Le Canada <i>made in Toronto</i>

L'idée fédérale

Denis Coderre vient de comprendre comment ça marche. Il lui a fallu du temps et il aura fallu que Toronto lui rentre l'ego dans la bande pour qu'il comprenne. La relation Canada-Québec était tout entière étalée au grand jour dans l'accrochage qui a eu lieu au coeur même du Parti libéral du Canada cette semaine. La succursale du Québec a pris son trou.
Ce n'est pas la première fois que ça se produit et ça ne sera pas la dernière. Quand j'entends Jean Charest affirmer que le Québec va parler haut et fort à la grande rencontre des pays sur l'environnement, qui aura lieu en décembre prochain, malgré le fait que le Canada lui ait bien fait comprendre qu'il n'allait parler que d'une seule voix canadienne, comme d'habitude, je pouffe de rire.
Je me souviens avoir assisté, comme ministre, à la rencontre internationale des femmes, à la mi-temps de la décennie des femmes décrétée par l'ONU, à Copenhague, et de m'être fait dire par le ministre canadien qu'il serait le seul à prendre la parole, malgré le fait que le Québec avait un bilan bien plus intéressant à présenter que le Canada dans le dossier des femmes. Niet. Pas question.
Le Canada a donc été le seul pays représenté, par un homme cette fois-là. Un homme qui n'avait pas grand-chose à dire, car le Canada n'a jamais été à l'avant-garde de l'émancipation des femmes. Tous les autres pays avaient donné la parole aux femmes. Pas le Canada. Le Québec a été muet. Je devrais plutôt dire muselé. Muselé par sa situation de province dans un pays qui considère le Québec comme un boulet.
Denis Coderre doit lire absolument le livre dont Chantal Hébert a recommandé la lecture dans une chronique du Devoir récemment->21971]. Le livre de l'économiste Brian Lee Crowley a pour titre [Fearful Symmetry: The Fall and Rise of Canada's Founding Values. Il n'a pas encore été traduit et c'est bien dommage, car s'il existait en français, il deviendrait le livre de chevet de tout Québécois qui se respecte.
Le message de M. Crowley n'est pas nouveau pour moi, car il y a trente ans que j'affirme ce qu'il vient de découvrir. Que le Québec, avec ses revendications, son originalité, son désir de liberté, sa créativité, sa langue et sa culture, empêche les Canadiens de se faire le pays qu'ils souhaitent: un pays conservateur dans ses valeurs, puritain dans sa morale, et fort sur le «law and order» qui lui sert de colonne vertébrale.
Je suis aussi de plus en plus convaincue que si les Québécois ne se décident pas bientôt à assumer leur pleine souveraineté, ils vont se faire «mettre à la porte» par le reste du Canada comme on chasse un grand enfant turbulent dont on ne veut plus à la maison. Tout le propos de M. Crowley va dans ce sens. Et son livre arrive à point pour conforter un bon nombre de Canadiens dans leur désir de dompter le Québec, de le faire taire et de se débarrasser de cette bande de petits fraudeurs en puissance qui ne sont pas très travailleurs et qui attendent la charité du reste du Canada. Bon débarras. C'est ce qu'ils vont dire.
Denis Coderre vient de se faire marcher sur les pieds par Toronto. Peut-être vient-il de prendre la vraie mesure de Michael Ignatieff en même temps. Peut-être vient-il de comprendre comment fonctionne la relation Canada-Québec quand il s'agit de déterminer qui aura le pouvoir. Dans ce qu'on appelle «l'union canadienne», il paraît évident que le pouvoir est toujours au même endroit. Toronto n'a jamais dit son dernier mot.
Denis Coderre et son entourage ont au moins eu la fierté de réagir. Ils ont manifesté leur mécontentement et souligné le mépris dont ils venaient d'être les victimes, ce qui est un geste courageux dans les circonstances. Le problème, c'est qu'ils vont probablement réintégrer leurs fonctions dès que la crise sera passée en s'imaginant qu'ils ont changé le monde par leur dénonciation. C'est peu probable qu'ils aient le courage d'aller au bout de leur raisonnement.
Aux prochaines élections, qu'elles arrivent la semaine prochaine ou plus tard, j'ai toujours l'intention de voter Bloc parce qu'il n'est pas question que j'appuie la grande soif de pouvoir de Toronto, ni un parti qui prend ses ordres de Toronto. Je ne partage pas l'opinion de ceux qui prêchent qu'il faut réintégrer les grands partis canadiens pour y avoir une voix. Je pense exactement le contraire. La seule voix que nous ayons, c'est quand nous parlons nous-mêmes. Notre parole confiée au Canada sur la scène internationale, c'est de la bouillie pour les chats.
Peut-être faudrait-il avoir le courage de se dire que le Canada ne nous aime pas, que nous sommes vraiment un boulet pour ces braves gens qui rêvent d'un beau grand pays très tranquille, pour ne pas dire «plate», et que nous ternissons l'image qu'ils veulent projeter d'eux-mêmes dans le monde. Cela nous aiderait peut-être à partir la tête haute plutôt que d'attendre le coup de pied au derrière final.


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