Jean Allaire, fondateur et premier chef de l'Action démocratique du Québec, est optimiste: il croit que le parti sortira grandi de la crise qui le secoue. Photo: Martin Chamberland, La Presse
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Karim Benessaieh - Depuis la démission de son chef Mario Dumont, après les élections catastrophiques de décembre 2008, l'Action démocratique du Québec vit les moments les plus tumultueux de sa jeune histoire. Fondateur et premier chef du parti en 1994, qu'il a quitté à cause de problèmes de santé, Jean Allaire est demeuré un observateur attentif et écouté au sein de l'ADQ. Optimiste, il croit que le parti sortira grandi de cette crise. La Presse l'a rencontré.
Q: On l'a souvent répété, on annonce régulièrement la mort de l'ADQ...
R: On la souhaite, même!
Q: À l'ADQ, on vient de traverser une course à la direction pour le moins corsée, voire sale. Une élection controversée a suivi, puis le départ de Gilles Taillon, le nouveau chef élu de justesse le 18 octobre, dans un temps pratiquement record. Est-ce qu'un parti peut se remettre d'un épisode aussi, disons, vaudevillesque?
R: Je crois que oui, parce qu'on a des ressources beaucoup plus considérables et beaucoup plus sérieuses qu'on le pense. L'ADQ est un parti qui n'est pas connu, il n'est même pas vraiment connu par les membres qui en font partie. On a voulu faire passer l'ADQ pour une bande d'ignares, or, à l'intérieur même, j'ai trouvé des ressources extraordinaires.
Q: Loin de la caricature d'enfants d'école qu'un certain caricaturiste vous a accolée...
R: Ce sont des caricatures assez méchantes. J'en ris quand même, mais c'est épouvantable.
Q: Vous avez souvent parlé d'«assassinat politique» à l'égard de l'ADQ, d'abord en 2004 puis en 2008. Sur mon bureau, j'ai un livre complet intitulé Le bêtisier de l'ADQ dans lequel on recense les déclarations un peu loufoques de députés du parti. Maintenez-vous qu'il y a eu une sévérité exagérée à l'égard de ce parti?
R: Avez-vous un bêtisier pour chaque parti? Vous en auriez plusieurs volumes très épais. Peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression que chaque fois qu'on a lancé quelque chose, on a dit que ça n'avait pas de bon sens. Et ça s'est avéré chaque fois exact. On s'est attaqués à la dette, on était des alarmistes, et maintenant, on le voit, on s'en va dans un mur. Mario Dumont a parlé des pertes de la Caisse de dépôt, on a dit que ça n'avait pas de bon sens, que c'était terrible, ça s'est malheureusement avéré.
Q: Mais l'épisode de l'abolition des commissions scolaires, les médias ne l'ont pas inventé...
R: Oui, c'est vrai. Premièrement, je ne suis pas pour l'abolition des commissions scolaires. On doit réexaminer leur rôle, ça n'a pas été expliqué comme il faut à la dernière campagne, ça, c'est la faute de l'ADQ. Il faut intéresser les directeurs d'école, les professeurs et les parents, c'est là que ça se passe. C'est ça, le vrai plancher des vaches. C'est là qu'on va pouvoir faire une école qui n'est pas peinturée de la même couleur partout au Québec.
Q: En février dernier, après le départ de Mario Dumont, vous avez parlé d'un tournant pour l'ADQ, d'une occasion de trouver un nouveau chef et de se régénérer. Dix mois plus tard, avez-vous l'impression que l'occasion a été ratée?
R: À moitié. Ç'a suscité toutes les disputes qu'on connaît, mais ç'a suscité également, et c'est paradoxal, un intérêt qui n'existait pas autant pour l'ADQ. Il y a eu un sondage, il y a deux mois je pense, dans la population: à 63%, les gens disaient qu'il fallait que l'ADQ survive, parce que c'est important pour la diversité des opinions politiques. Seule l'ADQ est capable de soulever certains problèmes et attaquer certaines vaches sacrées. Tout à coup, les gens réalisent tout ça. Mais tout ça est atténué par ce qui s'est passé, ce dont je suis très malheureux. Il n'y a jamais rien de définitif en politique, ça peut aller très rapidement pour le meilleur et pour le pire. Là, on est dans le pire.
