Le pouvoir ukrainien se réorganise et regarde vers l'Europe

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L’Ukraine retourne sa chaise vers l’Europe

Le pouvoir a basculé en Ukraine après trois mois de contestation. Les anciens opposants, devenus acteurs principaux du jeu politique, ont commencé dimanche à s'organiser. Ils ont notamment manifesté leur intention de se tourner vers l'Europe, qui a de son côté renouvelé son offre d'un accord commercial.
Objectif numéro 1 : faire fonctionner les institutions
Après la destitution du président Viktor Ianoukovitch samedi, les députés ont remédié à la vacance du pouvoir en votant une résolution qui nomme le président du Parlement ukrainien, Olexandre Tourtchinov, président par intérim du pays, conformément à la Constitution ukrainienne. Une élection présidentielle anticipée a été fixée au 25 mai.
Le parlement doit se réunir lundi matin en vue de former un nouveau gouvernement. Olexandre Tourtchinov a en effet donné aux députés jusqu'à mardi pour constituer une nouvelle majorité et un gouvernement d'unité nationale. Au cours d'une adresse à la nation, le président par intérim a dénoncé dimanche la gouvernance du président déchu et de son premier ministre Mykola Azarov, qui ont « ruiné le pays ».
« L'Ukraine est en train de glisser dans le précipice, elle est au bord d'un défaut de paiement », a-t-il assuré. « Une priorité, c'est le retour à la voie de l'intégration européenne. (...) Nous sommes prêts à un dialogue avec la Russie, en développant nos relations sur un pied d'égalité (...) et qui respecteront le choix européen de l'Ukraine », a-t-il ajouté.
Le Parlement ukrainien a, en outre, voté la restitution à l'Etat de la luxueuse résidence du président Viktor Ianoukovitch. Cette propriété en banlieue de Kiev, dont la privatisation illégale avait été dénoncée ces dernières années par les médias et l'opposition, était devenue le symbole de la corruption du régime. Des milliers d'Ukrainiens ont pu la visiter depuis samedi.
Entre Berlin, Paris, Moscou et Washington, l'avenir de l'Ukraine en question
Face à cette transition politique, la haute représentante de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, se rend à Kiev lundi pour rencontrer les « principaux acteurs » et « discuter du soutien de l'Union européenne à une solution durable à la crise politique, ainsi que de mesures pour stabiliser la situation économique » du pays.
Le ministre des finances britannique, George Osborne, a déclaré lundi depuis Singapour que l'UE se tenait prête à aider l'Ukraine à honorer ses engagements financiers et négocier son tournant politique, en précisant que l'essentiel de cet apport prendrait la forme de prêts. « Ce sont les tout premiers jours, les premières heures (de la transition), mais les Ukrainiens semblent avoir démontré leur volonté de projeter leur pays dans l'avenir et de se rapprocher de l'Europe, et je ne crois pas que nous devrions leur tourner le dos, nous devrions au contraire aller vers eux. »
Le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, avait d'ores et déjà fait savoir que l'UE demeurait prête à conclure un accord commercial avec l'Ukraine, trois mois après le début des manifestations déclenchées par le refus de Viktor Ianoukovitch de signer un partenariat de ce type.
L'avenir de l'Ukraine a aussi fait l'objet d'une conversation entre François Hollande et Angela Merkel. Le président français a salué « la transition démocratique qui s'engage », et souligné que « l'unité et l'intégrité territoriale du pays doivent être respectées ». Une ligne sur laquelle se sont également mis d'accord au cour d'un entretien téléphonique, Mme Merkel et le président russe Vladimir Poutine.
Des protestataires rassemblés sur les barricades de la place de l'Indépendance, le 23 février à Kiev. Des protestataires rassemblés sur les barricades de la place de l'Indépendance, le 23 février à Kiev. | AFP/BULENT KILIC
