’il s’affirme (plutôt que se donner en spectacle), le «particularisme francophone» du Québec est «la cause de tous ses maux». Jamais ne concevra-t-on cette société de l‘intérieur (le propre du sujet). On la concevra de l‘extérieur (le propre de l‘objet). La citation adopte le point de vue du touriste, et de l’anglophone, les seuls sujets possibles. Quand ce sujet quitte, la vie quitte, puisque sans lui, l’objet n’est d’aucune utilité. Il n’y a point de réciprocité: le Canadien existe sans le Québécois; pas l’inverse. Jamais ne valorisera-t-on la différence du Franco-Québécois; elle ne peut être que distraction, ou nuisance. Jamais ne fera-t-on référence à son enracinement. On valorisera plutôt — et ce, démesurément — son déracinement.
De Beauvoir écrivait: «Mais ce que l'homme veut vraiment dire quand il parle de la sensibilité de la femme, c'est son manque d'intelligence, son irresponsabilité quand il parle de charme, sa traîtrise quand il parle de caprice.» (6) Souvent, les plus grands compliments cachent les plus grandes insultes. «Aimez-vous le Québec?», demandait-on à l’auteur Mordechai Richler. «Bien-sûr, j'ai un chalet dans les Cantons-de-l'Est!», répondait-il, comme on dirait d'une femme «Bien-sûr que je l'aime; lui avez-vous vu l'air?» Dans la relation avec l'Autre, seules les qualités extérieures, superficielles, utiles à soi peuvent susciter l'admiration. Dans une entrevue, lorsqu’on demanda à Richler pourquoi il ne voulait pas parler en français, il répondit à la journaliste: « Et vous, parlez-vous Yiddish? » L’ethnicisation. La minorisation, toujours la minorisation.
En cantonnant le dominé au rôle de l’Autre, le dominant justifie la domination de celui-ci. Dans notre cas, il lui est donc nécessaire d'enfermer le Québécois dans son rôle d'étranger en Amérique, comme la femme est étrangère au monde de l'homme. Il lui faut affirmer la possession du territoire du Québec par le Canada, comme le corps de la femme, au final, n'était pas sien. Faire autrement serait faire du Québécois un sujet de sa propre existence, invalidant la hiérarchie. Le multiculturalisme est un leurre, car pour permettre l’enracinement total de l’anglophone partout au Canada, il est nécessaire de déraciner le francophone partout au Canada. La situation a pour effet de minoriser le dominé, puis de le «dépersonnaliser». Le dépossédant de toute valorisation propre, on lui retire alors toute prétention légitime à la liberté, à l‘égalité, voir à l‘existence même.
La dislocation, l'effritement, l'anéantissement
moi je gis, muré dans la boîte crânienne
dépoétisé dans ma langue et mon appartenance
déphasé et décentré dans ma coïncidence — Gaston Miron (7)
Dès lors, on comprendra les conséquences de ce regard intériorisé, de cette dépersonnalisation: la remarquable fragilité de l'identité franco-québécoise. Cette faiblesse est particulièrement effarante chez les francophones hors Québec. Et voilà où j’en arrive (plus explicitement, du moins) à Fanon. Car immergés dans un milieu qui ne peut le valoriser que malgré sa singularité — et non en raison de sa singularité — le Franco-Canadien (8) en viendra rapidement à singer le dominant. Il portera le masque, tel le colonisé de Fanon (voir Peau noire, masque blanc), séjournant en métropole.
Étranger dans un monde anglophone, le francophone hors Québec devient étranger à lui-même. On passe alors du «speak white» au «act white». À Ottawa, les Gérard deviennent vite des Gerry, les Bernard des Bernie. Pour accéder au respect — et au pouvoir — il vaut mieux porter un nom d'enfant anglais qu'un nom d'adulte français. Et s'il s'agit d'un Éric, il apprendra bientôt à «sublimer» l'accent aigu, à le faire disparaître de son écriture et de son esprit, comme on dissimule savamment l'accent des logos du Parti «libéral» ou de «Téléfilm Canada». Ensuite, on nommera les rejetons Paul (...Martin, Desmarais...), ou Simon... ou « Justin »... des noms « bilingues ». Ils auront alors la fierté d'avoir été nommés comme on baptise un organisme gouvernemental («Transport-Canada Trudel», c'est joli...). Pas de soucis, les petits-enfants porteront de vrais noms: John, Michael, Stephen. Au moins 4 Franco-Canadiens sur 10 mourront Anglais, et sans doute beaucoup plus, selon la tendance. Tout cela pour trouver la reconnaissance d’un monde anglophone où il ne peut être reconnu en soi, menant à cette inexorable disparition. Insidieusement, efficacement, le rapport de John Lambton, comte de Durham poursuit son œuvre d’effritement.
Ensuite, chez le Franco-Américain! ...la dépossession est plus prodigieuse encore. Par exemple: une conférence tenue à Montréal en 2008 permettait de rencontrer deux Franco-Américains toujours francophones de Nouvelle-Angleterre. L’homme du Maine discuta d‘une université centrale à la vie franco-américaine dans l‘état. «Reçoit-on des journaux du Canada?», demanda-t-on. «Bien-sûr», répondit-il, «Le Globe & Mail, le Toronto Star... Le Telegraph-Journal de Saint-John...» ...pas un seul journal francophone! ...et ce trou noir est le plus prégnant chez le Franco-Américain assimilé. Lorsqu'on le questionnera au sujet de ses origines, il vous relatera invariablement comment il a retracé ses racines dans ce petit village du Poitou ici, ou cet autre joli hameau de Normandie juste là. De l'enracinement de ses ancêtres au Québec, au Canada français, il ne reste souvent aucune trace dans son imaginaire. Amnésie totale. Anéantissement intégral.
