Quotidiennement, des gens me disent : « vous, les journalistes... »
Je réponds que je ne suis pas un « vrai » journaliste. Je respecte trop ce métier pour l’usurper.
J’explique que mon vrai métier, c’est d’être prof à l’université, et que j’écris des chroniques parce que j’aime ça, parce qu’on me paye, et parce que ce n’est pas inutile sur le plan social.
Fléau
J’aime mon métier de prof d’université parce que j’aime les jeunes d’aujourd’hui. En eux, je revois mes aspirations de jadis, mes doutes, mes hésitations.
Sur certains sujets, j’apprends d’eux, plutôt que le contraire.
J’aime aussi mon métier de prof parce que nous sommes payés pour lire, écrire, parler et réfléchir.
Quand un de mes collègues se plaint, généralement un de ceux qui n’ont jamais connu d’autre milieu professionnel, je lui réponds sèchement qu’il devrait essayer l’usine... ou la politique.
Il découvrirait ce que sont vraiment la précarité, le stress et la critique incessante.
Le métier de prof – et cela vaut, je crois, pour tous les paliers – est cependant plus difficile que jadis.
Les causes sont multiples, mais l’une d’entre elles est effectivement le nombre affolant d’heures que nos jeunes passent devant un écran : sept à huit heures par jour en moyenne.
Stimulés en permanence, habitués à la lecture cursive de textes brefs, ils ont beaucoup de mal à se concentrer pendant de longues périodes.
Ils trouvent les livres trop longs, trop touffus, alors qu’on tend, à chaque réédition, à les raccourcir et à les simplifier.
Les spécialistes y voient maintenant, carrément, un problème de santé publique, une dépendance pure et simple, comme une « addiction », sans compter les dangers de traverser la rue sans lever le nez.
Dans mes cours, après avoir, pendant des années, joué la carte de la supplication gentille, je n’ai trouvé qu’un moyen pour régler le fléau des cellulaires en feu : l’expulsion immédiate.
Quand vous ne lisez pas platement vos notes de cours, vous essaierez de ne pas perdre le fil de votre pensée quand cela sonne à tout bout de champ.
J’ai mis une petite dose d’humour pour faire passer la pilule.
J’ai, dans ma poche de veston, un carton rouge, identique à celui des arbitres de soccer.
Si un téléphone sonne, je sors le carton, et le fautif quitte le cours, comme au soccer.
La différence est que je n’ai pas de carton jaune d’avertissement. C’est le rouge direct. Pas de blague.
Expulsé. Gentiment, sans crise de nerfs de ma part, mais expulsé tout de même.
Force
Systématiquement, à chaque cours, je commence en rappelant la règle.
Mais à la pause, oh Bon Dieu, à la pause, ils se ruent pour prendre leurs messages « essentiels » : T’es où ? Tu fais quoi ? Dînes-tu à la cafétéria ?
Évidemment, s’ils « facebookent » sur leur portable en classe, je n’y peux rien.
Mais j’ai réglé le problème du cellulaire... par la force. Il a fallu en venir là.
Je répète : il a fallu en venir là.