Six actions fondatrices de l’État du Québec, vraiment ?

Le plan provincialiste d’Alexandre Cloutier

Comme Lisée, une voie de contournement de l’indépendance

Chronique de Gilbert Paquette

Jean-François Lisée propose d’éliminer clairement l’indépendance de la précampagne, de la campagne électorale de 2018 et du prochain mandat. Il a le « mérite » d’être clair en proposant de continuer ce que le Parti québécois fait depuis le référendum de 1995, évacuer son option au profit de la gouvernance provinciale. Cela aura pour effet une baisse d’appui dans les sondages…ce qui l’incitera encore plus à évacuer l’indépendance en 2022.
Alexandre Cloutier lui, fait indirectement la même chose en proposant six actions qu’il qualifie de « fondatrices pour l’État du Québec ». C’est agréable à lire, c’est vaguement nationaliste, cela parait bien et cela conforte l’establishment du parti dans la continuité qu’elle préconise, une continuité délétère pour l’option indépendantiste, faut-il le rappeler.
Pour voir de quoi il en retourne vraiment, reprenons une à une ces six (6) actions soi-disant « fondatrices » (en italique) que mettrait en œuvre un gouvernement Cloutier dans la première année de son mandat.
1. L’adoption d’une Constitution du Québec, qui établira le principe de la laïcité de l’État et regroupera regroupement des textes fondamentaux comme la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la Charte de la langue française, la Loi sur l’Assemblée nationale et la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux.
Je n’ai rien contre la recopie de textes fondamentaux existants dans une Constitution interne de la province de Québec. Mais cette constitution interne sera toujours soumise à la constitution canadienne de 1867 et de 1982. C’est cette dernière qui aura toujours préséance sur les lois du Québec. Cette action No 1 ne rapatrie aucune compétence, aucun budget, aucun traité dont l’État canadien s’est arrogé le contrôle à nos dépens. Elle ne renforce en rien l’État du Québec qui demeure toujours une province soumise aux décisions d’un État canadien de plus en plus assimilant et envahissant. Ce n’est même pas nationaliste, c’est une action provincialiste qui constitue par contre une reconnaissance implicite dangereuse de la Constitution de 1982 dont notre Assemblée Nationale dénonce régulièrement l’imposition unilatérale au Québec.
2. La création d’un Conseil constitutionnel québécois, dont les membres seront nommés par le Québec et auquel nous pourrons nous adresser pour tout enjeu constitutionnel. Cela nous permettra de jeter les bases de notre indépendance judiciaire. Les exemples de l’Allemagne et de la Suisse, où des länders et des cantons ont leur propre cour constitutionnelle, peuvent nous servir de guide.
La comparaison avec les länders allemands et les cantons suisses est éclairante puisque celles-ci sont l’analogue des provinces canadiennes. Notre nouvel horizon serait donc un meilleur fédéralisme. C’est encore là une position provincialiste. Remarquez qu’il n’est pas mauvais de se doter d’un Conseil constitutionnel consultatif. Ce peut être un outil politique intéressant pour se défendre de décisions inacceptables de la Cour suprême du Canada, mais ce sont les décisions de cette dernière qui prévaudront toujours. Cela n’a rien de fondateur pour l’État québécois, simplement un mécanisme de défense dans la plus pure tradition fédéraliste.
3. L’adoption d’une déclaration d’impôts unique, qui permettra d’alléger le fardeau administratif des contribuables et des entreprises.
Comment peut-on faire cela sans l’indépendance ? Par quel miracle le Canada qui voit le Québec comme une province comme les autres lui accorderait-il un tel privilège en lui transférant la perception de ses impôts au Québec ? Vous imaginez le tollé dans le reste du Canada ? Avec un gouvernement libéral encore plus centralisateur à Ottawa que le précédent, cette illusion que diffuse aussi la CAQ, et avant elle l’ADQ de Mario Dumont, est une porte fermée à double tour.
4. L’application de la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale faisant affaire au Québec, afin de renforcer la place du français dans tous les milieux de travail, et inscription du droit à la francisation dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Dans une vraie fédération qui respecte le français, la francisation des entreprises fédérales devrait aller de soi. Pas au Canada. Cela fait partie depuis des années des revendications du Bloc québécois à Ottawa, et maintenant aussi de François Legault. Le Canada anglais sous Trudeau père s’est donné la peine de rapatrier la constitution en 1982 pour contrer la loi 101, s’imaginer que Trudeau fils accepterait d’appliquer la même loi 101 aux entreprises de compétence fédérale du Québec, alors qu’il peine à appliquer le bilinguisme dans ses propres organismes fédéraux, est un autre rêve, impossible sans l’indépendance.
5. La fin du financement du lieutenant-gouverneur, un symbole de la monarchie britannique qui coûte près d’un million de dollars par année aux Québécoises et aux Québécois.
C’est une bonne idée et une petite économie. Mais rien n’empêchera Ottawa de compenser financièrement et nous aurons toujours dans le décor ce symbole royaliste débilitant, sans compter que son rôle constitutionnel ne sera nullement modifié, son existence étant définie par la constitution du Canada. On est loin de la république du Québec!
6. L’abolition du serment d’allégeance à la reine d’Angleterre lors de l’assermentation des députés, un vestige d’une autre époque qui sera remplacé par un serment d’allégeance au peuple et à la Constitution du Québec, à la suite de l’adoption d’une loi par l’Assemblée nationale.
On se demande pourquoi le PQ a attendu si longtemps pour le faire. C’est aussi ce qu’a proposé Martine Ouellet. Mais pourquoi attendre que le PQ soit au gouvernement ?
***
De toute évidence, nous avons devant nous six mesures provincialistes qui ne renforce en rien l’État du Québec, enjolivées d’un titre trompeur : « Six actions fondatrices de l’État du Québec ». Fondatrices mon œil! Affirmer cela c’est clairement jeter de la poudre au yeux tout en donnant belle image au candidat. Plus grave, il s’agit d’une voie de contournement qui reporterait la réalisation de l’indépendance, ce pourquoi René Lévesque a fondé ce parti.
Mais la peur de perdre une élection a remplacé l’urgente nécessité de l’indépendance. Le candidat Cloutier n’ose pas présenter des projets que l’indépendance permettrait de réaliser, par exemple une véritable république du Québec et des projets dont le Québec a besoin pour la protection du climat, le développement de l’emploi ou un Québec résolument français pour lesquels on a besoin de l’indépendance. Il accrédite ainsi le discours libéral à l’effet que l’indépendance serait déconnectée des besoins de la population ou celui de la CAQ qui affirme, en dehors de la réalité, que des changements au régime canadien sont possibles.
Le résultat de ce cercle vicieux provincialiste dont n’arrive pas à se défaire le Parti québécois a un impact dans les sondages, ce qui incite l’establishment péquiste à encore plus de contorsions nationalistes. Car si les sondages ne sont pas bons, on ne peut risquer de perdre l’élection n’est-ce pas ? Le résultat de 20 années de ce régime depuis 1995 est que très peu des 40% de souverainistes croient encore à la volonté du Parti Québécois de réaliser l’indépendance, ce qui ne peut qu’enclencher une spirale descendante.
Il faut maintenant un changement de cap vers une indépendance pleinement assumée, avant, pendant et après chacune des élections, jusqu’à ce que la population élise un gouvernement indépendantiste sérieux ayant demandé un mandat pour la réaliser et décidé à le faire.