De la partie la plus noire de mon âme, à travers la zone hachurée me monte ce désir d’être tout à coup blanc. Je ne veux pas être reconnu comme Noir, mais comme Blanc. — Frantz Fanon (9)
Au Québec même, ne peut-on pas percevoir l’amorce de ce même processus, celui de l’obéissance à l’interdiction de s’affirmer, d’exister? Songeons à la valorisation démesurée d’un l'anglais parlé «sans accent». ...alors que tous les autres accents du monde sont considérés «charmants», et «sexy». Cette singularité, cette tare... Pensons à cette propension à s’affirmer «Québécois» entre nous, et «Canadian» ou «French Canadian» à l’extérieur. Le masque... Pensons aussi à la gêne, voir le refus d'affirmer notre identité propre et notre histoire propre, et ce même lors d'événements majeurs et éminemment intimes, tels que le 400e de Québec. La représentation de l’événement par la Gouverneur impériale en France a, dans le champ francophone, réaffirmé la conception mémorielle canadienne anglaise. Pendant ce temps, à Québec, on frémissait à l'idée même d'associer Champlain ou le fleurdelisé aux festivités. Les valeurs, la mémoire, la projection vers l’avenir: les autres s’en chargent pour nous. Alors dépouillés de tout ce qui fait d‘un peuple un peuple, il ne nous reste que le mercantilisme. Les médias et les politiciens l‘ont proclamé: ce fut un succès car... ça a fait tellement d‘argent.
Songeons aux cours d'histoire du Québec, moribonds au collégial. Le Devoir nous apprenait récemment que le taux d'inscription aux cours d'histoire du Québec au CÉGEP chute depuis les années 90 (tiens tiens), le portant aujourd'hui à moins de 5%. (10) Évoquons l’amnésie collective des Québécois à propos de leur propre histoire! Rappelons le complexe d’infériorité, la piètre qualité de la langue... Nommons, finalement, le cynisme politique accablant. L'immobilisme de la politique québécoise actuelle est saisissant, à droite comme à gauche, chez les souverainistes comme chez les fédéralistes. Après-tout, qu'est-il advenu des manifestes lucide et solidaire, des conditions gagnantes et du fédéralisme renouvelé, de la Commission Bouchard-Taylor? Nous ne somme même pas en mesure de renommer nos rues (Robert-Bourassa, Amherst...). Tel est l’état de pétrification dans laquelle notre dislocation nous a placés.
Affirmer son unicité, cultiver l’estime et la connaissance de soi, baptiser son territoire, s‘ancrer dans celui-ci, s’inscrire dans le monde, viser l’excellence et se dessiner un avenir: cela est interdit à l‘Autre. Agir ainsi serait se faire sujet de sa vie. Se faire sujet de sa vie rendrait injustifiable la domination. Il demeure donc hors du monde et hors du temps. Il n’est pas l’acteur de son histoire, de son existence. Il est Autre.
Le choix
Lorsque deux catégories humaines se trouvent en présence, chacune veut imposer sa souveraineté. [...] Si une des deux est privilégiée, elle l'emporte sur l'autre et s'emploie à la maintenir dans l'oppression. — Simone de Beauvoir (11)
Soumis à la conception canadienne, les Québécois la font leur, et provoquent la très lente — et d’autant plus pénible! — désagrégation de leur propre société.
Voilà notre indicible mal.
Avant la libération de la femme, dit de Beauvoir, «l'homme seul inventait l'avenir», alors que la femme «ne consistait pas à construire positivement, mais à lutter contre la destruction». Tels s'articulaient les rôles pour les Canadiens anglais et les Québécois, de l’échec des Patriotes jusqu’à la Révolution tranquille, avec parfaite concordance. Alors que le mouvement d'émancipation québécois perd de son élan, le conservatisme, conséquemment, reprend depuis du terrain en politique québécoise. ...et nous replongeons dans le fantasme et acceptons d’être bernés, alors qu’on se laisse croire que notre nation est reconnue par une autre qui la refuse avec éclat. Ainsi, le Québécois au Canada est condamné à affirmer sa vitalité et en être puni, ou assumer qu'il est second, inégal; un simple prolongement. Cela implique qu'il cesse de cultiver sa nationalité, sa mémoire et son avenir. Cela implique une forme de conservatisme, de stagnation, de soumission.
Avec la situation de la femme, une différence frappe, toutefois. Pour celle-ci, la soumission n'a laissé dans l'histoire que deux possibilités: l'acceptation, et l'émancipation. La troisième solution, qui serait l'assimilation, lui est interdite par la nature même. Pas pour le Québécois. Dans ce cas, l’acceptation est une option, mais elle mène vers une trajectoire bien précise, dont l’amorce et la forme sont déjà perceptibles: la dislocation, l'effritement, l'anéantissement. À l'opposé, il y a le choix de sortir d’un état imposé de minorisé, et d'établir l'égalité. Il y a le choix de la liberté.

