Le Budget du Mandarin

Chronique d'André Savard


Jean Charest inscrivait le budget fédéral dans le plan général de sa campagne. Le budget fédéral devait arriver un semaine jour pour jour avant la tenue du scrutin. Comme on sait, pour Charest, l’idée de voir le Québec dépendre du Fédéral et de voir celui-ci s’ingérer dans la démocratie québécoise ne représentent pas un dilemme moral.
Mario Dumont n’avait pas non plus de scrupules. Il a carrément vu dans ce budget une voie facilitant son programme politique. Étant tous deux des dirigeants conservateurs, Dumont et Charest figurent sans problème dans les boudoirs de Harper. Charest et Dumont se présentent au poste de premier ministre du Québec mais on voit, en les regardant, deux têtes comme des rois de jeux de cartes : leur tête en bas et celle de Harper en haut.
Jean Charest prévoyait s’attribuer le mérite des compensations fédérales. Ce premier ministre voulait organiser sa dernière semaine de campagne électorale autour d’un budget qui n’est pas celui de son gouvernement. Et Dumont n’était pas en reste. Ce dernier a passé sa campagne à décliner la responsabilité de tracer un cadre financier tant que le budget fédéral ne serait pas déposé. Sans l’exposé officiel du budget du mandarin donc, Dumont craignait de rêver dans le vide.
Le résultat, nous le savons maintenant, c’est que, pour la prochaine année, les transferts fédéraux vont augmenter. Le Québec demeure tout aussi dépendant et le Canada tout aussi résolu à ne pas réviser ses mécanismes. Le gouvernement canadien n’a pas voulu transférer de champs fiscaux ni doter le Québec de pouvoirs de prélèvements supplémentaires car il ne peut tolérer de voir une province qui se gonfle d’importance. Le gouvernement canadien accepte cependant le fait qu’une province compte sur lui, surtout que l’appauvrissement du Québec a été progressif et provoqué par des structurations élaborées au fil des derniers siècles.
Un gouvernement national comme l’est le gouvernement canadien n’a pas à accepter d’être deuxième. Il n’a pas à accepter qu’un palier gouvernemental, que ce soit une municipalité ou province, l’empêche de réaliser son plein potentiel. Le gouvernement fédéral ne veut absolument pas que ses pouvoirs exercés sur le Québec soient affectés ou diminués. Cet objectif est sous-jacent à chacun de ses exercices budgétaires. Le gouvernement fédéral espère que l’équilibre fiscal sera établi pour permettre à la province du Québec d’assumer les responsabilités qui lui sont confiées. C’est ce que qui vient de se produire, une réussite ponctuelle et limitée.
Dans ce prétendu fédéralisme d’ouverture, le Québec demeure un comptoir de services. Son Assemblée nationale ressemble à un mirage, deux colonnes tronquées. Un budget global d’un Québec souverain aurait pu axer quelques priorités budgétaires autour du secteur manufacturier et de la relance de la moyenne entreprise. Le budget fédéral fait très peu en cette matière puisque le tissu social est sensiblement différent dans les provinces canadiennes. Le Québec devra réagir aux transferts financiers dans le cadre prescrit avec le plan, les cibles, les visions allouées à un palier gouvernemental secondaire. Le Québec n’est rien d’autre au Canada.
Jean Charest est content. Il va aux rencontres du Conseil de la Fédération. Les autres premiers ministres des provinces ne sont pas des chameaux dédaigneux. Ils les trouvent bien aimables même s’ils ont passé les deux dernières années à ne pas s’entendre. Jean Charest veut bien montrer d’ailleurs qu’il avait des amis haut placés. Michael Fortier, au sortir de l’Église Saint-Patrick, l’a assuré de façon bien paternaliste que « ça allait bien se passer ».
En conférence de presse, Jean Charest n’a pas hésité à recourir au méli-mélo pour marquer son contentement. Jean Charest a dit textuellement que le budget fédéral avait « rétabli le rapport de forces entre le Québec et le Canada ». De quoi parle-t-il? Jean Charest est le premier ministre du Québec qui défend becs et ongles les intérêts du Québec « sur la base des dix provinces ». L’expression revient sans arrêt dans sa bouche de zélote fédéraliste.
Le seul droit dont, comme Québécois, nous pouvons nous prévaloir, c’est celui d’être la province du Canada uni. Un vrai droit suppose la liberté. Charest parle de leadership du Québec mais tout ce qu’il dirige c’est sa soumission « à la base des dix ». Jean Charest se fait le porte-parole de la famille canadienne au lieu d’être le porte-parole du Québec comme Etat. Quand Jean Charest reçoit des compensations, il nous dit : « C’est la preuve que ça vaut la peine ».
Dumont ne vaut guère mieux. Si la position constitutionnelle de Dumont déclenche si peu de polémiques au Canada, c’est parce que sa position est un mélange de Disney et de science-fiction. Le Canada ne tolère pas les nouveaux arrangements constitutionnalisés. Stephen Harper que Dumont vénère n’y change rien et ne veut rien y changer.
