L’élection, la CAQ et les Anglos

Le dilemme politique d’une communauté minoritaire

Élection Québec 2012


Avant même que l’appel aux urnes ne soit lancé, les électeurs québécois savent que la corruption, l’économie et la souveraineté seront au premier plan de la campagne. Il est toutefois des problèmes peu spectaculaires, mais non moins importants, qui seront négligés, bien qu’ils soient au coeur du mal qui sévit : l’inégalité entre citoyens et l’absence d’une juste représentation. Mais la classe politique qui profite de ce déficit ne va pas renoncer à ce système. Pourrait-on y faire échec ?
Le fossé entre le pouvoir et la population est plus large qu’il n’y paraît. La volonté des citoyens, en effet, a été supplantée par la marchandisation des affaires publiques. Sondages, marketing et publicité tiennent désormais lieu de débat démocratique. Les milieux et les régions qui ne font plus le poids voient leurs intérêts passés sous silence. De plus en plus, les chefs, non les militants, désignent les candidats. Bref, comme les « vendeurs de chars », les partis visent les marchés rentables.
Les circonscriptions et, donc, les électeurs sont, à peu d’exceptions près, divisés en trois territoires : les acquis, les « ennemis », les prenables. Les acquis libéraux comme le West Island sont des « ennemis » pour le Parti québécois. Le Royaume du Saguenay, terre souverainiste, n’est pas trop convoité par le Parti libéral. Entre ces territoires, il y a les circonscriptions qui « changent de bord ». Leurs électeurs sont convoités, cajolés, voire achetés à coups de promesses ou de « jobs ».
Rare le balayage qui traversera ces frontières, comme au récent scrutin fédéral, où le Québec est passé du Bloc québécois au Nouveau Parti démocratique. Et surtout, le PQ n’est pas le Bloc et le PLQ n’est pas encore le Parti libéral du Canada. En outre, des tiers partis comme Québec solidaire ou le Parti vert ne semblent pas à la veille de sortir de leurs enclaves. Reste la Coalition avenir Québec. D’anciens sondages portaient la CAQ au pouvoir, mais sa faveur a depuis fondu. Une surprise est-elle possible ?
Des forteresses peuvent tomber. Le chef de la CAQ, François Legault, un ex-résidant de l’ouest de Montréal, vient de tendre la main à l’électorat anglophone. Sortez du monopole que vous donnez au PLQ, a-t-il récemment lancé, via The Gazette, à cette communauté. Quand les libéraux sont au pouvoir, cette communauté y est aussi. Mais quand le PQ forme le gouvernement, non seulement elle est dans l’opposition, mais elle se sent menacée dans sa langue, ses institutions et son pays.
Par deux fois, cet électorat a rompu son allégeance au PLQ. En 1976, dans Pointe-Claire, William Shaw gagne sous la bannière de… l’Union nationale ! En 1989, le Parti Égalité /Equality Party fait élire quatre députés à l’Assemblée nationale. La première dissidence n’expliquait pas la défaite du PLQ. En 1989, elle n’avait pas ébranlé le pouvoir libéral. Mais en 2012, le vote anglophone pourrait-il maintenir le PLQ en place ou lui faire perdre sa majorité ?
Dilemme. Même mécontente des libéraux, cette communauté ne pouvait guère voter pour le PQ. Avec la CAQ, qui écarte tout référendum pour dix ans, elle n’est plus prisonnière du PLQ. Toutefois, le parti de Legault ne peut guère répondre à ses griefs linguistiques sans risquer de perdre des appuis chez les « nationalistes modérés ». Pire, la CAQ veut abolir les commissions scolaires, alors qu’elles sont le dernier pouvoir démocratique que cette communauté puisse contrôler. Que faire ?
La CAQ y présente des candidats. Des voix se font cependant entendre qui favorisent plutôt l’élection de représentants d’abord et avant tout dévoués aux intérêts de cette communauté. Voter pour la CAQ ? Cela ne va pas nécessairement supplanter les libéraux ; mais ce parti pourrait détenir, en cas de gouvernement minoritaire, la balance du pouvoir. Ou rester fidèle au Parti libéral et demeurer avec lui au pouvoir ? Bien malin qui devinera le sort des urnes !
Mais un autre dilemme, moral celui-là, se présente à la communauté anglophone. On comprenait qu’elle ne vote pas pour le PQ et son projet de souveraineté, encore que certains faisaient d’elle une minorité quasi étrangère responsable de l’échec du « pays » dont ils rêvent. « L’argent et des votes ethniques. » Mais voter pour un gouvernement discrédité et le maintenir au pouvoir contre le voeu de la majorité ? Voilà qui n’est jamais un choix d’avenir pour quelque minorité que ce soit.
Certes, si les libéraux restent en place, ce sera avec l’appui de nombreux autres Québécois. Mais il s’en trouvera pour clamer qu’une minorité, en leur donnant assez de sièges pour s’accrocher au pouvoir, aura maintenu à Québec « un parti pourri dont les Québécois voulaient se débarrasser ». Déjà aux prises avec maints problèmes réels, que le commissaire Graham Fraser évoquait récemment dans Le Devoir, les Anglo-Québécois n’ont pas besoin d’une telle stigmatisation.
Le problème des minorités, souvent enfermées dans leur situation particulière, c’est qu’elles en viennent à ne plus se préoccuper également du bien commun. Au Québec comme ailleurs au pays, où l’on ne manque pas de minorités, cette ghettoïsation empêche la formation de coalitions propices à de plus justes politiques. D’où l’importance de régimes électoraux assurant aux communautés et aux régions minoritaires une participation équitable aux affaires communes.
La communauté anglophone du Québec n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut voici quelques décennies. Pourtant, elle détient encore une place stratégique en Amérique du Nord. Encore faut-il qu’un leadership éclairé sache en traduire l’expérience et en faire valoir l’importance. Souvent, en effet, le progrès vient d’une minorité.


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