Notes:
(1): Ayant trait au Rassemblement pour l’indépendance nationale.
(2) Voir le documentaire La Manière nègre; ou Aimé Césaire, chemin faisant, de Jean-Daniel Lafond.
(3) Voir Nègres blancs d‘Amérique.
(4) McCann, Paul. Wallpaper City Guide: Montréal. Paris : Phaidon, 2008, p.3.
(5) De Beauvoir, Simone. « Feminity, the trap ». Vogue (New York), 15 mars 1947.
(6) De Beauvoir, Simone. « Feminity, the trap ». Vogue (New York), 15 mars 1947.
(7) Miron, Gaston. «Monologues de l'aliénation délirante». L’homme rapaillé. Montréal : Éditions Typo, 1998, p.92.
(8) Par «Franco-Canadien», j’entend «francophone des provinces canadiennes à majorité anglophone».
(9) Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs. Paris : Éditions du Seuil, 1952, p.71.
(10) Rioux, Christian. « Cachez cette histoire que je ne saurais voir! ». Le Devoir (Montréal), 12 et 13 septembre 2009.
(11) De Beauvoir, Simone. Le deuxième sexe I. Paris : Éditions Gallimard, 1949, p.109.
(12) Un sondage effectué lors du débat sur la motion reconnaissant la motion sur la nation que formeraient «the Québécois» (ce qui est très différent de «les Québécois») démontrait que 77% de la population du reste du Canada ne reconnait pas que les Québécois forment une nation.