Squared

Gilbert Paquette68 articles

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Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’Assemblée nationale du Québec le 15 novembre 1976, réélu en 1981, Gilbert Paquette a occupé les fonctions de ministre de la Science et de la Technologie du Québec dans le gouvernement de René Lévesque. Il démissionne de son poste en compagnie de six autres ministres, le 26 novembre 1984, pour protester contre la stratégie du « beau risque » proposée par le premier ministre. Il quitte le caucus péquiste et complète son mandat comme député indépendant. Le 18 août 2005, Gilbert Paquette se porte candidat à la direction du Parti québécois. Il abandonne la course le 10 novembre, quelques jours à peine avant le vote et demande à ses partisans d’appuyer Pauline Marois. Il est actuellement président du Conseil d’administration des intellectuels pour la souveraineté (IPSO).





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3 commentaires

  • Bernard Desgagné Répondre

    4 octobre 2016

    Voici Alexandre Cloutier [en train de faire l'éloge de la Cour suprême->https://youtu.be/70SeEBUkxvU] pendant la campagne électorale de 2014.
    D'entrée de jeu, la journaliste Geneviève Asselin lui tend la perche: «On peut donc dire que le plus haut tribunal du Canada protège les intérêts du Québec.» Et le petit Alexandre de répondre béatement: «En tous cas, on est extrêmement fier du travail qu'on a accompli. On est fier de s'être tenus debout […]». Le suite de l'entrevue est à l'avenant.
    C'est drôle, il y a des paroles de Loco Locass qui me viennent soudainement à l'esprit: «Sucer debout, c'est ça se tenir drette». Me semble que la chanson parlait des libéraux. Je me demande bien pourquoi Alexandre Cloutier me fait penser aux libéraux.
    Avec des souverainistes comme ça, on n'a plus besoin de fédéralistes. C'est triste à mourir.

  • François Ricard Répondre

    26 septembre 2016

    M. P:aquette,
    Comment le Québec pourrait-il obtenir son indépendance suite à un référendum qui ne serait reconnu ni par le Canada ni par les instances internationales?
    Surtout si ce référendum est gagné à l'"arraché?
    Le 50%+1 ne serait reconnu par personne.
    Et je suis sûr que le Canada n'acceptera jamais de signer un pareil accord pour la tenue rapide d'un référendum.
    Vous et Mme Ouellet, vous vous bernez en laissant croire le contraire. Et vous bernez les indépendantistes et toute la population.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 septembre 2016

    Je suis en tout point d'accord avec votre texte, M. Paquette.
    Mon bulletin (sur 10) au débat de cet après-midi.
    Lisée: 8.5
    Ouellet: 8.5
    PSPP: 8.5
    Cloutier: 7.0 (surtout dans la première moitié du débat)
    La révélation de cette chefferie: PSPP. Je ne suis pas d'accord avec sa proposition sur le référendum, mais je le verrais très bien à la Chambre des Communes, à débattre avec Jean-Marc Fournier.