Notre père, un gérant de caisse populaire, s’est fait battre aux élections de 1970 par Camil Samson. Nous qui l’aimions aveuglément – c’était notre idole - n’avons pas compris qu’un clown sans étude puisse battre notre père, un homme dévoué et instruit. Il est vrai qu'à l'époque, nous n’avions pas encore cette intelligence populaire qui permet au commun des mortels de comprendre des choses fort simples.
Mais j’ai fini par comprendre. Ce n’est pas le plus intelligent qui gagne la faveur de l’électorat, c’est le plus habile. Celui qui parle la langue du peuple. Une leçon que m’a donnée un vieux routier de la politique alors que j’étais directeur du centre universitaire de Vald’or. Deux ou trois farces pour réchauffer l’atmosphère, on écoute les réactions, on décode, puis on essaie d’adopter le même niveau de langage.
C’est grâce à cette longue expérience chez les créditistes que je suis devenu un des rares observateurs à avoir prédit dès 2006* la montée de l’ADQ survenue l'année suivante, en 2007. Je me souviens encore de ces conversations où on me prenait pour un illuminé alors que l’ADQ récoltait moins de 10% de la faveur populaire.
À voir la foire d’empoigne qui se déroule présentement à l’ADQ, plusieurs seraient tentés de prédire sa mort. Or, ce qui fait le charme de l’ADQ aux yeux de plusieurs Québécois, ce sont justement les débats simplistes qu’on y tient.
« Eric Caire n’a pas de diplôme, c’est quoi le problème ? Pas besoin d’aller à l’université pour être intelligent. Y a plein d’imbéciles instruits avec des doctorats qui ne sont même pas capables de régler les problèmes dans les urgences et les écoles publiques! Et puis, si on peut devenir sénateur sans savoir lire ni écrire... »
Pour ces personnes, très nombreuses, les solutions doivent être simples. L’élection de Jean D’Amour dans Rivière-du-Loup a prouvé que la clientèle adéquiste se préoccupait peu d’éthique et qu’elle demeurait surtout pragmatique, prête à pardonner quelques frasques que le commun des mortels peut commettre, comme conduire avec les facultés affaiblies et profiter de ses contacts pour faire vivre sa famille. Car, c’est sous cet angle que les adéquistes de Rivière-du-Loup ont vu le libéral Jean D’amour. Un petit prix à payer pour que le comté soit du bord du pouvoir.
De la même façon, les adéquistes voient moins en Éric Caire celui qui aurait maquillé son curriculum vitae, que le gars qui a réussi à se rendre là où il est sans diplôme. Le même candidat qui propose d’augmenter rapidement les droits de scolarité universitaires pour rejoindre la moyenne canadienne. Un discours populaire chez les adéquistes. On comprend immédiatement que le coût des études universitaires ne les dérange pas, puisqu’ils estiment qu’il ne s’agit pas d’un service essentiel. L’augmentation ne vise qu’à faire payer ceux qui envoient leurs enfants à l’université. Une forme d’équité sociale pour ceux qui ont fait un choix différent...comme Éric Caire. La même chose vaut pour l'augmentation des tarifs et la médecine privée. Ils sont tannés de payer pour les quêteux qui se font vivre par l’État.
Voilà pourquoi Jean Charest augmente en popularité dans les sondages. Ce sont des adéquistes se préoccupant plus de pain et de beurre que d'éthique qui ont rallié le camp libéral par pragmatisme qui font augmenter sa popularité. Des électeurs qui croient qu'il n'y a pas de scandale à s'enrichir et à faire des "affaires". De bonnes raisons pour faire de la politique!
Si ces anciens adéquistes sont satisfaits du leadership de Jean Charest, que sa rémunération secrète ne les a pas plus émus que celle de Mario Dumont, s’ils peuvent voter pour un délinquant comme Jean D’Amour, qu’est-ce qui les empêcherait de revenir à l’ADQ avec un chef comme Éric Caire ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, un gars qui a réussi sans diplôme universitaire, qui a l’intention de faire payer les riches pour les études universitaires de leurs enfants et permettre aux gens qui en ont les moyens de se faire soigner rapidement, est certainement un candidat qui mérite leur confiance.
Quant à l’idée défendue par les adéquistes d’envoyer les criminels à cravates plus longtemps en prison, cela n’a absolument rien à voir avec la vertu et l’éthique. Elle aussi découle d’une équation très simple. Le crime n’est pas celui qu’on commet, c’est celui pour lequel on se fait prendre. Pas vu, pas pris, pas de scandale ! Et puis une erreur dans un cv, ce n’est pas un crime !
C’est quoi déjà le problème d’Éric Caire ? Son éthique ? Faites-moi rire ! Les problèmes d’éthique, ce sont des problèmes qu’inventent les universitaires pour se discréditer entre eux, les avocats pour facturer des honoraires et les médias pour vendre de la copie, des clics et de la cote d’écoute. Il n'y a pas de mal à se retrousser les manches et à se salir un peu les mains quand on veut réussir!
