Dans sa requête déposée vendredi, le Barreau demande que l'entièreté des lois, règlements et décrets du Québec soient déclarés «nuls, inopérants et sans effet». Gros après-midi au bureau...
La traduction en anglais des lois québécoises comporte parfois des imprécisions. On se trouve avec deux versions contradictoires. C'est un réel problème. Mais pour le régler, le Barreau n'a rien trouvé de plus précis que l'arme nucléaire.
Pour défendre le français, le Barreau ne manifeste pourtant pas ce zèle. On ne l'a pas entendu dénoncer l'apparente violation de la loi 104, qui prévoit que Québec doit communiquer «uniquement» en français avec les personnes morales. Son bureau du syndic avait par contre sanctionné un avocat pour avoir déploré qu'une juge rédige un jugement unilingue en anglais même si tout le procès s'était déroulé en français.
Le Barreau répète que les délais étranglent le système de justice. Mais au lieu d'y consacrer toutes ses énergies, il menace d'engorger les travaux de l'Assemblée nationale, en exigeant que les projets de loi soient écrits en même temps en français et en anglais, du dépôt jusqu'à l'adoption.
Chaque amendement présenté par un député de l'opposition devrait ainsi être traduit par un juriste bilingue.
Quel serait le coût? L'impact sur les commissions parlementaires? Le Barreau n'offre pas de réponse précise. Arrangez-vous avec cela, c'est la Constitution qui l'exige!
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On ne veut pas caricaturer l'argumentaire du Barreau. Sur le plan juridique, il se défend.
La Constitution canadienne de 1867 prévoit qu'au Québec, les procès-verbaux, journaux et lois doivent être disponibles autant en français qu'en anglais. Que le français soit la seule langue officielle n'y change rien.
En 1979 puis en 1985, la Cour suprême a donné une interprétation exigeante de cet article. Il ne suffit pas d'adopter une loi en français puis de la traduire. En effet, les traducteurs ne sont pas des juristes ni des députés. L'utilisation « simultanée » des deux langues est donc requise pendant «tout le processus» législatif. Du dépôt à l'adoption, en passant par l'étude et les amendements.
Le Barreau assure que sa requête vise autant à protéger les francophones que les anglophones. Encore une fois, on comprend la logique. Si une loi peut être interprétée différemment en anglais et en français, cela signifie qu'il existe deux lois parallèles contradictoires. Les accusés ne savent alors plus laquelle respecter, et les juges ne savent plus laquelle appliquer. Notre collègue Hugo de Grandpré en donnait un bon exemple hier. Selon la loi en français, on ne peut utiliser un cellulaire en voiture avec ses mains. Mais la loi en anglais est plus stricte - elle interdit d'utiliser son appareil, même en fonction mains libres.
Le Barreau demande ainsi deux choses. À l'Assemblée nationale, de veiller au futur en changeant la façon d'étudier les prochaines lois. Et au gouvernement du Québec, de s'intéresser au passé en révisant toutes ses lois. Durant cet exercice, des mesures transitoires seraient proposées pour que les lois ne deviennent pas tout de suite «nulles et inopérantes». Ainsi, l'État de droit ne serait pas garroché d'un coup aux poubelles. On est soulagé de l'apprendre...
Voilà pour l'argumentaire juridique. Mais le Barreau refuse de reconnaître les efforts du Québec, qui a adopté en 2016 une loi corrigeant les imprécisions dans la version anglaise du Code civil. Et il refuse de s'intéresser aux réels problèmes occasionnés pour le travail parlementaire.
Quand il est question de l'anglais, par contre, il scrute chaque virgule de la Constitution. Pendant ce temps, que se passe-t-il avec les délais en justice? On aimerait que le Barreau prenne quelques secondes de son précieux temps pour y répondre, dans la langue de son choix.