Au terme d'une visite de deux jours soulignant le 400e anniversaire de Québec, le premier ministre français, François Fillon, a décrit hier le Québec comme une société à l'avant-garde qui aura finalement fait mentir le célèbre lord Durham, qui la décrivait comme vieillie et retardataire.
Dans un autre registre, il a défendu sa référence au général de Gaulle dans son discours de la veille, ce dernier ayant sorti les relations France-Québec d'une longue léthargie.
Devant un parterre de plus de 300 responsables politiques et hommes d'affaires réunis au Palais des congrès de Montréal, le premier ministre français a clos son voyage au Québec en se livrant à un éloge senti de la modernité et de l'ouverture de la société québécoise. «Il est loin le temps où, dans son célèbre rapport de 1839, lord Durham présentait les Canadiens français comme "une société vieillie et retardataire dans un monde neuf et progressif", a déclaré le premier ministre. Aujourd'hui, le monde est plus neuf et plus "progressif" que jamais, mais les Québécois en sont à l'avant-garde!»
Selon le premier ministre, qui dirigeait la plus importante délégation de responsables politiques français jamais venue au Québec (dont deux anciens premiers ministres et cinq présidents de région), le Québec est aujourd'hui un exemple pour la France, qui s'est récemment engagée dans une série de réformes. Avec les mêmes accents gaulliens que la veille devant la statue de Champlain à Québec, François Fillon a souligné que le Québec avait su adapter son héritage français «aux réalités si différentes du Nouveau Monde». Il voit même dans cette réussite le triomphe d'«une forme d'universalité qui est en fait le projet même de la France, sa vocation de toujours.»
Rencontrant la presse à Québec au terme d'une séance de travail avec Jean Charest, le premier ministre français a dû s'expliquer sur ses références de la veille au général de Gaulle et au «pays» du Québec. Issu d'un courant politique dit du «gaullisme social», François Fillon dit ne pas avoir porté de jugement sur le «Vive le Québec libre!» du général en évoquant la «grande voix historique» qui, il y a 40 ans, avait tiré le Québec de son «hivernement» (sic). Il ne faisait, dit-il, que reconnaître un événement historique qui a eu pour effet en France «de braquer les projecteurs» sur la relation France-Québec. «Je ne suis pas venu ici pour créer un nouvel incident diplomatique», a-t-il conclu. À Montréal, François Fillon a repris la formule qui semble devoir définir dorénavant les relations France-Québec, celle d'une «relation profondément fraternelle».
Le premier ministre Jean Charest a pris la défense de son homologue en affirmant qu'il aurait été impensable de ne pas parler du général de Gaulle lors des célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec et que c'était même là un signe de maturité. «On ne peut pas ne pas parler du général de Gaulle», a dit Jean Charest. «Il faut se décoincer dans la relation [France-Québec]. Il faut se donner un peu d'espace quand même. On peut parler du général de Gaulle sans tomber dans des traumatismes» et «dans un débat sur la souveraineté», a fait valoir le premier ministre québécois. Le général de Gaulle, «ce n'est pas uniquement le "Vive le Québec libre!" au balcon de l'hôtel de ville de Montréal. C'est l'établissement de liens diplomatiques directs et privilégiés entre le Québec et la France».
Certains se sont aussi étonnés de la propension de M. Fillon à employer le mot «pays» pour désigner le Québec. Encore hier, il louait le projet d'entente-cadre pour «la reconnaissance des qualifications entre les deux pays». Jeudi, il avait utilisé le même vocable à quelques reprises. «J'aurais dû dire: entre deux nations. Vous savez, le mot "pays" est un mot qui a plusieurs sens», a expliqué le premier ministre tout en signalant qu'il était aussi le président du pays de la vallée de la Sarthe. «Chez moi, un pays, c'est un endroit où il y a des paysans.»
À l'occasion de cette 15e rencontre alternée des premiers ministres français et québécois, Jean Charest et François Fillon ont signé un relevé des décisions. À Québec dans la matinée et à Montréal dans l'après-midi, les deux hommes ont défendu leur projet de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles qui devrait être signé lors de la visite de Nicolas Sarkozy au Québec en octobre prochain. Le premier ministre français a d'ailleurs souligné la grande insistance de son homologue québécois à faire avancer ce dossier dont «il est un acteur au quotidien». Jean Charest se serait même invité hier matin dans une rencontre d'experts à laquelle il n'était pas convié, a dit François Fillon en riant.
Les discussions sur ce projet progressent bien, selon le négociateur québécois, Gil Rémillard. Les parties se sont entendues pour mettre de côté la reconnaissance des diplômes et s'attarder plutôt à la reconnaissance des qualifications réelles en milieu de travail. Les professionnels n'auraient plus à retourner sur les bancs d'école pour obtenir une équivalence. Des stages en milieu de travail leur seraient plutôt offerts, selon nos informations. Le projet vise les médecins, les ingénieurs, les architectes, mais aussi les métiers de la construction, a indiqué M. Charest. «Votre fameux plombier polonais, nous, on le veut», a-t-il lancé à la blague. Le premier ministre Fillon a qualifié cet accord de très «ambitieux puisqu'il permettra à des professionnels de la France et du Québec de travailler les uns chez les autres en toute liberté».
Les deux premiers ministres ont également annoncé la création du Conseil franco-québécois de coopération universitaire (CFQCU), qui remplace le défunt Centre de coopération inter-universitaire franco-québécoise (CCIFQ), vieux de 25 ans. Québec souhaitait créer un nouvel organisme moins coûteux et qui n'aura donc pas de bureau à Paris.
La France et le Québec sont en «communion parfaite» en matière d'environnement et de réchauffement climatique, a souligné M. Fillon. La France souhaite amener l'Europe à se fixer des objectifs très ambitieux pour ensuite «faire pression sur l'ensemble des régions du monde, en particulier en Amérique du Nord, pour que cette question de réchauffement climatique soit une priorité absolue».
Les premiers ministres ont été peu loquaces sur l'éventualité que le Canada et l'Union européenne s'engagent dans les négociations d'un traité de libre-échange lors du sommet Canada-Union européenne, qui se tiendra à Québec en octobre prochain. La question a simplement été mentionnée dans le communiqué diffusé par le premier ministre québécois à l'issue de la rencontre de travail. Les deux premiers ministres ont par ailleurs affirmé que le Québec était pour la France la porte d'entrée de l'Amérique du Nord. Ce qu'était aussi la France pour le Québec en Europe.
Les nombreux responsables politiques français qui accompagnent François Fillon sont partout ces jours-ci au Québec. L'ancienne candidate socialiste à la présidence, Ségolène Royal, a profité d'une entrevue à Radio-Canada pour fustiger «l'improvisation» de Nicolas Sarkozy à l'égard du Québec. Les hésitations du président, qui avait présenté les relations de la France avec Québec et Ottawa sur un pied d'égalité avant de revenir sur ses propos, ne l'étonnent pas. «Il y a tellement d'improvisation en politique étrangère, dit-elle. Un jour, il dit une chose et le lendemain, son contraire.» La présidente du Poitou-Charentes a invité son ancien adversaire à «tourner sa langue sept fois dans sa bouche».
Quant à l'ancien premier ministre Alain Juppé, converti à l'écologie lors d'un récent séjour au Québec, il a entrepris de rallier Québec à Montréal à bicyclette par le chemin du Roy. Celui qu'avait emprunté le général de Gaulle lors de sa célèbre visite en 1967.
Le Québec a fait mentir lord Durham
Le premier ministre français fait l'éloge d'une société à «l'avant-garde» et défend sa référence au général de Gaulle
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