***
Ce qui m’amène à faire un petit parallèle avec les chefs du PQ.
Le problème d’André Boiclair, ce n’était pas sa consommation de drogue ou même son homosexualité, c’est qu’il avait les fesses trop serrées au goût des électeurs québécois. Je suis sûr que Pierre Bourgault aurait pu réussir là où Boisclair a échoué !
La même chose vaut pour Madame Marois. Elle est trop pincée pour être populaire. Ça n’a rien à voir avec sa richesse. Un problème que n’a pas François Legault qui est probablement plus riche que Madame Marois. Mais voilà, il parle comme le peuple.
La comparaison vaut aussi avec Gilles Duceppe, un politicien populaire, même si c’est un ancien marxiste. La dernière fois que je lui ai parlé, je lui ai rappelé une vielle blague sur St-Roch et St-Agnès de Bellecombe, deux villages d’Abitibi où il a séjourné dans les années 70. Ses yeux se sont aussitôt allumés et il a lui-même terminé la blague.
Ceux qui veulent faire un parallèle avec la campagne électorale à Montréal comprendront pourquoi Diane Lemieux est un atout important dans la campagne du maire Tremblay. Elle a le talent politique pour attirer le regard des électeurs sur ce qu’ils considèrent le plus important. Pas l’éthique, l'image et le contact avec les électeurs.
***
Tout le monde est appelé à tricher pour gagner sa vie. C’est l’inverse qui est l’exception. Presque tous les patrons demandent à leurs employés de le faire s’ils veulent conserver leur job. C'est d'ailleurs l'appât du gain et le silence complice de plusieurs employés qui ont conduit au cataclysme financier de Nortel, de la CDPQ et à tous les scandales qui ont fait la une cette année. Il faut bien gagner sa vie après tout!
Comme dirait mon beau père, y a juste les imbéciles qui font passer leur éthique avant leur emploi et leur famille. Mes lecteurs ne seront pas étonnés d’apprendre que je suis un de ceux-là. Je ne pourrais probablement pas écrire dans Vigile si j'avais toujours mon emploi. Mais voilà, j'ai refusé de faire plaisir à un sous-ministre et ma vie est devenue un véritable calvaire. Mon père m’a dit récemment qu’il nous avait mal éduqués. Il aurait dû nous montrer à nous battre, à tricher et à être fluant en anglais. C’est mon beau père qui va être content d’apprendre ça !
C’est probablement ce qui différencie un professionnel de la politique d’un vrai politicien. Pauline et Jean!
* Un pas en avant... : http://www.ledevoir.com/2006/09/02/commentaires/0609021014355.html , repris dans Vigile le 2 septembre 2006.
Éric Caire comme chef?
Le mystère de l’ADQ
Pas si mystérieux que ça !
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
Cliquer ici pour plus d'information
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
16 septembre 2009Si ça peut en réveiller quelqu'uns :
« Le politicien qui réussit le mieux est celui qui dit le plus souvent et de la voix la plus forte ce que tout le monde pense. »
Theodore Roosevelt
Extrait d' In treasury of humorous quotations
Jean-François-le-Québécois Répondre
16 septembre 2009@ Louis Lapointe:
Certains voient peut-être en Éric Caire, une sorte de champion populaire, un gars qui aurait réussi à se rendre où il s'est rendu, comme vous nous dites, sans diplôme... À part strictement son diplôme d'études secondaires, possiblement...
On pourrait parler longuement du manque de professionalisme de Caire; de sa façon de s'exprimer avec une syntaxe douteuse; de son manque de rigueur intellectuelle; de sa vision presque enfantine des problèmes de la nation... etc... etc... On pourrait dire que c'est simplement un anti-intellectuel; un populiste en cravate...
Mais puisqu'on parle de son parcours, posons la question, justement: jusqu'où s'est-il «rendu», exactement? Pas si loin que ça, à mon humble avis.
Après tout, si monsieur Caire a enjolivé son CV, dans la section concernant son parcours académique, il a très bien pu le faire, dans la section concernant ses expériences professionnelles! Il faudrait vérifier certaines choses; à partir du moment où nous connaissons le bonhomme comme un menteur...
Caire est un peu comme Dumont, j'ai l'impression: en effet, le p'tit Mario, l'appellait-on, était surtout un beau bonhomme en complet et cravate, mais sans aucune substance. Un gars pour qui faire de la politique, c'était comme une fin en soi (et tant pis s'il disait n'importe quoi).
Je crois qu'avec la difficulté des défis qui nous attendent, ça va prendre plus, comme atout(s), qu'une simple cravate, pour arriver à des solutions applicables. Faisons savoir à l'ADQ, que la récréation est terminée!