Le Québec n'a plus la cote au cégep

Coalition pour l’histoire


[extraits d'une étude portant sur la baisse du nombre de cours portant sur le Québec dans les collèges du Québec]

La crise que traverse la réforme de l’enseignement de l’histoire nationale n’épargne pas le niveau collégial où on assiste à la disparition rapide d’un thème, le Québec, autant dans les libellés que dans les contenus de cours. Fondements historiques du Québec, Sociologie du Québec, politique Québec-Canada, Économie Québec et ses régions, histoire régionale, autrefois des cours importants dans les programmes de sciences humaines, sont aujourd’hui menacés d’extinction. À titre d’exemple, Histoire du Québec qui représentait 25,4 % des cours d’histoire offerts au cégep en 1990, n’en représente plus que 13,3 % et n’est plus offert que dans une dizaine d’établissements. Qui plus est, les trois quarts des professeurs d’histoire du collégial sondés cet automne sont d’avis que ce cours devrait poursuivre sa régression . Conséquemment, selon les données du SRAM et du SRAQ, seuls 2424 cégépiens avaient suivi un cours d’histoire du Québec l’an dernier, soit 1146 à la session d’automne 2006 et 1278 à la session d’hiver 2007. C’est là moins de 5 % des élèves du collégial…
Rappelons que, contrairement au niveau secondaire, les établissements collégiaux bénéficient d’un niveau d’autonomie enviable. Dans les programmes de sciences humaines en particulier, à part une poignée de cours de formation générale ou de prescription ministérielle, chaque discipline est libre d’offrir les cours de son choix, à la condition de rencontrer les buts généraux du programme : les fameuses compétences. L’énoncé de ces compétences est en général délibérément flou afin d’admettre une grande diversité d’approches. Ainsi, une compétence, la 022S, balise à elle seule le contenu de presque tous les cours histoire, soit Appliquer à la compréhension du phénomène humain, dans des situations concrètes, des notions en histoire.
Or, là réside la raison essentielle de cet étrange déclin des études québécoises au cégep, soit qu’il n’existe aucune compétence qui prescrive que l’élève connaisse mieux la société où il vit. Il est bien sûr question de s’ouvrir à l’héritage occidentale ou d’acquérir un meilleur sens critique, mais nulle part n’est-il fait mention de l’importance de connaître la culture, les institutions ou l’histoire du Québec. La seule allusion explicite retrouvée dans un énoncé de compétence est spécifiquement associée à Littérature du Québec, un cours offert à la fin du cycle collégial.
Cette omission est particulièrement inconcevable dans les programmes de sciences humaines où nulle part le professeur n’est invité à aborder le thème du Québec. Aussi, contraints par les nouvelles habilités méthodologiques à transmettre et soumis à la vive concurrence entre les établissements et entre les programmes, les départements ont choisi de ne pas résister à cette liquidation. C’est donc sans heurt, à mesure que des professeurs qui abordaient le Québec dans leurs cours prennent leur retraite, que ces cours cessent d’être offerts et que disparait une précieuse expertise, acquise depuis la fondation des cégeps, où la recherche et la réflexion sur le Québec ont pourtant déjà brillé avec éclat.
L’accent mis sur les compétences plonge aussi la pondération des contenus dans une totale confusion, ce qui n’aide pas à apprécier le déclin d’un thème comme celui du Québec au collégial. Aucun établissement ou direction des études n’est ainsi en mesure de dire si un finissant en sciences humaines a ou non entendu parler du Québec durant ses études. Le flou est manifeste en histoire du Québec, un cours qui se décline en une douzaine de titres différents à travers le réseau, dont Fondements historiques du Québec, Canada au XXe siècle, Histoire Québec-Amériques, Québec-Canada : perspectives mondes et Histoire du Québec comparée…
L’absence d’énoncé de compétence portant sur une meilleure connaissance de la société québécoise explique surtout la disparition du thème du Québec des cours de sciences humaines. D’autres causes y ont aussi contribué.
En 1991 d’abord, le ministre Claude Ryan, rendait un bien mauvais service à Histoire du Québec en rendant obligatoire celui de la civilisation occidentale. Ce choix a directement induit la montée d’un second cours, Histoire du temps présent, bien mieux adapté que celle du Québec à assurer le lien avec un cours d’histoire générale. Même problème de « positionnement » en économie où Économie du Québec est généralement remplacé par Économie internationale à la suite du cours d’introduction.
On assiste ensuite à l’essor de nouveaux programmes enrichis, dérivés des humanities des collèges anglophones, offrant tous de l'histoire mais fort peu d'histoire du Québec. Leur intérêt serait plutôt tourné vers des contenus exotiques, dans la mouvance altermondialiste et coïncidant mieux avec un stage touristico-historique à l’étranger.
Il semble d’ailleurs que les professeurs eux-mêmes n’éprouvent plus autant d’intérêt à parler du Québec dans leurs cours. À l’origine du phénomène : le profil académique des nouveaux enseignants. Tandis que jusque dans les années 1980 les départements universitaires étaient surtout peuplés de spécialistes du Canada et du Québec, l’éventail des spécialités représentées s’est depuis considérablement élargi. Conséquemment, les mémoires et les thèses portent de plus en plus sur des thèmes étrangers, voire non-occidentaux, et de moins en moins sur des aspects ayant trait au Québec. Plusieurs jeunes professeurs de cégep, embauchés depuis 2000, n'ont donc acquis qu’un modeste bagage académique sur le Québec ; un bagage qui remonte parfois ironiquement à leurs propres études collégiales. Or ces jeunes enseignants sont-ils aussi intéressés à préparer de nouveaux cours portant sur le Québec ? Il est permis d'en douter.
Aucun redressement n’est envisageable tant qu’une compétence transversale ne viendra pas conforter le travail des professeur et des départements. Le retour, même timide, à une formation collégiale concertée portant sur l’objet Québec est pourtant essentiel. De un, le Québec représente toujours le seul laboratoire commode où expérimenter les concepts abordés au cégep. De deux, une meilleure compréhension des enjeux culturels, sociaux et économiques chez les jeunes adultes apparaît é *VIDE* nte suite aux débats de société qui défraient l’actualité. De trois, si le cours Univers social propose bien au secondaire un regard consensuel et lénifiant sur notre monde, il est impératif que le collégial ait l’occasion de fournir un éclairage plus critique sur l’évolution du Québec actuel. Un tel énoncé de compétence pourrait d’ailleurs se libeller comme suit :
« Que l’élève soit en mesure de comprendre les origines et les caractéristiques de la société québécoise actuelle afin de pouvoir y jouer un rôle positif, dans le respect de la démocratie et des valeurs de la majorité. »
Ce but général du programme de sciences humaines est en fait le grand oublié de la réforme de 2001. Il n’est pas trop tard pour y remédier et ainsi prouver que cette liquidation n’était pas le cadeau empoisonné que nous réservait la réforme de l’enseignement collégial.

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Gilles Laporte34 articles

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professeur d’histoire au cégep du Vieux Montréal.

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