On sait que c'est vraiment l'été au Québec quand l'index d'accommodement raisonnable - un dérivé de l'humidex qui sert à mesurer l'échauffement inutile des esprits - est au plus bas. Enfin, presque. Car on ne peut quand même pas créer un tel monstre et s'attendre à ce qu'il s'endorme tout seul le mois de juillet venu.
«Qu'est-ce qu'elle est nulle, cette expression! disait la semaine dernière l'humoriste français Gad Elmaleh en parlant d'accommodement raisonnable. «C'est comme lorsqu'on a inventé la discrimination positive en France. C'est si négatif! On te dit: "Tu es noir, mais tu vas quand même pouvoir travailler!"»
Elle est nulle, cette expression, c'est vrai. Parce que c'est une expression juridique détournée de son sens et utilisée à toutes les sauces. Le festival Juste pour rire a même son Show raisonnable cette année, qui regroupe des humoristes de différentes origines ethniques. Un «show raisonnable» un peu à côté de son sujet, en fait, car l'humoriste qui l'anime, Rachid Badouri, refuse de se prononcer sur la question, même sur le ton de l'humour. Alors pourquoi ce titre insignifiant de Show raisonnable? Parce que ça pogne, paraît-il. Et tout le monde aime pogner.
On ne parle donc plus d'accommodements raisonnables ces jours-ci, sauf, un peu par la bande, au festival Juste pour rire. L'index AR est au plus bas et on ne s'en plaindra pas. Mais voilà que le magazine français Le Point interrompt cette trêve estivale et nous replonge dans la controverse d'Hérouxville en publiant dans son dernier numéro un reportage tendancieux sur l'immigration au Québec. Le reportage donne l'impression que Mario Dumont est le Martin Luther King d'un Québec assiégé par ses minorités.
Titre: [«Québec: la bataille de l'identité». Sous-titre: «La Belle Province est désormais confrontée à un flux de nouveaux immigrés qui ont de plus en plus de mal à s'intégrer à la société québécoise»->7781].
Le titre a bien passé. Le sous-titre m'a fait sursauter. Peut-on vraiment conclure, en se basant sur Hérouxville et sur quelques dérives montées en épingle, qu'un flux de nouveaux immigrés ont de plus en plus de mal à s'intégrer ici?
Une vaste étude menée sur l'intégration publiée il y a quelques années par le Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal nous disait précisément le contraire. On y suivait pendant 10 ans une cohorte de 1000 immigrés installés au Québec. Et on en concluait que, 10 ans après leur arrivée, ces gens venus d'ailleurs étaient bel et bien «d'ici» et s'intégraient bien à la société qui les accueillait. Ils adoptaient le français en grande majorité, s'enracinaient bien au Québec et désiraient contribuer à la société.
D'autres études, encore plus vastes et plus récentes, ont montré que oui, les problèmes d'intégration existent, en particulier pour les immigrés dits de «minorités visibles» (une autre expression nulle). Mais que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les enfants de l'immigration «visibles», pourtant nés ici, ont souvent plus de mal que leurs parents à acquérir un sentiment d'appartenance. Parce que même s'ils sont d'ici, dans l'oeil de la majorité, ils ne sont pas considérés comme tels.
Pour ce qui est du «flux de nouveaux immigrés» qui peinent de plus en plus à s'intégrer, selon le reportage du Point, je cherche encore. Si on veut parler des minorités intégristes, on ne peut pas dire qu'elles peinent de plus en plus à s'intégrer, car la vérité est qu'elles n'ont malheureusement jamais voulu s'intégrer, pas plus aujourd'hui qu'hier. Si l'intégriste s'intégrait, il ne serait plus intégriste...
Si on veut parler des fondamentalistes religieux qui profitent de façon pernicieuse des largesses de la charte des droits, on est aussi encore très loin du «flux», qui, par définition, évoque une grande quantité... Le Point constate d'ailleurs par lui-même que les recours intentés devant la Commission des droits de la personne pour des motifs religieux sont «ultraminoritaires». C'est moins de 2% des demandes. Et de ces 2%, la majorité ne sont intentés ni par des juifs ni par des musulmans, mais par des protestants.
L'intégration des immigrés est une chose. La non-intégration des intégristes en est une autre. L'ennui, c'est que Le Point, comme d'autres avant lui, confond ces deux sujets et tire des conclusions sur le premier en ne se penchant que sur le second.
L'envoyé spécial du Point a bien sûr fait une escale obligatoire à Hérouxville pour tenter de comprendre l'origine du «furieux débat» qui anime le Québec devant ce «flux de nouveaux immigrés». Hérouxville, «bled perdu» si préoccupé par les immigrés qu'il a adopté un code de vie surréaliste à leur intention, alors qu'on n'y a presque jamais vu le moindre immigré, constate-t-il. Ce qui, à mon sens, montre bien que le «flux» est d'abord imaginaire, né de la récupération politique et médiatique de quelques dérives.
Interviewé par l'hebdomadaire français, le chef adéquiste Mario Dumont revient sur le soi-disant «à-plat-ventrisme» des autorités devant les minorités, entretenant ainsi la légende voulant que ce soit les immigrés qui mènent la barque au Québec. Et Le Point le félicite presque d'avoir osé «briser le tabou». Mais ce qu'on oublie de relever, c'est que, dans les faits, Dumont est aussi silencieux que ceux qu'il critique quand vient le temps de faire connaître sa solution de rechange au soi-disant «à-plat-ventrisme». Il n'est pas prêt à partir en croisade contre le kirpan, pas prêt à interdire le voile à l'école, pas prêt à imposer une loi sur la laïcité dans l'espace public... Il est prêt à quoi, alors? Briser le tabou? Non. L'exploiter en sa faveur, surtout. Et le pire, c'est que ça marche...
Chronique raisonnable
L'intégration des immigrés est une chose. La non-intégration des intégristes en est une autre.
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