Après avoir signifié son intention de laisser le secteur privé exploiter l’or noir du sous-sol québécois, le gouvernement Marois a clairement manifesté son ouverture à la réalisation de deux projets d’oléoduc qui permettraient de faire couler du pétrole des sables bitumineux vers le Québec. Si les groupes environnementaux dénoncent la main tendue du Parti québécois aux pétrolières, certains experts estiment que ces projets devront tôt ou tard se concrétiser.
Après avoir rencontré lundi son homologue du Nouveau-Brunswick, David Alward, la première ministre Pauline Marois a annoncé la formation d’un comité dont on sait peu de chose, si ce n’est qu’il étudiera un projet d’oléoduc qui transporterait 600 000 barils de pétrole de l’Alberta vers Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, en passant en sol québécois. Il faudrait pour cela construire un tout nouveau tronçon qui partirait de la région de Québec pour se rendre dans les Maritimes. « Le Québec n’est pas fermé à ce projet », a clairement indiqué Québec par voie de communiqué. Mme Marois n’a tenu aucun point de presse pour expliquer sa position.
Cette ouverture du gouvernement péquiste au pétrole des sables bitumineux survient moins de trois mois après que le Québec et l’Alberta eurent décidé de mettre sur pied un comité pour étudier les avantages économiques du renversement du flux de pétrole dans un oléoduc exploité par Enbridge entre le sud de l’Ontario et l’est de l’île de Montréal. L’idée est de transporter 300 000 barils de pétrole brut par jour. Une partie pourrait être raffinée sur place, aux installations montréalaises de Suncor, un joueur important dans l’exploitation des sables bitumineux. Une autre partie serait chargée à bord de navires qui navigueraient sur le Saint-Laurent pour se rendre à la raffinerie d’Ultramar, à Lévis.
Le projet d’Enbridge est assez avancé et est déjà à l’étude à l’Office national de l’énergie (ONE). L’organisme a d’ailleurs tenu une séance d’information à Montréal jeudi soir. Dans une petite salle d’un hôtel de l’est de la ville, des porte-parole ont expliqué à quelques dizaines de citoyens les grandes lignes de ce renversement du flux pétrolier sur une distance de 640 kilomètres. À l’aide de quelques panneaux explicatifs reprenant essentiellement la même présentation que celle disponible sur le site de la pétrolière, ils se sont montrés rassurants quant à la sécurité de ce projet de 100 millions de dollars.
Conscient des inquiétudes soulevées par l’arrivée à moyen terme de dizaines de millions de barils de brut albertain chaque année au Québec, le gouvernement Marois a dit vouloir mener une évaluation environnementale. Mais la forme de celle-ci n’a pas encore été précisée. Greenpeace et Équiterre estiment qu’il faudrait en confier le mandat au Bureau d’audiences publiques.
Projet inévitable ?
Peu importe toutefois la forme que prendra l’évaluation proprement québécoise, la province ne pourra pas rejeter le projet, même si cela implique de vivre avec les risques environnementaux inhérents au transport de pétrole. « Sur les plans légal et constitutionnel, le Québec ne peut pas dire non. De toute façon, le pipeline qu’Enbridge veut inverser avait été conçu au départ pour amener du pétrole de l’Ouest vers l’Est. On voulait alors que le Canada soit autosuffisant et on voulait approvisionner les raffineries de Montréal. On serait donc mal placés pour dire non aujourd’hui », explique Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique de l’Université d’Ottawa.
La Ligne 9, la canalisation que souhaite inverser Enbridge, a effectivement été construite dans les années 1970 pour alimenter les marchés de l’est du Canada en pétrole brut provenant de l’Ouest canadien. Dans les années 1990, le sens d’écoulement de la canalisation a été inversé parce que les importations de pétrole étaient devenues plus économiques.
La pression est par ailleurs de plus en plus forte pour trouver des débouchés pour la production croissante de l’Alberta. Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en politique énergétique à HEC Montréal, rappelle que les pétrolières souhaitent hausser la production quotidienne de 1,7 million de barils actuellement à 3,5 millions de barils d’ici la fin de la décennie. Et pour le moment, le prix qu’elles obtiennent est de 20 $ inférieur au brut étranger. L’Alberta et Ottawa pèsent donc de tout leur poids afin que se concrétisent les projets d’oléoduc qui permettront d’exporter tout cet or noir réputé très polluant. Il y a le Northern Gateway, vers le Pacifique, le Keystone XL, vers le Texas, et les deux qui visent le Québec. « Tous les projets possibles pourraient se concrétiser », estime d’ailleurs M. Pineau.
