Le vernis à ongles des Afghanes

NON à l'aventure afghane


Si les Québécois sont en majorité contre la mission canadienne en Afghanistan, c'est qu'ils sont mal informés, martèle depuis quelques jours la ministre de la Coopération internationale, Josée Verner.


Et la ministre de nous expliquer que si le Canada est en Afghanistan, c'est pour défendre la condition des femmes. «On a peut-être oublié de le dire, mais le régime taliban était l'un des plus misogynes dans le monde, rappelle Mme Verner dans Le Soleil. On parle de femmes médecins clouées sur la porte de leur domicile. On parle d'une petite fille de 10 ans amputée des doigts pour avoir porté du vernis à ongles. On parle de femmes lapidées dans des stades publics pour des crimes mineurs. On parle de femmes à qui on a interdit les bains publics alors que c'était leur seul moyen d'hygiène.»
Avis donc à tous ceux qui pensent encore que les talibans étaient un groupe rock. Mme Verner aimerait vous informer, au cas où vous n'auriez pas écouté les nouvelles depuis 10 ans, que les talibans ne sont pas gentils, mais alors là pas du tout, avec les petites filles et que c'est pour ça que le Canada est en Afghanistan. Pour défendre les femmes médecins, pour défendre le droit de porter du vernis à ongles, pour défendre le droit de ne pas être lapidée, pour défendre le droit à la baignade Que les talibans et les Québécois se le tiennent pour dit.
Je ne sais pas si vous vous sentez mieux informés après cette mise au point. Moi, je sens surtout qu'on se fout de ma gueule de façon très peu subtile.
Bien sûr, la lutte pour les droits des femmes, on ne peut être contre. Et comme personne n'est contre, c'est sans doute un excellent filon à exploiter pour «vendre» une mission impopulaire aux Québécois sceptiques. Mais si c'est là l'essentiel de la mission canadienne en Afghanistan, si c'est vraiment pour les femmes que le Canada est en Afghanistan, il faudra qu'on nous explique pourquoi Stephen Harper n'a rien dit, en mai dernier, quand la députée afghane Malalai Joya a été exclue du Parlement pour avoir critiqué ses collègues masculins.
Pour ceux qui ne connaissent pas son histoire, rappelons que Malalai Joya est une jeune députée afghane de 29 ans qui n'a pas la langue dans sa poche. Elle n'a jamais hésité à critiquer les seigneurs de la guerre, même si ses prises de position lui ont valu menaces, agressions et tentatives d'assassinat. Elle n'a jamais hésité à dénoncer le fait que parmi ses collègues élus démocratiquement, on trouve des gens accusés de crime de guerre, des bandits, des trafiquants de drogue, des talibans Ce qui lui a valu d'être traitée de tous les noms. «Putain! Prenez-la et violez-la!» lui a déjà crié un collègue.
En mai dernier, en entrevue à la télévision, Malalai a osé dire que le Parlement afghan était «pire qu'une étable». «Dans une étable, il y a des vaches qui donnent du lait et des ânes qui portent des fardeaux. Mais eux, ils sont pires que des vaches et des ânes, ils sont comme des dragons», a-t-elle lancé.
Prétextant que les insultes sont interdites dans l'enceinte de l'Assemblée, les membres du Parlement ont voté pour l'exclusion de la députée qui dérangeait trop. Un recul évident pour la démocratie afghane, dénoncé entre autres par Human Rights Watch.
Et qu'a dit Stephen Harper, de passage à Kandahar cette semaine-là, devant ce recul démocratique? Il s'est contenté de féliciter ses troupes pour leur bon travail. «Grâce à vous, le peuple afghan a pu bénéficier de la tenue d'élections démocratiques, de l'institution des droits de la personne et des libertés pour les femmes», a-t-il dit.
De passage à Québec, l'automne dernier, à l'occasion du congrès du NPD, Malalai Joya était légèrement moins enthousiaste que Stephen Harper devant les beaux progrès de la démocratie afghane. «Il faut que je vous dise que, malheureusement, la situation désespérée du peuple afghan n'a pas changé. Lorsque le pays tout entier vit à l'ombre des armes à feu et des seigneurs de guerre, comment ses femmes peuvent-elles jouir des libertés les plus fondamentales? Contrairement à la propagande diffusée par certains médias occidentaux, les hommes et les femmes en Afghanistan n'ont pas été libérés du tout.»
Et que disait-elle à propos de la présence canadienne en Afghanistan? «Je pense que si le Canada et d'autres gouvernements tiennent vraiment à aider le peuple afghan et effectuer des changements positifs, il faudrait qu'ils agissent de façon autonome, plutôt que de devenir un outil avec lequel le gouvernement américain peut imposer ses mauvaises politiques.»
À tous ceux qui l'interrogent sur l'impopularité de la mission en Afghanistan, la ministre Verner se contente de répondre qu'il faut «répéter le message et s'assurer que les bonnes informations sont transmises». Mais on comprend que les propos dérangeants de Malalai Joya ne figurent pas vraiment parmi ces «bonnes informations». Car pourquoi s'empêtrer de ces détails embarrassants quand on peut causer du vernis à ongles des Afghanes et ainsi revernir une mission impopulaire?


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