L’invasion insurrectionnelle du Congrès américain à Washington est l’occasion de rappeler les tragiques événements de la soirée du 25 avril 1849, quand les Anglos, à l’exhortation du quotidien The Gazette, ont mis le feu au parlement du Canada, qui était alors à Montréal.
L’Union du Haut-Canada et du Bas-Canada avait été réalisée pour assimiler la majorité francophone, selon les recommandations du rapport Durham.
L’objectif de l’Union était de mettre en minorité les francophones encore majoritaires dans un parlement dominé par les Anglo-saxons, qui y étaient surreprésentés par une carte électorale inique.
La première loi votée par le nouveau gouvernement Lafontaine-Baldwin vise à dédommager les francophones victimes des représailles brutales de la soldatesque britannique assistée par les milices racistes anglo-montréalaises lors de la rébellion de 1837-1838. Une loi semblable venait d’être adoptée pour indemniser les victimes de saccages au Haut-Canada sans que cela provoque la moindre controverse.
La loi est avalisée par le gouverneur Lord Elgin, qui a en plus indisposé les Anglos en rétablissant l’usage du français au parlement. Son geste courageux va mettre le feu aux poudres. C’est le cas de le dire.
Le Montreal Gazette lance un appel au «soulèvement racial», pour reprendre l’expression de l’historien américain Mason Wade. Je cite l’appel aux armes du journal: «Anglo-saxons, vous devez vivre pour l’avenir; votre sang et votre race seront désormais votre loi suprême si vous êtes vrais à vous-mêmes! [...] La foule doit s’assembler sur la Place d’Armes, ce soir à huit heures. Au combat, c’est le moment!»
Les vociférations bellicistes du journal amènent entre 1200 et 5000 Anglos, dépendant des comptes-rendus à la place d’Armes. La foule d’anglophones en colère s’enivre en écoutant des orateurs odieux qui crachent des injures contre les Canadiens français. Soudain, un pompier anglo du nom d’Alfred Perry proclame que le temps du verbiage est terminé et entraîne la meute de soudards anglais vers le parlement, qui est en pleine session!
La canaille rugissante, avec à sa tête le pompier pyromane, arrive rapidement devant le parlement, situé où se trouve maintenant la place d’Youville. Perry pénètre dans l’enceinte et allume l’incendie. Il connaît son affaire! Le feu se répand rapidement (l’éclairage est au gaz) et le gigantesque brasier illumine la nuit montréalaise. Aux acclamations d’anglophones saouls d’alcool et d’autosatisfaction, le parlement et sa précieuse bibliothèque brûlent. Avec 25 000 volumes, elle constituait alors la plus riche collection de livres du Canada. Bravo, The Gazette!
Dès le lendemain, 26 avril, on tente de tuer le premier ministre Louis-Hyppolite Lafontaine, alors sous la protection de l’armée. Les Anglos enragés se dirigent alors vers sa résidence et la saccagent, s’acharnant en particulier contre sa bibliothèque.
Le parlement détruit, les élus siègent au marché Bonsecours sous protection militaire. Trois jours après l’incendie, l’Assemblée adopte une résolution exprimant au gouverneur Elgin son indignation devant ces excès. L’historien Mason Wade écrit: «Quand les représentants de l’Assemblée se rendirent au Château de Ramezay, qui servait de Maison du Gouvernement, pour présenter cette résolution, il fut nécessaire de lire l’Acte d’émeute et de dégager les rues à la baïonnette. Elgin fut lapidé quand il sortit pour retourner à sa résidence de Monkland l’actuelle école Villa-Maria sur Décarie)».
Les Anglos déchaînés, maîtres de Montréal, vont y imposer un régime de terreur pendant des semaines. Malheur aux Canadiens français qui s’aventurent dans l’Ouest de la ville: ils sont sauvagement battus. Ces crimes restent impunis, l’armée et la police, dominées par des orangistes, sympathisent ouvertement avec les factieux.
Le gouvernement a tellement perdu le contrôle de la situation qu’il ne peut assurer la protection du gouverneur Elgin, qui envisage de se réfugier au fort de l’île Sainte-Hélène. Il n’ose plus se rendre au Château de Ramezay, le siège du gouvernement. Des hommes proches du premier ministre Lafontaine décident de former une milice. On arme de pistolets et de coutelas des Canadiens français et des Irlandais catholiques.
La colère des Anglo-Montréalais ne s’apaise pas. Quatre mois plus tard, un groupe armé de 200 Anglos tente d’envahir la nouvelle résidence de Lafontaine, alors isolée dans un verger (elle vient d’être restaurée au coin d’Overdale et de Lucien-L’Allier). Ils apportent une corde pour le pendre. Lafontaine n’est pas chez lui. Sa maison est sous la garde d’amis armés. Des coups de feu accueillent les assaillants, qui battent en retraite. Sept sont blessés, dont un très grièvement. Il mourra le lendemain matin après avoir admis que l’intention du gang d’Anglos était de mettre le feu à la maison et de s’emparer de Lafontaine pour le pendre à un arbre de son verger, et ensuite traîner son cadavre dans les rues.
Les incendiaires du parlement, les auteurs de l’incitation à l’émeute de la Montreal Gazette, de même que ceux qui participèrent aux ratonnades contre les Canadiens français qui suivirent ne furent jamais punis. Ils avaient l’appui presque unanime des Anglo-Montréalais. Trente-huit ans après les faits, Alfred Perry, le pompier pyromane, se vantera de son forfait. La communauté anglophone de Montréal est tellement fière du rôle joué par Perry dans la destruction du parlement du Canada qu’un pavillon de l’hôpital Douglas, de Verdun, commémore encore aujourd’hui la mémoire de ce vaillant défenseur du «sang et de la race anglo-saxonne» contre la «French domination». Moi, il me semble qu’un changement de nom s’impose ici. Il est encore plus mérité que la chasse iconoclaste qu’on mène actuellement à l’instigation des étudiants de McGill et de Concordia, et des autochtones contre tout ce qui rappelle John A. McDonald.
La journée du 25 avril 1849 est la plus noire de l’histoire démocratique du Québec et du Canada. Dans les médias du Canada anglais, on occulte ce soulèvement raciste, trop occupé qu’on est à recenser et à dénoncer l’intolérance et la xénophobie des Québécois. Imaginez comment l’événement serait médiatisé et commémoré s’il avait été le fait de Canadiens français. Et, chaque année, la page éditoriale de la Gazette prendrait un malin plaisir à tourner le fer dans la plaie.
♦ Pour ce texte, Normand Lester s’est inspiré de sa trilogie Le Livre noir du Canada anglais.