Q: Parlons des valeurs de l'ADQ. Elles ont de toute évidence beaucoup évolué depuis la réclamation des 22 compétences exclusives de votre premier rapport, en 1991. Beaucoup d'autres choses se sont ajoutées, on a flirté avec une certaine droite, parfois même avec une certaine xénophobie. Reconnaissez-vous le parti tel qu'il est devenu aujourd'hui, en 2009?
R: Le parti n'a jamais été xénophobe.
Q: L'épisode de la campagne de 2008, avec des affiches demandant une baisse des quotas d'immigration, ressemblait à de la xénophobie...
R: C'est quelque chose de très pratique, ça. Ce parti n'a jamais été xénophobe, au contraire, on a toujours dit qu'on voulait intéresser les allophones à la vie politique québécoise. On n'a pas le droit, à mon avis, d'augmenter le quota d'immigration si on n'est pas sûrs de donner du travail aux immigrants. C'est un non-sens et une injustice envers ceux qui immigrent ici.
Q: L'étiquette de droite est assassine, au Québec du moins, vous le savez. Mais l'ADQ est clairement un pôle d'attraction de différents éléments de droite au Québec, certains modérés, d'autres plus radicaux.
R: On est prisonniers d'une étiquette de quatre pouces sur deux pouces qu'on nous colle dans le front. François Mitterrand était un homme de gauche, comment a-t-il gouverné? Il a commencé par la gauche, mais après, il a gouverné à droite, au centre. Tout le monde va faire ça, surtout pour une démocratie ici, en Amérique. On recherche malheureusement la facilité dans l'analyse politique. Moi, j'ai des préoccupations sociales, je viens d'un milieu très, très modeste, j'ai été aidé pour faire mes études, je n'ai pas oublié.
Q: Vous êtes intervenu récemment pour appuyer le couronnement de Gérard Deltell. Mais un couronnement, ça demande une certaine unanimité, donc une discipline de parti. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les adéquistes ne semblent pas très doués à ce jeu... Est-ce réaliste d'envisager un couronnement?
R: Peut-être. C'est le comité exécutif qui va décider, on a des règles. C'est peut-être la meilleure solution, ça coûte cher, une course, et l'ADQ n'a pas beaucoup de fonds. On est en pleine reconstruction, Gérard Deltell a l'air de faire la paix entre les quatre députés...
Q: Mais Gilles Taillon l'a accusé d'être au coeur du «complot» qui l'a évincé...
R: Il n'y a pas eu de complot, ce n'est pas vrai, il prend ça où, je ne le sais pas. C'est du masochisme politique.
Q: Croyez-vous que sa maladie ait quelque chose à voir avec cette sortie ahurissante?
R: Je préfère penser que ç'a eu une influence. Sinon, c'est de la folie pure. Je n'ai jamais vu ça. Je ne peux pas l'expliquer.
Q: Il s'est dit et écrit beaucoup de choses sur l'ADQ, son programme, ses valeurs. Pour vous, comment peut-on les résumer?
R: L'ADQ, c'est un parti d'idées complètement à part des autres. C'est un parti qui n'a pas peur de s'attaquer à des vaches sacrées, à des idées toutes faites, à ce qu'on tient pour acquis, qui s'attaque à ceux qui ont la possession tranquille de la vérité. On a contesté un tas de choses et grâce à nous, les gens ont pensé, discuté.
Q: Y a-t-il une ligne directrice à tout cela? À s'attaquer à des vaches sacrées, on peut tirer dans toutes les directions, critiquer à la pièce, un reproche parfois adressé à Mario Dumont...
R: Pourquoi y aurait-il une ligne directrice? Faut-il une ligne directrice pour dire que le système de santé au Québec, c'est tout croche, c'est une structure d'une complexité inouïe? La ligne directrice, c'est l'intérêt du Québec, point. Pour moi, ç'a toujours été ça.
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