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5 commentaires

  • Benoît Rheault Répondre

    1 novembre 2009

    M. Duranleau,
    Merci pour votre lecture.
    Ne somme nous pas en train de couper les cheveux en quatre? D'abord, j'ai utilisé l'adjectif "franco-québécois" car je m'apprêtais à parler des francophones du Canada anglais et des États-Unis, et c'est le terme, imparfait comme tous, qui m'a semblé le moins innaproprié pour désigner à la fois eux et nous. J'ai voulu donc, au contraire, ne pas diluer l'appellation de notre nationalité dans ce terme démolinguistique, "frrrrrancophone", qui représente une "communauté linguistique" (non une nation), concept parfaitement trudeauiste. Mon "franco-québécois" incluait tout Canadien français hors Québec et tout immigrant québécois ne serait-ce que modérément intégré. ...les cheveux en quatre, vous dis-je.
    Ensuite, je crois que notre erreur est parfois de prendre nos désirs pour des réalités. Le fait est que un groupe homogène faisant partie de nos concitoyens (les anglophones) refuse l'existence de la nation québécoise. Aussi, et surtout, la légitimité de cette nation n'a pas d'assise formelle, telle qu'une reconaissance internationale. Si l'on se borne à se faire croire que la nation québécoise existe déjà pleinement, à quoi bon faire l'indépendance? La légitimité de la nation québécoise n'est manifestement pas une vérité évidente en soit, à la face du monde. C'est à nous d'établir la légitimité.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    1 novembre 2009

    Monsieur Rheault, je crois que la formule du site permet que je m'adresse directement à M. Luc Duranleau,
    Monsieur Duranleau,
    Il me semble que vous avez lu trop rapidement cet auteur. Le terme franco-Québécois vous a sauté dessus parce qu’il est désormais banni du vocabulaire indépendantiste. On souhaite, bien sûr, parler des Québécois comme d’une nation de langue française où une minorité d’expression anglaise serait dite « les anglo-Québécois ». Bien sûr, ce serait le vocabulaire officiel dans un pays indépendant. Mais l’angle que prend M. Rheault pour commenter l’approche Canadian d’un guide touristique est celui du monde anglo qui observe le Québec comme un corps étranger à polir. L’auteur n’a peut-être pas été sensibilisé à cette précision sémantique et il glisse 2 fois l’expression qui vous a bloqué. Je crois donc votre réaction exagérée. Vous extrapolez même en des attaques injustifiées : « Cessez donc de véhiculer sournoisement ces doctrines assimilatrices de notre identité nationale et linguistique. »
    Est-ce votre qualité de candidat Parti Indépendantiste (PI), parti protestataire négligé de la population, qui vous prive de l’aptitude à constater l’échec regrettable de notre projet ? Je le dis par lucidité, mais sans baisser les bras de mon vivant : Avec le RRQ, je côtoierai encore quelques dizaines d’irréductibles à chahuter cette semaine le Prince Charles, représentant de notre domination. Pendant ce temps les Québécois, nation de langue française, me regarderont en se demandant de quoi je me plains.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2009

    Bonjour messieur,
    Vous souffrez de névrose identitaire tout en cautionnant dans votre discours des doctrines multiculturalistes fédérales.
    Lorsque vous dites : «Dès lors, on comprendra les conséquences de ce regard intériorisé, de cette dépersonnalisation : la remarquable fragilité de l’identité franco-québécoise.», il est clair que votre névrose est profonde car vous faites la promotion d'un colonialisme au 2e dégré.
    La nation québécoise est une nation de langue française. Le terme franco-québécois est un pléonasme car la nation québécoise est française. Donc, inutile de le préciser. Tous ceux qui parlent uniquement anglais au Québec sont tout simplement «Canadian», pas des anglos-québécois. Il coexiste deux nations dans la province comme il coexiste deux nations à travers la fédération (et n'oublions pas les peuplades autochtones). Ce terme reflète un endoctrinement colonial au même titre que le terme canadien-français.
    Cessez donc de véhiculer sournoisement ces doctrines assimalitrices de notre identité nationale et linguistique.
    Luc Duranleau

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    31 octobre 2009

    Quelle mélancolie nous vient en lisant cette description si fidèle de notre déchéance!...
    Et vous rejoignez, par hasard je crois, l'autre titre tout neuf sur La Tibune: ILLÉGITIME, de Frédéric Lacroix.
    Votre dernìère phrase: "Il y a le choix de la liberté." retentit comme la mélopée de l'esclave du fond de la plantation... ou comme le cri de Révolution qui devrait nous réunir sous les drapeaux...
    Mais la nation québécoise s'accommode de l'assimilation, l'imitation du conquérant.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 octobre 2009

    Votre analyse paraît très juste, très révélatrice de notre situation, de ce que nous sommes devenus et devrait faire l'objet d'une publication à grande échelle car pour que les québécois agissent, ils doivent d'abord se connaître. La connaissance est la liberté.