Le peuple québécois d'hier et d'aujourd'hui

Chronique de Claude Bariteau


Au cours des prochaines années, le peuple québécois deviendra une nation politique dotée d'un pays présent dans le monde ou s'enlisera en un banal faisceau de sous-groupes au sein du Canada, l'un d'eux étant qualifié de nation ethnoculturelle.
C'est la deuxième fois qu'une telle situation se présente. La défaite d'Odelltown des frères Chasseurs en 1838 aux mains de l'armée britannique et des loyalistes a entraîné l'éradication du Parti patriote et neutralisé l'affirmation du peuple québécois en nation politique.
Dès 1839, les protestants créent la French-Canadian Missionnary Society pour insuffler leurs valeurs aux Canadiens français. Associé aux détenteurs du pouvoir politique, le haut clergé regimbe. Avec le soutien d'hommes d'affaires et de seigneurs du terroir, Mgr Bourget se rend en Europe y recruter des communautés religieuses.
Se met alors en place un encadrement religieux et économique de la population de langue française du Québec, déjà militairement et politiquement sous contrôle. Amorcé sous l'Acte d'union, ce dispositif se raffine après la création du Dominion of Canada à un point tel que la population du Québec se mute en deux solitudes régentées par des institutions canadiennes.
Ce modus vivendi dure jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'une vague de décolonisation déferle, le Québec vit une Révolution tranquille marquée par un cycle de violence. C'est dans ce contexte que se propage l'idée de créer un pays indépendant du Canada et que naît le RIN.
En 1968, plusieurs de ses membres se joignent au Parti québécois. En 1974, le PQ opte pour une approche électoraliste sertie d'un référendum. Élu en 1976, il réalise plusieurs réformes et tient un référendum, qu'il perd en 1980.
En 1982, le Canada rapatrie sa Constitution et introduit une nouvelle conception politique du Canada, comme l'a fait la Grande-Bretagne en 1840. Le pouvoir central se renforce et le bilinguisme comme le multiculturalisme deviennent les assises identitaires du Canada.
En gros, les deux nations, prétendument fondatrices, sont métamorphosées en langues officielles chapeautant des cultures et les nations autochtones sont reconnues. Le Québec réagit avec l'interculturalisme et sa reconnaissance des nations autochtones.
S'ensuit l'accord du lac Meech; son échec ranime les promoteurs d'un nouvel ordre politique au Québec. En 1995, autre échec. L'idée de faire pays demeure. Elle s'exprime alors dans un univers où coexistent deux cadres sociétaux prônant, chacun à leur façon, des clivages ethnoculturels qui engendrent des crises identitaires.
La protection culturelle revient alors à l'avant-scène. L'ADQ ouvre le bal en injectant de l'identitaire dans le politique. Y contribuent la motion canadienne sur la nation québécoise, le virage identitaire du PQ et la commission Bouchard-Taylor.
Du coup, refont surface la thèse de l'autonomie, celle d'un groupe souche porteur du projet d'indépendance et, avec le tandem Legault-Sirois, l'idée que la nation canadienne-française du Québec puisse s'activer indépendamment des structures politiques canadiennes, comme hier la nation canadienne-française.
Si la tendance se maintient, dès que les promoteurs du pays du Québec passeront pour des dinosaures, le gouvernement Harper tentera de revoir le modèle de 1982 avec l'appui du NPD, question de lester des bonbons à ses alliés du Québec qui s'affichent déjà comme les promoteurs et protecteurs du terroir.
C'est ici que la comparaison avec 1840 s'amenuise. Autant en 1980 qu'en 1995, le peuple québécois n'a pas subi de défaite militaire. Il a simplement perdu des référendums à la suite desquels le Canada s'est refait et a adopté une loi de clarification. Depuis, les dirigeants de ce pays et ses promoteurs locaux cherchent, à l'aide du PLQ et de l'ADQ, à contrer toute organisation politique qui remettrait sur les rails le projet de pays.
Voilà qui nous ramène aux vrais enjeux. Créer un pays est une affaire hautement politique et, parce que ce l'est, ça naît d'hommes et de femmes, quels qu'ils soient, qui veulent instituer un ordre politique différent de celui dans lequel ils vivent. Ces hommes et ces femmes ont évidemment des traits qui les démarquent. L'important demeure indubitablement la façon dont ils entendent prendre leurs décisions, notamment celle de faire pays.
En 1974, le PQ, alors seul parti indépendantiste, préconise la prise du pouvoir suivie d'un référendum. Reconduit en 1995, ce modèle est aujourd'hui déphasé. Le Canada a une loi qui piège tout référendum et il existe deux partis, le PQ et Québec solidaire, qui prônent l'indépendance. Bientôt il y aura peut-être un autre parti indépendantiste issu de la dissension au PQ et, sûrement, un parti né de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ).
Ces deux partis, faut-il le rappeler, émergent du PQ. S'ils sont à couteaux tirés, ce que monteront en épingle les médias, ils assureront la réélection du PLQ ou, selon des sondages, celle du parti né du CAQ. Peut-être même d'un rapprochement entre le PLQ et l'ADQ. Alors, les partis indépendantistes et celui né du CAQ serviront les intérêts des fédéralistes.
S'ils se rapprochent, ce qui inquiète les fédéralistes québécois, dont l'ADQ et le PLQ, ils deviendront le fer de lance d'une refonte autant du projet indépendantiste, de la démarche et du cadre politique d'un Québec devenu pays. Dès lors, ils passeront à l'histoire comme les bâtisseurs de la nation politique québécoise. Dans le cas contraire, ils en seront les fossoyeurs, comme leurs opposants.
Voilà pourquoi autant le repli que l'affirmation sont des trajectoires possibles. Le repli a tout d'un remake pour frileux dont tirera avantage le monde des affaires, aidé en cela par les médias à son service. Quant à l'affirmation, elle exige dépassement et ouverture pour créer un nouvel ordre politique. Aussi, lors des prochaines années, le peuple québécois sera à un tournant.
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Claude Bariteau, anthropologue

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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