Le PQ et les journalistes

Où est le problème d’éthique à Radio-Canada ?

Actualité indépendantiste



Collusion et corruption seront au menu de la prochaine campagne électorale. Or voilà que l’éthique journalistique s’y invite aussi, avant même que le peuple soit convoqué aux urnes. Certes, dans l’histoire du Québec, journalisme et politique ont longtemps fait bon ménage. À l’ère moderne, toutefois, des règles interdisent aux médias, sinon aux partis, les conflits d’intérêts. À moins d’oeuvrer pour un bulletin partisan, un journaliste ne peut prétendre servir à la fois le public et un groupe politique.
Les candidatures au Parti québécois de Pierre Duchesne et de Jean-François Lisée donnent l’occasion de réfléchir à la question. Mais attention. Si les règles d’éthique se sont multipliées un peu partout ces dernières années, dans plus d’un milieu, elles servent davantage de paravent publicitaire que de guide de conduite des individus et des organisations.
Les partis rêvent de décrocher des noms de prestige, notamment parmi les vedettes du petit écran. Mais la substance vient-elle toujours avec l’image ? Des journalistes convertis à la politique, tous n’auront pas la stature de René Lévesque ou de Claude Ryan. Ainsi, Gérard Deltell, passé de TVA à l’ADQ, n’a pas ressuscité le parti de Mario Dumont. Et Christine St-Pierre, ex-reporter à Radio-Canada, n’aura guère enrichi la pensée du PLQ sur le « droit du public à l’information ».
Radio-Canada est une bonne école de journalisme. Toutefois, on n’y pratique pas l’information « engagée », encore moins la presse de combat. Bien que la SRC tienne à une pratique professionnelle, le journalisme d’opinion y est interdit, en vertu de son code d’éthique et de la loi du Parlement qui lui vaut son financement. Reporters et animateurs ont le droit, comme citoyens, d’avoir leurs croyances et préférences, mais pas celui de les exprimer dans leur travail ou même à l’extérieur.
L’ombudsman de Radio-Canada va examiner suivant ces règles les circonstances du recrutement de Duchesne par le PQ. En attendant, à la SRC, d’autres questions se posent. Cet ex-correspondant à Québec, employé depuis 25 ans à Radio-Canada, n’est pas le premier ni le seul journaliste de la maison à plonger en politique au profit du Parti québécois. Depuis René Lévesque, Lise Payette et d’autres, quelle « culture radio-canadienne » a bien pu pousser autant de ses artisans à tourner le dos au Canada ?
Ce choix politique est légitime, même si la présence de « séparatistes » à Radio-Canada nous a valu autrefois un mot célèbre de Pierre Elliott Trudeau. Mieux valait, dit-il, avoir des « vases chinois » à l’écran. Cet apport était plus à même, faut-il croire, d’enrichir la culture du pays ! Les temps ont bien changé. Le pays compte une nombreuse population d’origine chinoise. Et le grand Parti libéral de P. E. Trudeau est en lambeaux.
Malgré tout, le malaise québécois n’a pas disparu au Canada. Le vieux « séparatisme » qui se cacherait encore à la SRC risque même de raviver chez les électeurs et les députés conservateurs l’idée qu’il faudra bien un jour en finir avec ce « diffuseur national », séparatiste au Québec et gauchiste ailleurs au pays. La liberté des journalistes de Radio-Canada de passer au PQ risque d’ajouter aux difficultés de la SRC de survivre comme centre d’information au Québec.
Par ailleurs, si l’ex-journaliste de Radio-Canada a le droit d’adhérer à l’indépendance du Québec, PQ s’illusionne s’il croit que cette vedette lui vaudra un surcroît d’électeurs. Non seulement lui donne-t-on une circonscription acquise au parti, mais la popularité de Duchesne n’ira guère au-delà de l’auditoire, en baisse, de Radio-Canada. À l’inverse, cet indépendantiste de « coeur » poussera sans doute vers d’autres partis maints électeurs qui ne veulent pas voir cette option-là revenir au pouvoir.
Cruel paradoxe, ce journaliste d’expérience quitte la profession alors même qu’elle est en difficulté, non seulement à Radio-Canada, mais plus généralement dans le secteur privé. Et il le fait pour aller au PQ - un parti qui n’a presque rien apporté au journalisme québécois - au moment même où, selon Alain Saulnier, hier directeur de l’information à Radio Canada et ex-président de la FPJQ, le journalisme d’ici, toujours essentiel en démocratie, est menacé de toutes parts.
Le PQ aura fait un meilleur choix en accueillant Jean-François Lisée, cette éminence grise du parti, vieux militant indépendantiste aux multiples tribunes académiques et médiatiques. Lisée n’apportera pas plus de votes au PQ, surtout pas dans le West Island de Montréal qu’il vient de présenter dans L’actualité comme un bastion anglophone massivement rébarbatif à l’intégration au Québec. Par contre, cet essayiste de talent apportera au PQ une denrée qui y était devenue rare : des idées.
Autant dire que les problèmes du journalisme, tant à Radio-Canada qu’ailleurs au Québec, ne seront pas résolus à l’occasion de « l’affaire » Duchesne. La présence d’un ombudsman n’a jamais pu freiner la commercialisation de la SRC, où le divertissement contamine maintenant jusqu’à l’information et les affaires publiques. Quant au Conseil de presse, créé pour assurer l’« autodiscipline » des médias, il aura tranché bien des cas particuliers, mais sera, lui aussi, resté impuissant devant les reculs du journalisme.
Bref, les pires déviations éthiques du journalisme risquent de ne pas prendre la vedette dans la campagne électorale qui s’en vient. Il faut le regretter, car si les scandales du monde de la construction frappent des firmes de génie, des syndicats et des partis, leur prolifération met aussi en cause le journalisme. Ce « chien de garde » de la société, en effet, n’était-il pas trop souvent perdu dans les faits divers, les drames sportifs et les phobies ethniques ou religieuses ?
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.


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