L’Île-du-Prince-Édouard flirtait avec le Parti vert depuis des mois, mais elle ne sera pas allée jusqu’au bout de son élan, mardi soir. Ses électeurs ont préféré confier le pouvoir au Parti conservateur, mais en élisant un fort contingent du Parti vert, qui détient du coup la balance du pouvoir dans un contexte de gouvernement minoritaire.
Justin Trudeau se retrouve donc face à un sixième premier ministre provincial d’allégeance conservatrice.
La plus petite province canadienne devait décider si elle reportait au pouvoir pour un quatrième mandat d’affilée les libéraux, maintenant dirigés par Wade MacLauchlan. Vingt-six circonscriptions étaient en jeu, le décès tragique d’un candidat vert vendredi ayant rendu nécessaire le report du vote dans la 27e circonscription que compte la province insulaire.
Les conservateurs de Dennis King ont récolté douze sièges (37 % des voix), soit deux de moins que les quatorze nécessaires pour former une majorité. Les verts de Peter Bevan-Baker sont arrivés en seconde place avec neuf élus (31 %) et les libéraux ont fermé la marche avec cinq sièges seulement (29 %). Leur chef, le premier ministre sortant MacLauchlan, n’a d’ailleurs pas été réélu dans sa circonscription.
Le nouveau premier ministre n’a pas beaucoup d’expérience politique. Cet ancien journaliste avait été directeur des communications sous le gouvernement de Pat Binns. M. King a été choisi chef de son parti en février à peine et est la sixième personne à occuper le poste de chef depuis 2010. Il a promis au cours de la soirée électorale qu’il se mettrait à l’apprentissage du français.
« C’est très important pour moi que tous se sentent accueillis par le gouvernement. C’est aussi le cas des francophones et je me suis engagé à améliorer mon français. Je ne parle pas français, mais je veux apprendre. Je veux travailler avec ma communauté. »
M. King a fait campagne pour la réduction des impôts des particuliers et des entreprises. Son plan pour la lutte contre les changements climatiques n’est pas très clair, mais il a indiqué qu’il n’avait pas l’intention d’emboîter le pas à ses homologues d’autres provinces dans leur contestation judiciaire de la taxe fédérale sur le carbone (taxe qui ne s’appliquera pas à l’Île-du-Prince-Édouard tant qu’elle maintiendra un plan de lutte contre le la pollution jugé suffisant par Ottawa).
Cette élection porte à dix-sept le nombre d’élus verts au Canada : trois en Colombie-Britannique, autant au Nouveau-Brunswick, un en Ontario et une au fédéral.
C’est la première fois que le Parti vert forme l’opposition officielle dans un parlement canadien, tous paliers de gouvernement confondus. Peter Bevan-Baker s’en réjouissait mardi soir.
« Manifestement, les choses changent et elles ne reviendront pas comme elles étaient, a-t-il dit au réseau CBC. Les jours du bipartisme sont terminés à l’Île-du-Prince-Édouard », a-t-il dit.
La province insulaire avait une stricte tradition d’alternance entre des gouvernements majoritaires libéraux et conservateurs.
Dans toute son histoire, elle n’avait élu qu’un seul député néodémocrate. Elle a élu son premier vert en 2015, puis son second à l’occasion d’une partielle en 2017. La province n’avait jamais été dirigée par un gouvernement minoritaire.
Un mode de scrutin rejeté
L’élection générale à l’Île-du-Prince-Édouard se doublait cette année d’un référendum pour décider si oui ou non la province devrait remplacer son mode de scrutin traditionnel par un système mixte avec compensation proportionnelle (le MMP, selon son acronyme anglophone). Ce système aurait débouché sur deux catégories de parlementaires : des députés élus selon la méthode traditionnelle dans des circonscriptions et des députés de compensation attribués de manière à faire correspondre le total d’élus de chaque parti à son pourcentage de vote obtenu à l’échelle provinciale.
Les insulaires ont rejeté le système, qui devait obtenir une majorité d’appuis dans au moins dix-sept circonscriptions (et ne l’avait obtenu que dans treize d’entre elles au moment où ces lignes étaient écrites).
C’était le troisième référendum de la province sur la réforme du mode de scrutin.
En 2005, l’Île avait opté pour le statu quo. En 2016, les électeurs avaient opté pour le MMP, mais au terme d’un scrutin préférentiel lors duquel ils avaient eu à numéroter de 1 à 5 les cinq options offertes. Le MMP l’avait remporté de justesse devant le statu quo après que les trois autres options de réformes eurent été écartées.
Le premier ministre MacLauchlan n’avait pas jugé le résultat assez convaincant pour l’appliquer. Le référendum de mardi devait servir à confirmer ou infirmer ce jugement.