Il en est ainsi depuis que le gouvernement canadien a mis dans le béton la limitation du Québec au rang de simple province soumise au consentement des dix. Et, incidemment, même ce rang dégringole. Avec l’admission des territoires, les prérogatives des juges et du Sénat, nul ne sait si le Québec n’est pas soumis à la règle des quinze ou seize ou dix-sept. Dumont paraît toutefois aussi content que Charest sous prétexte que « le Québec est reconnu comme nation ».
Dumont n’est pas intéressé à faire l’historique de la situation canadienne avec réalisme. Ses acolytes de l’Action Démocratique ont comme leur chef une façon aveugle de défendre un projet de Constitution québécoise. L’ancien président de l’Action Démocratique, Guy Laforest, voulait y enchâsser en préambule que le Québec est une société française au sein du Canada.
À quoi bon être une nation si on se déclare enchâssée, partie intégrante du Canada? Quelle est la différence entre une nation qui se qualifie elle-même de partie intégrante et une nation assimilée au Canada? À quoi bon être une nation qui n’affirme pas son attachement à sa souveraineté? À quoi bon former une nation qui s’écrase en sous-entendant, jusque dans le texte de sa Constitution, qu’elle est dénuée de ressort libre? Avec l’Action Démocratique, rien à craindre pour les fédéralistes. Les pouvoirs du Québec seront enclavés, dépendants du financement d’un autre gouvernement national. L’autonomie de Dumont, c’est l’autonomie d’un chef de parti qui a mis le destin de sa nation dans l’ombre d’un gouvernement national qui appartient à une autre nation.
Le prétendu projet autonomiste de Dumont ouvre sur des slogans contradictoires, des enchevêtrements et pour seule possibilité, des parties d’échecs entre les provinces. Son unique impact est de pouvoir freiner le souverainisme comme force politique au Québec. Mario Dumont travaille pour son propre parti, pas pour la liberté du Québec. Dumont cache aux Québécois le fait que des formes d’action nouvelle pour la nation québécoise, il n’y en a pas au Canada.
Dumont veut que le Québec demeure à l’intérieur du Canada pour que lui fasse carrière. Avec Dumont, comme avec Charest, tout le monde fera semblant au Conseil de la Fédération qu’on est en train de discuter de résultats précieux, d’idées nouvelles, d’hypothétiques changements aux gouvernements provinciaux. Inutile de dire que Harper ne craint pas d’être dépeigné avec des individus de cette trempe.
Mario Dumont confond la droite et « abolitionnisme », « haine de la paperasserie ». Pour éliminer de la paperasserie il frappe à tort et à travers. L’Action Démocratique promet, par son abolition des commissions scolaires, une mesure si catastrophique que le Fédéral aura beau jeu de dire que le Québec assume fort mal ses compétences. Les fédéralistes se sentiront justifiés de répéter que le Québec ne mérite guère mieux que ce régime de tutelle.
Après l’abolition des commissions scolaires, il faudra bien que le ministère de l’éducation traite et administre directement dans chaque localité. On ne peut tout de même demander aux conseils municipaux de statuer sur la certification des maîtres, l’équivalence de crédits pour un étudiant qui a fait une partie de sa scolarité ailleurs, et tant d’autres sujets complexes. Il y a une myriade de problèmes auxquels s’adressent les Commissions scolaires avec leurs professionnels de l’éducation.
Si un élève est renvoyé d’une école, qui l’affectera à un nouvel établissement et gèrera l’encadrement pédagogique? Le directeur d’école qui l’a mis à la porte peut-être? Un conseiller municipal peut-être? Il y a bien d’autres questions. S’il y a des éducateurs spécialisés qui divisent leur temps entre plusieurs écoles, que fait-on si ces écoles se situent dans des municipalités différentes? Les municipalités auront-elles des relationnistes pour orchestrer tout cela? À moins que ce soit le charmant époux de la mairesse qui s’en occupe?
L’Action Démocratique rappelle certaines formations humoristiques, comme le défunt parti Rhinocéros, mais sans les aspects joyeux et le sens de la satire de ce dernier. Cela n’est pas pour indisposer Stephen Harper, habitué lui-même à composer dans ses rangs avec des huluberlus. Le premier ministre canadien suggérera à son vis-à-vis provincial de les inviter au silence afin de ne pas entacher la crédibilité de son gouvernement.
« Si Stephen Harper le fait, je peux le faire », pense probablement Dumont, bien décidé à imiter son grand modèle canadien. Dumont, comme premier ministre, devrait nommer une écrevisse, un mille-pattes et un hérisson dans son gouvernement. Ils ont le mérite de garder le silence et comme ils n’ont pas lu son programme, ils ne se mettront pas en tête de le réaliser. Dumont pourrait constituer alors, comme Charest le fit, un gouvernement qui monte dans les sondages dans la mesure où il ne fait rien et qu’il cesse d’empirer.
Charest avait fait imprimer d’avance des affiches en l’honneur du budget de son ami Harper. Dumont butine sur ses spéculations financières en disant qu’avoir attendu le budget fédéral est une preuve de rigueur. C’est effarant de voir quel genre de types peut donner une patrie sans gouvernement national.
André Savard


