L’image de tolérance que dégageait le Québec a pris un sacré coup. Après une campagne médiatique des plus acharnées contre la présence étrangère dans la province canadienne et un sondage démontrant que 59 % des Québécois sont racistes, un conseiller municipal monte au créneau et demande au gouvernement de décréter l’état d’urgence pour « protéger l’identité du peuple ».
Si pour beaucoup d’Algériens le Canada reste le symbole des droits de l’homme et de la tolérance où même le mariage entre personnes de même sexe est légal, la dernière agitation et l’hystérie collective qui ont secoué le Québec contre la présence des immigrés risqueraient de pousser plus d’un à réfléchir à deux fois avant de prendre sa décision de laisser son pays et de venir s’installer dans une province dont les valeurs fondamentales « assurent à chaque personne le droit de choisir librement son style de vie, ses valeurs, ses opinions et sa religion », dixit le site Internet du ministère de l’Immigration.
Tout a commencé en 2006 quand un jeune écolier sikh a obtenu, après un procès à la Cour suprême du Canada, le droit de porter un kirpan (une arme symbolique s’apparentant à un poignard). Si en Ontario, autre province canadienne, son port n’a pas posé problème, au Québec il a fallu trancher le débat par voie judiciaire. Une décision qui sied au modèle de société basé sur le multiculturalisme aux Etats-Unis, on ne jure que par le melting-pot et le principe juridique d’accommodement raisonnable (voir encadré).
Les médias (journaux, magazines, télévisions, radios et sites internet) du groupe Quebecor détenu par la richissime famille Péladeau ont, apparemment, décidé de montrer aux Québécois ce qui est et ce qui n’est pas accommodable quand il s’agit de pratiques sociales ne faisant pas partie de la culture des « pure laine » (appellation pour désigner les Québécois de souche). A tel point que l’expression « accommodement raisonnable a acquis une connotation péjorative ».
Ainsi, le public a été inondé pendant plusieurs mois de cas traitant de dépassements de certaines communautés que ces médias ont sciemment présentés comme des cas d’accommodement raisonnable. Comme dans le cas de la communauté juive hassidique qui a imposé à un centre sportif pour femmes de peindre ses fenêtres, car située en face d’une école juive. Le cas isolé de parents musulmans ne voulant pas que leurs enfants prennent part à des cours de musique ou celui de femmes musulmanes refusant d’assister avec des hommes à des ateliers sur l’accouchement ont été servis à toutes les sauces.
La ministre de l’Immigration, Lise Thériault, dans une interview à la radio Internet salamontreal.com reprochait à ces médias leur traitement du sujet : « On a dénaturé la notion d’accommodement raisonnable quand on parle des vitres teintées au YMCA, ce n’est pas un accommodement raisonnable, c’est une entente entre un conseil d’administration et une communauté. Pourquoi avoir givré les vitres du gymnase et non pas celles de l’école ? La question reste posée, mais ce n’est pas à moi d’y répondre, mais à mon sens, ce n’est pas un accommodement raisonnable. »
Après ce battage médiatique, les mêmes médias ont réalisé un sondage, dont le dernier des cancres d’une classe de communication aurait prévu les résultats après une telle campagne. Il en ressort que 59 % des Québécois se déclarent racistes. La communauté arabe obtient la palme de la réprobation aux yeux des sondés avec 50 % d’opinions défavorables. Il est clair que pour celle-ci, le 11 septembre est passé par là. Il est vrai qu’au Québec dont 12 % de la population est composée d’immigrants, et à l’opposé de l’Europe, on ne verra jamais une vieille dame serrer son sac dans le métro dès qu’une personne au teint basané monte dans la voiture. Mais les débats qui ont suivi le sondage ont ouvert la porte à une haine anti-arabe et anti-musulmane.
Crise identitaire
Par un effet d’entraînement, des intervenants sur les plateaux des émissions de télévision, de radios et dans les journaux se sont donnés à un exercice très prisé en Occident actuellement : casser de l’Arabe et du musulman. Comme si une partie de la société québécoise ressentait le besoin de démontrer son attachement à sa culture en malmenant l’autre. Omar S., un Algérien enseignant l’anglais à Montréal, affirme qu’il a été surpris par la réaction d’une de ses élèves qui lui a lancé en pleine classe, en pleine hystérie anti-Arabe : « Je ne vous aime pas vous et le prof de sport (un Algérien, ndlr) » et ceci « bien que ce professeur de sport fasse tout pour cacher ses origines algériennes », ironise Omar S.
La cerise sur le gâteau est venue d’un petit village, Hérouxville qui a édicté des normes de vie auxquelles doit être astreint tout nouveau venu (voir les extraits sur les normes de vie d’Hérouxville). Un de ses conseillers municipaux a même lancé un appel au Premier ministre québécois, Jean Charest, pour qu’il instaure un état d’urgence pour « préserver la culture du peuple ».
L’approche des élections provinciales annoncées en mars ne serait pas étrangère à cela. Laura-Julie Perreault, journaliste s’intéressant à la vie des immigrants au Québec au sein de la rédaction du quotidien La Presse, trouve que « dans le débat actuel, on voit un gouffre entre Montréal et la partie rurale du Québec ». Elle estime qu’il est positif que cela « permette de définir ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas ». Elle reconnaît que par la force des choses le thème des accommodements raisonnables « sera un thème de la prochaine campagne électorale ».
Le Canada anglophone, majoritaire, observe l’agitation du Québec sans lui emboîter le pas. Zineb Sahli, présidente de l’Union des artistes algéro-canadiens, installée au Québec depuis plus de 15 ans, estime qu’il n’y a pas de société avec 0 % de racistes mais trouve « cette campagne inquiétante ». Pour elle, « c’est plutôt le débat actuel qui est déraisonnable, et il serait plus constructif de combattre le racisme ».
En fin de semaine, le Premier ministre québécois, Jean Charest, a annoncé la mise en place d’une « commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles », présidée par un historien-sociologue et un auteur-philosophe. Elle devra remettre ses conclusions en mars 2008. Un répit pour les immigrants qui pourront ainsi continuer à s’adonner à la seule activité pour laquelle aucun accommodement n’est raisonnable : la recherche d’un emploi à la hauteur de leurs qualifications !
Samir Ben Djafar
Le Québec se rebiffe
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