« Si le pipeline Keystone XL n’est pas accepté, les pressions seront très fortes pour aller vers l’Est. C’est une voie accessible », croit lui aussi Jean-Thomas Bernard. Il juge plausible que l’utilisation de l’oléoduc qui relie Montréal à Portland soit considérée. « Une fois rendu à Montréal, le pétrole pourrait aller vers le Maine. Ce projet pourrait se réaliser très rapidement, parce que les infrastructures existent déjà. Une fois ce projet concrétisé, c’est toute la côte Est qui peut être rejointe, mais aussi le golfe du Mexique. » En entrevue à l’Associated Press cette semaine, un haut dirigeant de l’entreprise qui possède cet oléoduc traversant le sud du Québec a dit souhaiter que ce projet, autrefois connu sous le nom de Trailbreaker, se réalise rapidement.
Les deux dernières raffineries québécoises sont évidemment en faveur de cet approvisionnement made in Canada. Elles estiment qu’elles pourraient ainsi réaliser des économies substantielles. Suncor et Ultramar ont déjà évoqué aussi la nécessité de recevoir du pétrole albertain pour assurer le maintien de leurs activités au Québec. Au point où elles songent à utiliser le train pour amener du brut à leurs usines. Mais le pipeline d’Enbridge demeure l’option privilégiée. Ultramar a 13 lobbyistes inscrits au registre québécois. Un de leurs mandats consiste à « susciter une orientation favorable » envers le projet de la part du gouvernement du Québec. Un autre lobbyiste-conseil doit pour sa part rencontrer des représentants de l’État pour leur « expliquer les conséquences que pourrait générer une opposition de la part du gouvernement du Québec ». Enbridge a inscrit deux lobbyistes-conseils qui ont pour mandat de « favoriser le processus d’acceptabilité sociale ». La pétrolière a rencontré quelques dizaines de personnes au Québec dans le cadre de ses consultations. Elle a aussi offert de l’aide financière et des cadeaux à des municipalités québécoises où passe leur oléoduc.
Économie et réduction des GES
Cependant, M. Bernard réfute l’argument des pétrolières voulant que le pétrole canadien soit plus abordable. « Je ne le crois pas, parce que le prix de l’Atlantique va prévaloir. Les Albertains ne le vendront pas moins cher, comme ils le font présentement, parce qu’il y a des contraintes de transport. Je trouve que c’est un argument qui a peu de fondements. Oui, ça va leur offrir une certaine flexibilité en matière d’approvisionnement, mais on parle de quelques sous, pas de dollars par barils. »
Pierre-Olivier Pineau estime que ce projet et celui de TransCanada représentent une bonne occasion pour les raffineries de l’est du pays. « Il n’y a aucune raison de ne pas acheter ce pétrole, c’est bon pour l’économie canadienne et pour le Québec », ajoute-t-il. Mais il croit aussi que les prix du brut canadien pourraient rejoindre ceux du pétrole actuellement importé. Le spécialiste en politique énergétique ajoute qu’avec ou sans le Québec, « les sables bitumineux vont continuer de se développer ». Il reconnaît toutefois que « les écologistes ont raison de dire que le gouvernement n’a aucune crédibilité en matière énergétique » parce qu’il n’existe aucune « stratégie cohérente » dans ce domaine au Canada et au Québec. Selon lui, l’objectif devrait être de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Justement, cet objectif semble avoir été mis de côté par Pauline Marois, qui avait pourtant promis de réduire la place du pétrole dans le portefeuille énergétique du Québec au cours de la dernière campagne électorale. « Elle est venue nous rencontrer et elle nous a dit qu’elle souhaitait mettre en place une stratégie de réduction de la dépendance au pétrole, a expliqué cette semaine au Devoir le coordonnateur d’Équiterre, Steven Guilbault. On visait 30 % d’ici 2020 et 60 % d’ici 2030. Le Parti québécois a aussi annoncé un objectif ambitieux de réduction des gaz à effet de serre. Depuis qu’ils sont au pouvoir, on n’a pas eu vent de quoi que ce soit par rapport à ça, mais on a eu droit à la formation d’un groupe de travail avec l’Alberta sur l’arrivée ici des sables bitumineux dont on ne sait rien. »
Le gouvernement péquiste a déjà ouvert toute grande la porte à l’exploitation pétrolière en sol québécois, et ce, avant même d’en avoir évalué les risques pour l’environnement. Il démontre maintenant qu’il est prêt à accueillir le pétrole tiré des sables bitumineux, et à donner ainsi un coup de main aux pétrolières. Visiblement, l’équipe de Mme Marois semble vouloir prendre part au grand projet « national » canadien qui s’articule actuellement autour de l’exploitation de sources d’énergie fossiles.
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