Dimanche soir, la Russie a toutefois annoncé qu'elle rappelait son ambassadeur en Ukraine afin de mener des consultations sur « la dégradation de la situation » à Kiev. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a insisté, lors d'un entretien téléphonique avec son homologue américain John Kerry, sur la nécessité d'appliquer l'accord de sortie de crise du 21 février, signé sous l'égide des ministres des affaires étrangères allemand, polonais et français et salué officiellement par les Etats-Unis. Il a accusé l'opposition de s'être « de facto emparée du pouvoir en Ukraine, refusant de déposer les armes ».
M. Kerry a rappelé pour sa part la nécessité « pour tous les Etats de respecter la souveraineté de l'Ukraine, son intégrité territoriale et sa liberté de choix », et exprimé le « ferme soutien » du gouvernement américain à la désignation d'un président et d'un premier ministre de transition.
Timochenko reste mystérieuse sur ses ambitions
Accueillie comme une héroïne samedi soir place de l'Indépendance, Ioulia Timochenko s'est replacée au centre du jeu politique. Mais personne ne connaît encore ses réelles ambitions. Dimanche, elle a refusé l'idée de redevenir chef du gouvernement. « Je vous demande de ne pas envisager ma candidature pour le poste de premier ministre », a-t-elle écrit sur le site Internet de sa formation politique.
Ce qui n'empêche pas l'ancienne responsable de préparer la suite. Elle s'est ainsi entretenue avec la chancelière Angela Merkel qui l'a félicitée pour sa libération et s'est dite certaine que son retour dans le jeu politique allait contribuer à stabiliser la situation dans le pays.
Le président destitué est lâché par les siens
Quant au président déchu Viktor Ianoukovitch, il a été lâché dimanche par son propre mouvement. « L'Ukraine a été trahie, les Ukrainiens dressés les uns contre les autres », a déclaré le Parti des régions, soulignant « la responsabilité de Ianoukovitch et de ses proches ».
Dans tout le pays, les Ukrainiens continuent de s'interroger sur l'endroit où se trouve leur président destitué, invisible depuis son interview à la télévision, samedi après-midi. Une de ses collaboratrices avait expliqué qu'il était à Kharkiv, puis le nouveau président du Parlement, Olexandre Tourtchinov, l'avait situé à Donetsk, où il aurait tenté de fuir en Russie à bord d'un avion, mais il en aurait été empêché par les gardes-frontières. Ces derniers ont indiqué par la suite que M. Ianoukovitch avait tenté en vain de les corrompre pour qu'ils laissent son avion décoller. Depuis, l'Ukraine n'a aucune nouvelle de son président déchu.
Une partie des opposants souhaite en tout cas poursuivre en justice les dirigeants de l'ancien régime. Oudar, le parti de l'ancien champion du monde de boxe poids lourds, Vitali Klitschko, a demandé le lancement d'un mandat d'arrêt international « pour que les criminels qui se sont enfuis ou qui souhaitent le faire n'échappent pas à la justice ». Une enquête a déjà été ouverte contre trente hauts responsables de la police pour leur rôle dans la répression.
Des documents potentiellement explosifs détaillant un système de pots-de-vin organisé et une liste de journalistes à surveiller ont par ailleurs été découverts dans la résidence de M. Ianoukovitch en banlieue de Kiev.
Kiev rend hommage à ses martyrs
Dimanche, Maïdan, la place de l'Indépendance à Kiev, était noire de monde, mais le public rassemblé allait au-delà des habituels manifestants hostiles au président déchu Viktor Ianoukovitch : il y avait des gens de tous âges et de tous milieux, y compris des parents avec leurs poussettes, venus apporter des fleurs ou allumer des cierges devant une multitude de chapelles improvisées. « On n'a pas le droit d'oublier », proclame une pancarte sur l'une d'elle, entourée d'icônes.
Au moins 82 personnes ont été tuées entre mardi et jeudi à Kiev, lorsque la police a ouvert le feu à balles réelles. Quelque quarante statues de Lénine ont aussi été déboulonnées ou vandalisées depuis le début de la semaine, principalement dans l'est du pays.


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