C'est connu, il n'y a pas trente-six moyens. Il faut couper. Couper dans le gras. Couper dans le vif. Couper ce qui dérange et qui empêche de dormir. Nous y sommes justement, ces jours-ci. Il faut couper parce que nous n'aimons pas ce que nous voyons quand nous regardons ce que nous avons été dans le rétroviseur de l'histoire.
Quand on vit assez longtemps, ce qui devient le plus fascinant c'est de constater à quel point le passé finit toujours par déranger et à quel point on finit fatalement par répéter les mêmes bêtises. La légende veut que Maurice Duplessis, dont certains voudraient bien faire un grand homme 50 ans après sa mort, ait souvent dit à des membres de son entourage: «Toé, tais-toé!». C'était sa façon assez directe de bien indiquer qu'il était le seul maître à bord et que l'opinion des autres le laissait complètement froid. «Toé, tais-toé!» aurait pu être sa devise personnelle, lui qui était convaincu que moins le peuple est instruit, mieux c'est.
J'ai reconnu Maurice Duplessis dans la réaction du ministre Sam Hamad contre la lecture du Manifeste du FLQ au cours du Moulin à paroles sur les plaines d'Abraham. Il aurait pu dire «Toé, tais-toé!» tant son désir de consommer l'histoire du Québec à la carte seulement était manifeste (Oh! pardon), était évident.
Je n'arrive pas à croire que le malaise qu'affichait M. Hamad quant au choix des textes et des lecteurs lui soit totalement personnel. Lui, qui ne dit jamais rien, n'aurait certainement pas déclenché ce branle-bas de combat sans l'accord de son patron, M. Jean Charest. Il était en représentation non officielle, mais les ordres venaient de haut.
Si bien que ce moment de prise de parole qui allait permettre une mise en perspective de certains moments historiques marquants de notre histoire est plutôt devenu une autre chicane qui a servi à mettre de l'huile sur le feu.
M. Hamad devrait savoir qu'il y a des indépendantistes au Québec. Ils forment entre 40 et 50 % de la population francophone depuis assez longtemps pour qu'on ne puisse pas ignorer leur présence. Ils forment un groupe de citoyens engagés pour qui l'histoire n'est pas un sujet banal qu'on peut arranger à la sauce du jour. Ils croient qu'un peuple doit savoir d'où il vient pour déterminer où il va, et qu'une soirée consacrée à l'histoire sur les Plaines, c'est plus qu'un gros party pour lâcher son fou et que ça ressemble davantage à un moment de recueillement pour donner à chacun ce qui lui appartient et remettre les héros, bons ou mauvais, dans la bonne case. En quoi cette démarche fait-elle tant peur?
Il sera tenté de me répondre qu'il y a des fédéralistes aussi. Sans aucun doute. C'est pourquoi les organisateurs ont choisi également des textes qui ne laissent aucun doute sur les convictions de ceux et celles qui les ont écrits. Et c'est bien qu'il en soit ainsi. Personne n'a demandé qu'on retire un texte de Pierre Elliott Trudeau ou de qui que ce soit d'autre. On ne peut pas réécrire l'histoire. Certains ont essayé dans le monde, mais l'histoire, telle qu'elle a été vécue, a toujours fini par triompher.
Au Québec, l'histoire a d'abord été un outil de religion. Et au moment où nous nous ouvrions au monde, on a pratiquement cessé d'enseigner l'histoire dans les écoles. Notre désir de savoir d'où nous venions, qui nous étions, a été réprimé par des gens qui ont cru qu'il valait mieux nous laisser dans l'ignorance plutôt que de risquer que nous nous mettions à avoir des idées qui nous mèneraient à vouloir devenir maîtres de notre destin.
Au Japon, les autorités ont décidé un jour de retirer des livres d'histoire toute allusion à la guerre que le Japon avait menée déjà contre la Chine, refusant ainsi de reconnaître les horreurs dont ils s'étaient rendus coupables et qu'ils préféraient oublier. Après des années de négociations, la Chine a finalement obtenu que cette guerre retrouve sa place dans les livres d'histoire japonais, que le Japon reconnaisse ses torts et qu'il présente des excuses officielles à la Chine.
L'histoire finit toujours par triompher. Non seulement parce qu'elle s'inscrit dans la mémoire des gens, mais parce qu'elle s'inscrit aussi sur leur peau, dans leur sang et que même gardée secrète pendant longtemps, elle finit toujours par reprendre ses droits.
Le Manifeste du FLQ, nous l'avons tous inscrit dans notre sang. C'est probablement un moment de notre histoire dont personne n'est fier. Mais il existe. Et il doit être transmis aux générations futures, ne serait-ce que pour éviter de refaire les mêmes bêtises.
Je propose que le Moulin à paroles ait lieu chaque année. Nous en avons bien besoin. Et puis plus jamais de: «Toé, tais-toé!»
Pour faire une histoire courte
Je propose que le Moulin à paroles ait lieu chaque année. Nous en avons bien besoin. Et puis plus jamais de: «Toé, tais-toé!»
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