Le compte-rendu d'un comité parlementaire purgé de références au tireur de Christchurch

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Comme en URSS, le Canada efface les discours qui ne lui plaisent pas


En Union soviétique, Staline faisait purger les photos officielles des personnes tombées en disgrâce. À Ottawa, un comité parlementaire fera effacer de son compte-rendu les propos prononcés par un député conservateur parce que jugés choquants. Le comité permanent de la Justice a voté mardi matin à six voix pour la purge et trois abstentions (toutes conservatrices) pour que soient effacées les paroles de Michael Cooper. Le comité a confié l'affaire à la Chambre des communes, qui tiendra un vote pour entériner la décision.


L'affaire remonte au 28 mai dernier, lors d'audiences du comité sur le discours haineux en ligne. Un des témoins, le président de l'Alberta Muslim Public Affairs Council, Faisal Khan Suri, affirme que les propos radicaux tenus par le mouvement alt-right et les conservateurs alimentent les extrémistes. Le député Cooper s'offusque d'être ainsi jugé responsable par association de tueries. « Je prends ombrage de vos commentaires diffamatoires qui tentent d'établir un lien entre le conservatisme et les attaques extrémistes et violentes », déclare M. Cooper.


Il entreprend alors de citer le manifeste du tireur de Christchurch, qui a fait 51 morts, pour prouver que son inspiration ne provenait pas des milieux conservateurs. « Le conservatisme est du corporatisme déguisé et je ne veux rien avoir affaire avec cela, cite-t-il. La nation dont les valeurs politiques et sociales se rapprochent le plus des miennes est la République populaire de Chine. » En Nouvelle-Zélande, ce manifeste a été interdit de diffusion. Le député Cooper finit son argumentaire en affirmant que lui n'établirait jamais de lien entre Bernie Sanders et le tireur qui a ouvert le feu sur des membres républicains du Congrès sur un terrain de baseball en 2017, même si ce tireur disait détester Donald Trump.


Le député libéral Randy Boissonneault, qui siège sur le comité et s'est insurgé des propos de M. Cooper lors de la réunion, juge tout à fait approprié ce caviardage. « On a le droit comme parlementaire d'enlever des choses du compte-rendu qu'on trouve haineuses. » Il s'interroge surtout sur le côté prémédité des paroles de M. Cooper puisque ce manifeste est difficile à trouver en ligne. « Comment ça se fait que M. Cooper était capable d'avoir ce document dans ses mains, imprimé, prêt à être utilisé pour une attaque en comité ? »


La chef du Parti vert, Elizabeth May, reconnaît que c'est une mesure extrême, mais nécessaire. « En solidarité avec le peuple de Nouvelle-Zélande, nous devrions purger le compte-rendu. » Elle rejette l'idée qu'on réécrit ainsi l'Histoire. « Ce n'est pas une nouvelle histoire. On rend cette période de la session du comité de la Justice silencieux. »


Les experts en procédure parlementaire admettent que cette situation est inusitée. Robert Marleau et Camille Montpetit, auteurs de la « bible » de la procédure parlementaire à Ottawa, ont tous deux expliqué au Devoir qu'un cas similaire était survenu en 1993. Une délégation de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, comparaissant pour dénoncer les changements apportés aux règles d'admissibilité à l'assurance-emploi, avait soutenu que les députés conservateurs violaient plus souvent le Code criminel que les chômeurs ne fraudaient. La délégation avait été expulsée et son témoignage, purgé.


« Le président [de la Chambre, John Fraser,] a conclu que la Chambre avait donné le pouvoir aux comités d'imprimer leurs délibérations et qu'ils étaient entièrement libres de choisir de ne pas les imprimer », explique M. Marleau. Ce dernier s'interroge toutefois sur le bien-fondé de la pratique. « C'est inusité. Ce qui est dit est dit. Là, on change l'Histoire », note-t-il. Sans vouloir critiquer la décision du comité parlementaire, il note que « du point de vue des historiens qui voudront faire une recherche, les mots auront disparu ». C'est d'ailleurs ce qui a fait sourciller le député et ex-ministre conservateur Rob Nicholson. « Peut-être devrions-nous commencer à faire ça à la Chambre des communes. Si on n'aime pas le discours de quelqu'un, on pourrait demander qu'il soit effacé en entier », raille celui qui a siégé au Parlement de 1984 à 1993 puis de 2004 à aujourd'hui. « L'idée d'avoir un compte-rendu, c'est de savoir ce qui s'est passé. Que vous aimiez ça ou non, que ce soit approprié ou non, ça fait partie du compte-rendu. »


M. Cooper a perdu son siège au comité de la Justice, mais son chef Andrew Scheer a refusé de l'expulser du caucus comme le demandent les libéraux.




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