Le Moyen-Orient au seuil d'une nouvelle guerre

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Qui a intérêt à cette guerre ? Poser la question, c'est y répondre

Les Kurdes irakiens qui viennent de voter pour leur indépendance devront manifestement défendre par la force les résultats de leur référendum. Une nouvelle guerre menace donc d'éclater au Moyen-Orient directement à la frontière avec la Syrie.



Bagdad mettra-t-il en application sa menace d'envoyer les troupes gouvernementales dans les provinces peuplées par les Kurdes? Si oui, ces derniers pourraient-ils y résister? Selon le quotidien Vzgliad.


Le parlement irakien a autorisé mercredi le chef du gouvernement Haïder al-Abadi à envoyer l'armée dans le nord de la province de Kirkouk. Aucune autorisation spéciale n'était nécessaire étant donné que formellement, Kirkouk fait partie de l'Irak. Mais de facto, comme cette démarche pourrait faire l'effet d'une déclaration de guerre contre les Kurdes qui viennent d'aider Bagdad à défaire le groupe terroriste Daech, al-Abadi a décidé de protéger ses arrières et de s'assurer le soutien des députés.



«Le chef des armées s'engage à prendre toutes les mesures constitutionnelles et légales pour défendre l'unité de l'Irak et protéger ses citoyens, à donner l'ordre aux structures de force de revenir et de se déployer dans toutes les régions litigieuses, y compris Kirkouk», stipule le document.


La chaîne Kurdistan-24 a rapporté que le premier ministre al-Abadi avait déjà exhorté les rebelles kurdes à quitter Kirkouk.


«L'arrivée de l'armée n'est pas nécessaire, nous n'admettrons pas qu'elle entre sur notre territoire, a rétorqué au premier ministre le gouverneur de Kirkouk Najmaldin Karim. Nous connaissons la position de l'armée quand elle était dans des régions comme Mossoul, Hawija, Ramadi, comment les militaires ont disparu avec l'apparition des troupes de Daech.» Et d'ajouter que la région «compte sur ses propres forces de sécurité».


Les Peshmergas (rebelles kurdes) ont occupé Kirkouk en juin 2014 quand la région a été abandonnée par les forces gouvernementales sous la pression des troupes du «califat». L'agence de presse Interfax rappelle que la province ne fait pas partie du Kurdistan mais que de nombreux Kurdes y vivent, c'est pourquoi le récent référendum sur l'indépendance du Kurdistan s'y est tenu également.


Le parlement irakien a également salué la décision du Conseil de sécurité du pays d'arrêter les organisateurs du référendum sur l'indépendance, dont le chef de l'autonomie Massoud Barzani.


Erbil vs Bagdad — des forces approximativement égales


Quelles sont les chances des rebelles kurdes contre les forces gouvernementales irakiennes?


Le neveu du chef de la région, le général Sirwan Barzani, commandant le plus influent des Peshmergas, a récemment déclaré que près de 150.000 soldats servaient chez les Peshmergas. Quant aux armements, selon lui, les rebelles ont réussi à s'emparer d'une partie du matériel de Daech, dont 12 tout-terrains américains Humvee. «Nous avons des véhicules de combat d'infanterie et un certain nombre d'anciens chars T-62 et T-55. Il y a également des armements lourds, mais ils sont complètement obsolètes», a-t-il reconnu.



Les analystes indépendants évaluent les troupes rebelles à 100.000 hommes. Selon des informations officieuses, les Peshmergas reçoivent également de nouvelles armes russes, américaines et allemandes. Par exemple, les Kurdes ont acheté plusieurs milliers de fusils d'assaut G36 en Allemagne.


Quoi qu'il en soit, les Kurdes disposent de forces équivalentes, voire supérieures à l'armée gouvernementale irakienne. On estime que pour l'assaut de Mossoul, le premier ministre irakien a réussi à réunir 85.000 hommes — rebelles chiites et volontaires iraniens inclus.


L'entrée de l'armée irakienne au Kurdistan n'est pas exclue


L'expert militaire Viktor Mourakhovski n'écarte pas l'éventualité d'un envoi de l'armée sur les territoires kurdes, même s'il estime qu'elle est «peu plausible».


