Le peuple québécois à un point tournant

Cela dit, il faut savoir qu’être momentanément désorienté n’est pas la fin du monde. C’est plutôt un tournant qui ouvre la porte à une remise en question.

Chronique de Claude Bariteau



L'auteur souligne qu'il y eut un signe avant-coureur à cette vague néo-démocrate: la reconnaissance en 2006 d'une nation ethnoculturelle québécoise par les partis fédéralistes canadiens, reconnaissance que des leaders souverainistes ont accueillie positivement.
Photothèque Le Soleil

Quand, à 22h35 le 2 mai 2011, Ken Dryden, l'ancien gardien de but du Canadien, est déclaré défait, pour moi, c'en est fait. Il y aura un gouvernement majoritaire. Je le sentais venir depuis quarante-cinq minutes. Les candidats et candidates du Parti conservateur du Canada élus ou en avance dépassaient en nombre tous les autres et l'écart s'agrandissait.
Sur les ondes, les commentateurs ne parlent que de vague orange et de déconfiture bloquiste. À peine considèrent-ils la vague bleue qui déferle. Le biais Québec les aveugle. Pourtant, il y a une vague bleue. Constante. Forte. Que je vois venir.
À 22h45, TVA annonce l'élection d'un gouvernement majoritaire conservateur. Les commentateurs constatent alors que le Canada est tout bleu à l'ouest et à l'est d'un Québec orange.
Certains analystes voient dans cette couleur orange un net penchant en faveur d'une troisième voie, l'indépendance paraissant au peuple québécois un dernier recours après avoir tout essayé pour demeurer Canadien sans se nier.
Cette explication, au fond, valide la propension de ces analystes à édifier au Canada des châteaux en Espagne pour les Québécois qu'ils définissent en termes ethnoculturels. Leur propension les empêche de penser les Québécois et Québécoises de toutes origines sur un socle citoyen, comme le font les bâtisseurs de pays. Et de ne pas être capable de voir que cette vague orange cherchait à protéger le Québec d'une vague bleue.
Rien du phénomène subit
Or, la vague bleue et la vague orange n'ont rien d'un phénomène subit. Leurs sources sont la reconnaissance en 2006 d'une nation ethnoculturelle québécoise par les partis fédéralistes canadiens, reconnaissance que des leaders souverainistes ont accueillie positivement.
Après, tout s'agite au Québec. L'ADQ devient l'opposition officielle en 2007. Le PQ fait un virage identitaire. Aux élections canadiennes de 2008, le BQ reçoit son plus faible support, 38 %, depuis sa création.
Du coup, les thèses indépendantistes s'affadissent, car, avec cette reconnaissance, le peuple québécois est redéfini telle une minorité nationale ethnoculturelle inscrite, par définition, dans le registre du droit des peuples à la protection plutôt qu'une nation souveraine de citoyens et de citoyennes égaux ayant le droit de créer son propre État.
Tout commence là. Puis, jour après jour, les bâtisseurs de pays sont éradiqués du Québec. Ce 2 mai, à 23h45, Gilles Duceppe, visiblement en état de choc, en témoignait. Ce fut le moment le plus dramatique depuis ceux que firent vivre Jacques Parizeau en 1995 et René Lévesque en 1980.
Ce 2 mai, les vagues bloquistes dans l'attente que le peuple québécois, de toutes origines, se prenne en main, furent annulées par une vague orange, très locale, sur laquelle flottaient les espoirs de bloquer autrement les conservateurs tout en espérant changer l'approche canadienne à l'égard du Québec en joignant à la reconnaissance des retombées socio-économiques.
La porte du rêve... scellée
Avec la vague orange, le peuple québécois entrouvrait une énième fois la porte du rêve bien que le chef du BQ disait qu'elle est scellée à tout jamais. À 23h45, c'est ce qui arriva. La vague bleue devenait majoritaire, la porte se scellait de nouveau et la vague orange se transformait en cauchemar pour les Québécois et Québécoises de toutes origines.
Ces quarante dernières années, au Québec, plusieurs vagues se sont manifestées pour attirer l'attention du Canada. Elles se sont toutes affaissées après quelque temps. Ce fut le cas de la vague rouge-Trudeau qui a conduit au rapatriement de la constitution. Puis de la vague bleue-Mulroney de la réconciliation. Le 2 mai, ce furent les vagues bloquistes et, à peine apparue, la vague orange frappa un mur bleu qui l'affaissera rapidement.
Avec toutes ces vagues, il ressort néanmoins une constante : le peuple québécois s'agite en vain parce qu'il ne se pense pas en nation souveraine, préférant porter le chapeau que le Canada lui met sur la tête. Aussi, se trouve-t-il aujourd'hui désorienté de se concevoir en nation minorisée.
Cela dit, il faut savoir qu'être momentanément désorienté n'est pas la fin du monde. C'est plutôt un tournant qui ouvre la porte à une remise en question. Le 2 mai 2011, c'est ce qui s'est produit lorsque se sont fermées les portes qui ont engendré les vagues précédentes.
Au Québec, les deux prochaines années s'annoncent de cet ordre. Elles peuvent, bien sûr, conduire à l'enfermement de la nation ethnoculturelle québécoise dans le moule canadien et à la mort de l'idée d'indépendance.
Elles peuvent aussi être un moment crucial qui prépare le déferlement sur le Québec d'une vague aux couleurs variées comme celles qui donnent naissance à l'affirmation d'une nation politique indépendante des autres nations politiques.
Pour qu'il en soit ainsi, il faudra sortir des marais identitaires dans lesquels vivotent les nations minorisées et édifier le socle sur lequel s'édifiera le pays du Québec. En gros confectionner son chapeau et le porter la tête haute.
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Claude Bariteau, anthropologue

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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