Plusieurs organismes, entreprises et politiciens ont réagi, mardi soir, à l’imposition de droits compensatoires de près de 220 % à Bombardier par le département du Commerce américain.
Du côté du gouvernement fédéral, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a dénoncé la décision rendue en fin de journée. «Les décisions préliminaires du département du Commerce américain favorisent presque toujours le plaignant américain», a-t-elle réagi.
«Le Canada est fortement en désaccord avec les enquêtes en matière de droits antidumping et de droits compensateurs liées aux importations d’avions civils gros porteurs en provenance du Canada. Il est évident que la décision vise à éliminer les aéronefs de la série C de Bombardier du marché américain», a poursuivi la ministre Freeland, qui a rappelé que la C Series représente des milliers d’emplois aux États-Unis.
Lors d’un point de presse en soirée, Mme Freeland a réitéré qu’en raison de cette décision défavorable, il n’est plus question, pour le moment, d’acheter les 18 chasseurs Super Hornet qu’Ottawa voulait se procurer auprès de Boeing.
Pour sa part, le député bloquiste responsable du Commerce international, Gabriel Ste-Marie, a dénoncé «une tentative d’assassinat commercial contre un fleuron de l’économie québécoise».
Une décision «abusive et insensée», dit Québec
La réaction a été similaire du côté de Québec. «Nous considérons que la plainte de Boeing est sans fondement et la décision d'aujourd'hui est abusive et insensée. C'est dans cet esprit que nous ne ménagerons aucun effort pour défendre les intérêts de travailleurs de l'industrie aérospatiale québécoise, en collaboration avec le gouvernement fédéral», a déclaré la ministre de l’Économie, des Sciences et de l’Innovation, Dominique Anglade.
Mme Anglade a assuré que la participation du gouvernement du Québec dans le projet de la C Series s’est faite dans «le respect des règles internationales du commerce». Le ministre croit que la plainte de Boeing avait pour seul but de «bloquer la concurrence sur le marché américain, ce qui risquerait de causer à terme un préjudice sérieux à notre industrie aérospatiale».
Pour sa part, le premier ministre Philippe Couillard a qualifié la décision d’«injustifiée» sur son compte Twitter. «Soutenons nos travailleurs aéronautiques», a-t-il ajouté.
«La décision américaine est à 220 % absurde. Le PQ défendra Bombardier et ses travailleurs contre l'intimidation de Boeing», a ajouté le chef de l’opposition, Jean-François Lisée, sur Twitter.
Le patronat «indigné»
Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) a déploré que le département du Commerce ait tranché en faveur de Boeing. «Il s’agit d’une manœuvre pernicieuse du transporteur américain qui n’a d’autre objectif que d’affaiblir un plus petit concurrent», a soutenu le président-directeur général du CPQ, Yves-Thomas Dorval.
En raison de cette décision, le CPQ a invité le gouvernement «à reconsidérer sa commande d’avions Boeing et à faire valoir l’importance de prémunir les économies des deux côtés de la frontière face à ce type de recours judiciaire frivole dans l’avenir, notamment dans le contexte de la renégociation de l’ALÉNA».
Rappelons que le gouvernement Trudeau s’était engagé à acheter 18 avions de chasse Super Hornet à Boeing en début d’année. Ottawa avait depuis menacé de ne plus se porter acquéreur des appareils de combat.
Une décision «politique» et «cynique» pour les syndicats
Le Syndicat des machinistes, qui représente notamment les travailleurs de l’industrie aérospatiale, n’a pas hésité à qualifier de «folie» les droits compensatoires de 220 %. «Aujourd’hui, nous avons eu droit à une décision plus politique que juridique. En agissant de la sorte, le département du Commerce américain envoie le message qu’il n’a aucune considération pour les 7000 travailleurs et travailleuses de Bombardier», a dénoncé le coordonnateur québécois de l’AIMTA, David Chartrand.
«Les représentants de Boeing agissent comme des fiers-à-bras en manipulant les lois américaines et en profitant du penchant pour le protectionnisme de Washington pour fermer le marché des États-Unis à la Série C», a ajouté M. Chartrand, qui croit que «les dés étaient pipés d’avance».
De son côté, le syndicat Unifor a dénoncé le fait que Boeing reçoive elle aussi des subventions. «Le gouvernement américain investit 50 milliards de dollars par année dans l'industrie de l'aérospatiale, et Boeing récolte une grande partie de ce montant», a assuré le président national d’Unifor, Jerry Dias, en qualifiant la plainte de l’avionneur «d’action cynique et dépourvue de vision».
«Nous encourageons le gouvernement fédéral à s'opposer aux droits compensatoires et à défendre son droit d'investir dans les industries de pointe qui offrent des débouchés intéressants aux générations futures», a ajouté M. Dias.
Une décision qui crée de l’incertitude, estime Aéro Montréal
Aéro Montréal, un forum stratégique qui réunit les dirigeants du secteur aéronautique québécois, a jugé que les droits compensatoires créent de l’incertitude dans l’industrie. L’organisme a appelé les différentes parties à s’entendre rapidement entre elles.
«Nous considérons que les investissements du Canada et du Québec en aérospatiale sont conformes aux règles du commerce international, et que c’est dans l’intérêt de toutes les entreprises que les marchés restent ouverts et que la concurrence soit saine», a ajouté la présidente-directrice générale d’Aéro Montréal, Suzanne M. Benoît.
La direction de Delastek dénonce vivement la taxe punitive américaine
Le sous-traitant aéronautique Delastek de Shawinigan, en Mauricie, dénonce vigoureusement l'imposition à son client Bombardier d'une lourde taxe punitive par les Américains.
«Quand on regarde ça, les gouvernements du Québec et du Canada n'ont rien fait de dommageable ou d'illégal. Si on regarde les Américains, le Brésil et la France, c'est souvent les gouvernements qui sont en arrière aussi», a pesté Claude Lessard, président de Delastek.
Selon lui, le gouvernement américain soutient déjà de façon importante l'industrie aéronautique civile en lui transférant des technologies mises au point par son industrie militaire.
Delastek conçoit et fabrique les consoles qui équipent la cabine de pilotage des appareils de la C Series.
Au lendemain de l'annonce de la mesure américaine, la production s'y poursuivait normalement. Il faut dire que Delastek est actuellement touché par une grève de ses employés syndiqués.
C'est le personnel de direction qui maintient les opérations. D'ailleurs, pour la première fois peut-être depuis le déclenchement du conflit il y a plus de deux ans, le patron et les grévistes s'entendent sur une chose: dénoncer le geste américain.
«On est solidaires avec les membres de chez Bombardier et les compagnies de Montréal qui font des pièces pour la C Series», a indiqué le président du syndicat Unifor de Delastek, Alexandre Maranger.
«On a une pensée pour eux aujourd'hui et on espère qu'il n'y aura pas une trop grande répercussion sur leur travail», a-t-il poursuivi.