La résistance du Hezbollah à l'offensive israélienne au Liban vaut à son leader actuel, Hassan Nasrallah, l'admiration de millions de gens. Est-il possible que ce chef religieux et son «Parti de Dieu» ne soient qu'un groupe «terroriste», soutenu et manipulé par Damas et Téhéran? On cherche en vain dans l'histoire contemporaine le groupe qui aurait lui aussi gagné des élections, fait son entrée au gouvernement et tenu en échec une armée moderne. Malgré toute une propagande qui fait du Hezbollah un autre démon islamique, les faits révèlent une tout autre réalité.
Nasrallah n'est pas le fondateur de cette organisation chiite libanaise. Il en aurait été cependant l'un des premiers dirigeants. Le Hezbollah, comme d'autres mouvements, est né à la fois de la résistance à l'occupation israélienne au sud du Liban et du sort inéquitable fait par le Liban à sa population chiite. Là où les autorités de Beyrouth s'étaient montrées incapables de défendre le territoire national et de faire une place aux chiites dans le gouvernement du pays, le Parti de Dieu s'est employé avec succès à le réaliser.
Plus d'un gouvernement aimerait bien que le Hezbollah soit vraiment une simple organisation terroriste. Les groupes de ce genre sont d'ordinaire voués à la marginalité et à une fin abrupte. Mais ils donnent entre-temps un prétexte commode à qui ne veut pas résoudre les vrais problèmes. Au contraire, il s'agit ici d'un mouvement de justice sociale au service d'une population défavorisée, d'une organisation de résistance militaire, et d'une force de revendication identitaire.
Le Hezbollah est ainsi devenu un «cauchemar» non seulement pour Israël, mais aussi pour d'autres régimes de la région, incapables de répondre aux aspirations de leurs populations. Par delà le conflit israélo-palestinien -- on le voit avec la sanglante guerre civile en cours en Irak --, un affrontement de grande envergure est engagé entre les branches chiite et sunnite de l'islam. Ironiquement, dans le cas du Liban, les deux communautés musulmanes se seront rapprochées dans l'épreuve commune.
Ascendant exceptionnel
Si le Parti de Dieu demeure une organisation d'envergure modeste, Nasrallah jouit par contre d'un ascendant exceptionnel. Aucun autre leader ne jouit présentement d'un tel prestige au Proche-Orient. Sa biographie fait découvrir une personnalité aussi attachante que solide. Écolier pauvre mais studieux, musulman formé à l'école théologique réputée de Qom (Iran), père de famille vivant parmi ses gens, Nasrallah s'est aussi révélé un dirigeant politique habile, souple et bien de son temps. (Ironie de l'histoire, il doit son poste actuel à Israël, qui a assassiné son prédécesseur, Sheik Musawi.)
Contre le sentiment des islamistes radicaux, Nasrallah avait su négocier avec les «apostats» sunnites de Beyrouth un accord politique. Par deux fois, il a aussi conclu des arrangements avec les «infidèles» juifs de Tel-Aviv. Tout récemment, il a signé une entente avec un important leader politique chrétien, Michel Aoun, un ancien chef militaire libanais. Dans les régions chiites du pays, le Hezbollah a construit des écoles où, contrairement à celles des talibans d'Afghanistan, les filles sont admises.
Dans ses déclarations à la presse internationale, en effet, Nasrallah n'a pas caché sa réprobation de l'islam répressif et arriéré pratiqué par les talibans. Ni sa condamnation de l'attaque d'al-Qaïda contre le World Trade Center. Par contre, il a clairement affiché son opposition farouche aux destructions israéliennes (il y a perdu un de ses enfants) ainsi qu'aux prétentions hégémoniques de Washington dans cette partie du globe. Pour un «terroriste», autant de jugement étonne.
Ne pas confondre
Il ne manque pas de chiites radicaux, il est vrai, pour recourir aux armes et aux attentats suicide, y compris contre des civils, même quand la légitime défense ou la résistance à l'occupant ne peut être invoquée. En s'en prenant à des cibles non militaires, le Hezbollah enfreint le droit international autant que la morale musulmane. Que la terreur soit aussi pratiquée par Israël et d'autres États, ou que les Arabes du Proche-Orient n'aient guère d'autres moyens de se défendre, ne saurait justifier le massacre de civils innocents.
Toutefois, il ne faut pas confondre un groupe terroriste avec une organisation qui, entre autres moyens, recourt à la terreur. S'il fallait le faire, plusieurs États démocratiques, y compris Israël, devraient être inscrits sur une liste criminelle. Le vrai test auquel juger le Hezbollah sera sa politique quant au type d'État qu'il voudra faire prévaloir au Proche-Orient. Les chrétiens du Liban, qui ont longtemps rejeté la présence de la Syrie dans leur pays, doivent-ils maintenant craindre l'établissement d'une pouvoir islamique à Beyrouth ? Les chiites libanais ne l'ont jamais réclamé. Et la récente invasion israélienne aura plutôt rapproché les diverses confessions du pays.
Plus inquiétant est le discours du Hezbollah sur Israël. Le Parti de Dieu n'a pas seulement fait échec à l'occupation israélienne au Liban, puis à l'offensive récente de Tsahal. Dans un excellent dossier paru le 12 août dernier, le journaliste Patrick Martin, ancien correspondant du Globe and Mail au Moyen-Orient, rappelle le mot du leader chiite après le retrait, en 2000, des forces d'occupation israéliennes du Liban. «Nous avons libéré le sud. La prochaine fois, nous allons libérer Jérusalem.»
Si la plupart des pays arabes ont finalement accepté la présence de l'État hébreu dans l'ancienne Palestine, tout en contestant le statut fait à Jérusalem, il n'en va pas ainsi du pouvoir clérical dans la République islamique d'Iran. Non seulement l'Iran est-il devenu une théocratie, mais son actuel gouvernement prône la suppression d'Israël. Or, les Palestiniens eux-mêmes ne réclament pas la fin d'Israël ni, non plus, la création d'une Palestine islamiste. Par contre, les menaces proférées contre Israël auront longtemps donné à Tel-Aviv un motif plausible pour refuser tout compromis historique avec ses voisins.
La prochaine étape n'amènera pas Nasrallah à Jérusalem, mais plutôt à Beyrouth. Les combattants du Hezbollah ne vont pas remettre leurs armes aux représentants des Nations unies : ce serait désarmer les seules forces libanaises qui comptent. Ils vont plutôt s'intégrer à l'armée du pays, lui donnant enfin la crédibilité militaire et l'appui populaire qui lui ont fait défaut jusqu'à ce jour. Le Liban, toutes communautés confondues, devra alors décider de sa «politique palestinienne».
Pour le Canada, la présence du Hezbollah dans le cabinet et l'armée du Liban va-t-elle faire de ce pays un État terroriste ? Qui a intérêt à voir chrétiens et sunnites du Liban s'engager dans une guerre civile contre les chiites ? Hassan Nasrallah paraît avoir l'envergure voulue pour éviter ce qui serait, avec la mort du pays du Cèdre, la reprise des atrocités au Proche-Orient. Malheureusement, à en juger par le discours qui prévaut ces jours-ci à Ottawa, personne au Liban ne devra trop compter sur le gouvernement du Canada.
Dans la capitale canadienne, en effet, le seul leader qui se tienne debout, Stephen Harper, défend une position suicidaire. Et les autres dirigeants politiques, qui pourraient faire valoir une approche mesurée, se terrent presque tous, terrorisés à l'idée de parler au Hezbollah. Il faudra bien tôt ou tard crever cet abcès.
redaction@ledevoir.com
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
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