Dossier de la langue française

Le délitement du bassin linguistique 3

La politique de la fuite qui disloque

Chronique d'Élie Presseault

Dans la suite des idées, le système d’éducation québécois vit actuellement une énième contradiction de sa raison d’être. Nous assumons que cette même raison d’État québécoise commande d’enseigner la matière en langue française de qualité. Mettons cela sur le compte d’une révolution non encore achevée et qui n’a pas donné les pistes de solution nécessaires. Les suites données au rapport Larose sont là pour en témoigner. Nous devons envisager cela comme une traversée de l’identité québécoise et permettre son épanouissement de manière durable.
Nous nous attardons souvent sur la dualité qu’impose la vision étroite de l’esprit du bilinguisme institutionnel québécois-canadien. Bien peu nous chaut actuellement de briser les tabous et les pratiques institutionnelles en cours. Finissons-en avec cette dualité linguistique qui mine le français de l’intérieur. Opposons une fin de non-recevoir à toute mesure d’immersion qui viserait l’intégralité des élèves québécois. De même que nous devons préserver le patrimoine linguistique des différentes langues qui traversent les continents, nous devons en sauvegarder dans une dimension nationale.
Dans le cas qui nous concerne, ici même au Québec, nous devons assumer que le français passe dans une notion redite des priorités de la nation québécoise. Restaurer l’enseignement du français apparaît indispensable. Néanmoins, le socle du bilinguisme tel que nous le connaissons devra se départir de certaines ornières. Nous reviendrons sur certaines conceptions et consensus politiques qui semblent bien ancrés dans l’histoire. Par exemple, nous aurons à contredire un certain premier ministre dans sa caricature de l’anglais immergé dans nos consciences. Pensons tout simplement à René Lévesque et à ce qu’il répondrait à Jean Charest aujourd’hui.
Évoquer une nationalité présuppose que certaines appartenances, réelles ou non, soient en jeu. Dans le cas du Québec, le français constitue le passe-partout de la nation. En ce qui concerne la contrepartie canadienne, l’anglais constitue la ligne de force de l’histoire de l’État. Les anciens loyalistes anglais ont fait une alliance avec l’élément français d’Amérique dans le but de se distinguer des États-Unis comme pays, si ce n’est de cette fidélité à la couronne britannique. Débarrassons-nous de cette illusion bilingue qui maintient les francophones et les anglophones du pays réel sur le respirateur artificiel.
Éventuellement, le Canada devra à tout le moins s’effacer devant les choix que le Québec fera en matière linguistique. Ce n’est pas son terrain ni sa chasse-gardée. Pour sa part, l’élite québécoise devra faire son devoir de conscience : miser sur l’immersion en anglais de façon aussi intensive, c’est pratiquer la fuite en avant à moyen et long terme. Nous pourrions tenter de sauver quelques meubles à court terme de manière tactique, mais nous ne règlerions rien sur le fond du problème tel qu’il s’impose à nous collectivement. Cessons la politique de la fuite qui disloque perpétuellement le destin de notre nation.
Nous pouvons fort bien vivre avec notre langue française ou une Langue des signes québécoise soigneusement maîtrisée. Une deuxième langue maîtrisée de manière satisfaisante est un atout, quoi que l’on dise. Avant tout, nous devons miser sur la langue première de notre collectivité. Le cas de la communauté sourde est là pour nous enseigner que la langue de la majorité ou de la société d’accueil ne passe pas toujours en priorité. Ceci n’exclut nullement le fait que nous avons un devoir national à exercer en faveur du fait français en terre d’Amérique. Le français est une langue seconde, voire même étrangère pour la personne sourde. Tenons en acte dans une compréhension du système d’éducation québécois.
Selon un plan d’ensemble, il nous faut prôner par simplicité et sagesse en n’insistant pas outre mesure sur une seule grille de lecture politique, sur le multilinguisme et à plus forte raison sur la langue seconde. Tout miser sur la langue seconde déréalise le projet collectif du Québec. Contentons-nous d’offrir un programme souple qui aborde d’autres possibilités que celles que nous avons évoquées. L’avenir de la langue française au Québec et de par le monde en dépend, et mérite nettement mieux que le sort que nous lui réservons jusqu’à maintenant.
Soyons authentiques. Accédons à plusieurs manifestations de culture, respectons-nous et apprenons en même temps un sens mesuré de tolérance qui sache dépasser les pièges des tendances globalisantes et hégémoniques d’un appauvrissement culturel à sens unique au seul profit de la langue étrangère de notre contrée. Nous devons enfin nous redire ce pari que nous prenons concrètement au Québec de préserver notre langue collective, qu’il s’agisse du français ou encore de la Langue des signes québécoise. Vivons enfin à la hauteur de nos aspirations collectives.


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