(Photo Archives La Presse)
Alors que l'on s'apprête à fêter en grande pompe, en France, les 40 ans de Mai 68, il n'en faudrait pas oublier les nombreux sit-in et grèves étudiantes qui perturbèrent, au même moment, la vie dans divers établissements scolaires américains et canadiens.
La Sorbonne ou Berkeley?
La révolte étudiante québécoise n'a pas été influencée seulement par les troubles parisiens. Loin de là.
En fait, dès février 1968, une vague d'insatisfaction avait secoué la faculté des sciences sociales de l'Université de Montréal et avait donné lieu à la publication d'un manifeste explosif, «Université ou fabrique de ronds de cuir». Entre autres auteurs, Louise Harel et Roméo Bouchard dénonçaient dans ce document la «détention universitaire», «l'enseignement imbécile par des imbéciles» et l'université comme une «usine où les notables se reproduisent en série». L'idéal contestataire de ces jeunes polémistes n'était pas la Sorbonne, mais Berkeley. Ils s'inspiraient davantage de la Students for a Democratic Society (SDS) et du Free Speech Movement, alors très populaires aux États-Unis, que des groupuscules parisiens.
D'ailleurs, les militants étudiants de l'Université de Montréal n'avaient pas besoin de regarder de l'autre côté de l'Atlantique pour trouver des modèles. Ils n'avaient qu'à tourner les yeux de l'autre côté de la montagne, vers l'Université McGill. Stanley Gray, un chargé de cours de 24 ans, y menait depuis quelque temps une charge contre des universités canadiennes à ses yeux trop conservatrices. Les éditeurs du journal étudiant, The McGill Daily, publiaient des articles incendiaires contre l'ordre établi, prenant fait et cause, entre autres, pour l'indépendance du Québec. Ces révolutionnaires en herbe avaient même fondé en 1967 une sorte de branche canadienne de la SDS, la Students for a Democratic University (SDU).
Les thèmes américains coloraient fortement la révolte étudiante au Québec. Le combat contre l'impérialisme américain au Vietnam, contre le racisme envers les «Noirs» et contre le paternalisme académique était traduit, ici, dans les termes d'un combat pour la décolonisation de la province, pour le relèvement des «Nègres blancs d'Amérique» et pour l'autogestion dans les établissements scolaires. C'est donc dire que les racines anglaises de la révolte étudiante furent, au Québec francophone, au moins aussi importantes que les racines françaises.
Un Mai 68 québécois?
Bien entendu, à la rentrée de septembre 1968, des leaders étudiants québécois vont tenter de se servir du Mai 68 français comme inspiration pour pousser plus loin une lutte qui n'avait réussi, en Amérique du Nord, qu'à perturber quelques campus. Ils s'offusquaient de la lenteur de la création d'une deuxième université de langue française à Montréal et réclamaient la bonification du programme de prêts et bourses. «Il faut que ça change ou ça va péter à l'automne», prédisaient-ils.
Le 8 octobre, le cégep Lionel-Groulx votait la grève générale. Une semaine plus tard, près des deux tiers des cégeps de la métropole emboîtaient le pas et des occupations étaient votées un peu partout ailleurs dans la province. La visée de cette révolte spontanée demeurait, néanmoins, beaucoup plus réformiste qu'en France. Les changements exigés se situaient dans le sillage des réformes de la Révolution tranquille. Il n'était pas question, pour la vaste majorité des étudiants, d'exiger, comme en France, «l'impossible». Le sens pratique des Américains n'avait pas quitté les jeunes contestataires québécois.
C'est ainsi que, contrairement à la France, où l'héritage de Mai 68 paraît plutôt maigre, la révolte québécoise a eu des résultats concrets. On peut mettre à son actif l'accélération du processus de création de l'UQAM (qui ouvrira ses portes un an plus tard), la mise en place de services d'animation sociale dans les cégeps ou l'acceptation plus grande des valeurs associées à la contre-culture.
Il ne faudrait pas, par conséquent, que les célébrations autour de Mai 68 fassent oublier la profonde nord-américanité de l'histoire du mouvement étudiant québécois.
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Jean-Philippe Warren
L'auteur est titulaire de la chaire Concordia d'études sur le Québec.
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