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2 commentaires

  • Jean Pierre Bouchard Répondre

    20 mars 2007

    J'envoi ici ce petit message élémentaire qui invite à la souveraineté, manière de rappeler que parfois moins sans doute que dans la cyber presse, Radio-Canada.ca dans ses forums se permet aussi de refuser, censurer certains messages. Après 12 heures et deux plaintes, le message a été rejeté comme ça. Ce n'est pas la première fois que cela arrive, le prétexte du soi disant non respect du sujet est bien pointu chez ces gens là. Je dois conclure que mon message s'est avéré trop juste pour ces domestiques des ondes fédérales.
    "Le discours du budget, généralement un exercice de propagande du gouvernement. Et les conservateurs y ont mis le paquet tout en essayant d'influencer le choix électoral des Québécois en retournant une partie de l'argent qui est le nôtre que J.Chrétien nous a coupés en terme de transferts fédéraux pour les provinces. Comment simplement dit M.Harper peut t'il faire du budget une commandite Canada en se servant du retour légitime de notre propre argent tiré des taxes et des impôts que nous payons.
    Un régime fédéral traite les gouvernements provinciaux comme des grosses municipalités, le Québec comme nation distincte empêtré dans cette dépendance administrative en sortira toujours humilié.
    Le Parti Québécois d'A.Boisclair est le seul parti qui peut mettre fin à cette aliénation doublée d'une pesante bureaucratie étalé sur deux niveaux de gouvernement".

  • Archives de Vigile Répondre

    20 mars 2007

    Merci pour cette analyse lucide de la situation. Bien raisonner, bien penser, bien dire, m'apporte toujours une grande joie. Je continuerai donc à espérer que le pays se fasse enfin. J'espère que le discours souverainiste d'ici la fin de cette campagne atteindra le niveau de qualité que nous offre votre discours d'aujourd'hui. Je n'ai pas fait que vous lire, j'ai eu l'impression forte de vous entendre.
    Continuer à nous éclairer, nous avons besoin de gens de votre calibre.