«Si les forces étaient envoyées, elles essaieraient dans un premier temps d'instaurer un contrôle sur les principaux sites, notamment les ressources pétrolières et gazières, ainsi que sur les communications — les aéroports, les nœuds routiers et autres», suppose Viktor Mourakhovski.


«Mais je ne pense pas que le Kurdistan regardera tranquillement l'entrée des troupes irakiennes, souligne l'expert. Il faut savoir qu'il dispose déjà de facto de ses propres forces armées. Une structure militaire sérieuse a été établie, avec principalement des armements fournis par les pays occidentaux. En matière d'armement, les groupes terrestres kurdes n'ont certainement rien à envier aux forces gouvernementales. La seule chose dont ils ne disposent pas est d'une aviation et de moyens de défense antiaérienne», précise-t-il. Et d'ajouter: «Les unités irakiennes sont très différentes de par leurs capacités opérationnelles. Il existe des unités de choc comme celles qui ont pris Mossoul. Mais elles ont subi d'importantes pertes. Alors que la masse principale de l'armée de terre irakienne n'est pas très opérationnelle.»


Sachant que l'une des principales questions concerne la motivation. «Les unités spéciales et les divisions d'élite pourraient peut-être remplir l'ordre. Mais la majeure partie de l'armée se rapporte aux troupes territoriales qui ne brûlent pas d'envie d'aller se faire tuer quelque part au nord, au Kurdistan. D'un point de vue purement militaire je ne vois pas avec quelles forces l'Irak pourrait établir un contrôle total sur le Kurdistan», analyse Viktor Mourakhovski.



Le premier ministre al-Abadi dans une position précaire


«Le gouvernement de Bagdad n'est certainement pas soutenu par la majorité de la population», ajoute Viktor Mourakhovski concernant l'aspect politique de la question.


«De nombreux Irakiens ne sont pas disposés à une guerre contre les Kurdes. Il a été prouvé plusieurs fois que le peuple kurde savait se défendre», a déclaré Hoshawi Babakr, représentant à la CEI du Parti démocratique du Kurdistan au pouvoir dans l'autonomie irakienne (Barzani appartient également à ce parti).


«De plus, tous les habitants du Kurdistan sont armés. Les Kurdes ont un grand esprit combatif, alors que la force morale de l'armée irakienne est très faible — elle est constituée de mercenaires qui combattent pour l'argent», a déclaré l'émissaire kurde. Et de poursuivre: «Selon la Constitution, les Peshmergas font partie de l'armée de l'Irak, alors que les forces irakiennes n'ont le droit d'entrer au Kurdistan sans notre autorisation.»


Trois jours pour réfléchir


Bagdad a fixé hier au gouvernement kurde un ultimatum: d'ici 72 heures, ce dernier doit lui transférer le contrôle des deux aéroports locaux — Erbil et Souleimaniye — qui se trouvent au Kurdistan, ainsi que des postes de sécurité aux frontières de l'autonomie avec l'Iran et la Turquie. Dans le même temps, à partir de vendredi seront interdits tous les vols internationaux à partir de ces aéroports.


De son côté, Ankara a annoncé des manœuvres à la frontière, auxquelles sont venues participer des unités irakiennes. Théoriquement, les militaires irakiens pourraient entrer sur le territoire de leur pays depuis la Turquie pour occuper les postes de contrôle frontaliers.


Mais, visiblement conscient du fait que les menaces n'ont pas d'effet sur Erbil, le ton de Bagdad s'est assoupli. Mercredi soir, Haïder al-Abadi a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de régler les différends par la force. Mais rien ne prouve que cette déclaration n'est pas un écran de fumée avant une opération spéciale.


Pendant ce temps, les Kurdes sont prêts à marchander: par exemple, le sort de la région pétrolifère de Kirkouk pourrait devenir une monnaie d'échange dans le litige sur l'indépendance. «Le référendum s'est également déroulé sur ces territoires contestés. Et même ces territoires contestés se sont prononcés pour adhérer au Kurdistan et non à l'Irak, a déclaré Hoshawi Babakr. Mais nous pourrons évoquer cette question pendant le dialogue. Nous y sommes prêts, si l'Irak l'acceptait.»