[->Jean-Paul L'Allier déplore un rendez-vous raté avec la France lors du 400e]
Stéphanie Martin Le Soleil (Québec) - C'est aujourd'hui, samedi, le 14 juillet, fête des Français et de leur mère patrie. Un pays qui est aussi à l'origine de la naissance de Québec, il y a plus de quatre siècles. Si la France occupe une grande place dans le coeur des Québécois, sa contribution à l'essor de la colonie n'est pas soulignée comme il se doit, estime Jean-Paul L'Allier. Et avec le 400e anniversaire de sa fondation, il y a quatre ans, Québec a raté une bonne occasion de remédier à la situation en négociant un legs significatif. Au lieu de cela, «la France a accepté d'être gentiment enfermée au Séminaire». Entrevue avec un ancien maire qui ne garde aucune rancune, mais dont la déception est encore palpable.
Le legs de la France pour les Fêtes du 400e anniversaire de la ville de Québec a fait couler beaucoup d'encre dans les années qui ont précédé la célébration. Une multitude de projets ont été avancés, puis relégués dans l'oubli.
Pour Jean-Paul L'Allier, qui a présidé les destinées de Québec de 1989 à 2005, il était clair dès le départ que la France devait occuper une place prépondérante dans les festivités et dans l'héritage qu'on voulait laisser de l'événement. Ce n'est pas un hasard s'il a choisi de créer la Société du 400e anniversaire de Québec 10 ans jour pour jour avant le coup d'envoi. On voulait se donner le temps de réaliser ces ambitions, raconte aujourd'hui M. L'Allier dans les nouveaux bureaux de Sainte-Foy qui abritent la firme Langlois Kronström Desjardins pour laquelle il travaille comme avocat et conseiller stratégique.
«On a voulu inviter la France comme invitée d'honneur et principale aux Fêtes du 400e. Il n'y a pas eu de fête du centenaire de Québec. Il n'y a pas eu de fête du bicentenaire, en tout cas on n'en a pas trouvé de traces. Les premières fêtes de la ville de Québec ont été le tricentenaire. Et cela avait été placé sous le grand chapeau de l'Empire britannique et on célébrait Québec comme fleuron de l'Empire. On s'est dit que le quatrième centenaire devait faire la belle place à la France pour rappeler que ce fleuron de l'Empire britannique est d'abord né français, qu'on en est fiers et qu'on voulait que la France soit partout.»
Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
Il y a d'abord eu ce projet d'escalier monumental entre la basse et la haute ville que caressait Jean-Paul L'Allier. Un projet évalué au départ à 50 millions $, dont la France aurait assumé la moitié de la facture, mais qui a fini par avorter, plombé par des torpilles venant de tous bords, tous côtés.
L'opposition à l'hôtel de ville et certains médias de la capitale se sont déchaînés contre le projet, qui, chaque fois qu'il passait entre les mains d'analystes des ministères provinciaux, des Transports jusqu'aux Travaux publics, gonflait. De 50 millions $, le coût total était passé à 75 millions $, se rappelle M. L'Allier. À bout de patience, le maire a écrit au premier ministre pour signifier sa désaffection. «On oublie ça. On va proposer autre chose.»
Obstacle majeur
Puis est apparu sur la table un projet qui a eu peu de retentissement dans les médias, mais qui est allé assez loin pour que MM. L'Allier et Charest se retrouvent sur le terrain, afin de visualiser le tout. L'Allée de France devait se déployer devant le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), mais aussi le traverser virtuellement et se prolonger derrière, jusqu'à l'avenue Ontario, sur les Plaines. Le projet était proposé par John Porter, alors directeur du MNBAQ.
Devant, une large promenade agrémentée de quatre miroirs d'eau, pour quatre siècles de présence française. Quatre sculptures prêtées à long terme par la France y auraient été mises en valeur. On parlait de Rodin, de Bourdelle. Le musée représentait symboliquement le présent. Et derrière, l'allée se prolongeait pour illustrer l'avenir, le Québec devenu grand, avec des sculptures contemporaines d'artistes français et québécois, ludiques, colorées, décrit M. L'Allier.
Si le projet était intéressant, il restait un obstacle majeur : «Tout ça, c'était en territoire fédéral. Ottawa a dit non, on ne construit rien sur le territoire fédéral. Et d'autant plus que l'allée menait au monument de Wolfe, le champion de notre défaite. Et nous, on en faisait l'Allée de France». Au bout du compte, affirme Jean-Paul L'Allier, la Commission des champs de bataille nationaux a opposé une fin de non-recevoir et n'a même pas jugé bon de transmettre le dossier à Ottawa.
Autres tentatives
D'autres tentatives sont aussi mortes de leur belle mort. Il a été question d'un monument rappelant la tour Eiffel, qui aurait été coiffé d'une fleur de lys, installé près du parc de l'Amérique-Française, et sous lequel le boulevard René-Lévesque aurait pu passer. Sans compter la construction d'un Centre de la francophonie sur ce même parc.
Finalement, Jean-Paul L'Allier n'aura pas pu négocier jusqu'au bout la contribution de la France, car il a quitté la vie politique en 2005. Au bout du compte, le legs français aura été un investissement de 1,6 million $ dans la rénovation du hall du Musée de l'Amérique française, situé dans l'un des bâtiments attenant au Séminaire de Québec. On y a créé un Centre de la francophonie.
Du politique
Avec le recul, l'ex-maire dit avoir l'impression que les pouvoirs supérieurs, plutôt tièdes à l'idée d'encourager toute expression de nationalisme, se sont employés à contrecarrer les plans de Québec de placer la France au coeur des festivités. «Cela a dû exciter les antisouverainistes, les antinationalistes, à Ottawa comme à Québec, et on s'est mis à faire de la fumée pour éviter que ce soit comme ça. Et malheureusement, la France n'a pas eu la place qu'on aurait souhaitée, nous, à la Ville de Québec, dans les Fêtes du 400e.»
Il faut dire, ajoute Jean-Paul L'Allier, que le pays de Molière n'a jamais insisté pour être partie prenante des célébrations. «La France a pratiqué, dans ce dossier comme dans les autres, non-indifférence et non-ingérence. Alors à partir du moment où il y avait des signaux qui pouvaient lui être transmis par Ottawa ou par Québec que c'est pas tout à fait ce que souhaitaient les autorités canadiennes, la France est probablement demeurée très calme et a accepté d'être gentiment enfermée dans le Séminaire.»
S'il n'a aucune amertume liée à cette époque, Jean-Paul L'Allier pose néanmoins un constat : 400 ans après la fondation de Québec par Samuel de Champlain, il n'y a toujours pas dans la capitale de lieu de commémoration de la France. «La bataille des Plaines s'est confirmée ici: on a perdu.»
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