Le 25 mai prochain les électeurs wallons sont invités à renouveler leur Parlement, le Parlement fédéral belge et le Parlement européen. Les mots « Parlement wallon » en ces quelques lignes demeurent étonnants. Qui aurait songé à ce qu’il y ait un « Parlement wallon », il n’y a encore que trente ans à peine ? Aussi bien, ce Parlement n’est pas issu de la démocratie représentative pure.
Le droit pour le Peuple wallon de disposer de lui-même
Le 13 janvier 1961, à Namur, 400 parlementaires, bourgmestres, conseillers provinciaux socialistes wallons (majoritaires en Wallonie à l’époque), adoptent une résolution où ils réclament pour la Wallonie « le droit de disposer d’elle-même et de choisir les voies de son expansion économique et sociale » [[Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne, FAR, EVO, IJD, Bruxelles-Namur, 1984, p. 176.]] Une grève générale déclenchée à la veille de Noël continue à mobiliser les travailleurs wallons tandis que la reprise du travail est générale en Flandre et à Bruxelles. Le leader de la grève André Renard, sent l’échec venir, car, même si la détermination en Wallonie demeure forte, on est au 26e jour d’une grève générale dans l’hiver glacial de 1960-1961 et depuis plusieurs jours il demande l’ouverture d’un second front, soit la démission de tous les parlementaires socialistes wallons.
La grève autonomiste de 1960-1961
Francis Biesmans, professeur à l’université de Nancy et président du Mouvement de gauche (petit parti proche des idées de Mélenchon), a montré que derrière cette revendication apparemment fédéraliste, André Renard et les leaders de la grève voulaient aller bien plus loin, puisque ce qu’ils proposaient comme objectifs de la grève n’était rien de moins que, dans le cadre wallon, la chose n’étant pas possible dans le cadre belge dominé par des partis politiques flamands plus centristes ou plus à droite, la nationalisation du crédit et de l’énergie par exemple, chose impossible à obtenir sans une sorte d’Etat [[De Marshall à Marshall et au-delà... dédié à Jacques Yerna, dans Politique, avril 2011, pp 34-38.]].
La démission des députés socialistes wallons en bloc, aurait créé une situation politique sans doute difficile à gérer par le gouvernement belge à large prédominance flamande et catholique [Il jeta en prison pour de longs mois plus de [2000 grévistes.]]. En effet, les travailleurs et leur organisation en Wallonie, mais aussi leurs représentants faisaient en quelque sorte sécession. Assez hypocritement, les parlementaires socialistes wallons avaient déclaré d’emblée, plusieurs jours avant le 13 janvier, qu’ils ne démissionneraient que si leurs partenaires flamands et bruxellois faisaient de même, chose peu vraisemblable. Ils ajoutaient qu’ils ne voulaient pas aggraver la division du pays. La grève prit fin le 23 janvier.
Une dynamique nationaliste wallonne aujourd’hui éteinte et pourtant fructueuse
Il en est sorti toute une dynamique « nationaliste wallonne ». C’est ainsi que s’exprimait alors Le Monde Diplomatique dans les mois qui suivirent cette grève qui avait fort impressionné en France, certes en mettant parfois des guillemets à nationalisme, guillemets qui allaient rapidement se transformer en éternelles parenthèses, ce journal n’ayant jamais ni d’aucune façon pris en compte le mouvement wallon pour la suite.
L’indifférence française généralisée à ce qui se allait se passer en Wallonie (ou plutôt en Belgique), est une donnée de fait, assez peu explicable mais lourde. Les syndicats français au début de la grève de 1960-1961 avaient exprimé leur enthousiasme vite refroidi dès que la grève prit ce tournant autonomiste où ils ne se retrouvaient pas. La grève générale de 1960-1961 est au départ des profondes réformes de l’Etat belge qui allaient suivre, à partir de 1970 et surtout 1980 avec le transfert, en plein accord avec les Flamands (et les Bruxellois avec un peu de retard), de ce que l’on peut chiffrer aujourd’hui à 70% des compétences étatiques.
C’est d’ailleurs le gouvernement fédéral de l’actuel Premier ministre socialiste wallon Elio Di Rupo qui a fait passer ces transferts de 50 à 70%, toujours sur la base d’un accord entre Flamands, Wallons et Bruxellois, mais sans doute contre une majorité de Flamands (le gouvernement Di Rupo n’a pas la majorité des sièges parlementaires en Flandre), parce qu’un certain nombre de Flamands et même peut-être une majorité veulent aller plus loin et, en tout particulier, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (NVA) qui dans les sondages précèdent de loin les autres partis flamands.
Les socialistes wallons se positionnent stérilement contre la NVA
Le jeudi avant les vacances de Pâques, le Premier ministre Di Rupo qui est demeuré en titre président du Parti socialiste wallon et bruxellois est apparu à la télé, la cocarde tricolore belge au revers du veston, en « rempart de l’unité belge » contre la NVA. La NVA veut aller plus loin que les 70% de compétences transférés (tout en gardant une série de compétences limités au niveau fédéral comme l’armée, les grandes questions de sécurité et le droit d’asile). Le Parlement fédéral serait ramené de 150 unités à 50 dont la moitié d’élus flamands et wallons. Le gouvernement belge ne serait plus qu’un gouvernement inter-régional sur le modèle du Conseil des ministres européens.
Deux choses frappent dans la position du Président du PS, Di Rupo. Compte tenu du fait que la NVA propose un partage de la dette publique belge et une cogestion de Bruxelles (dernière proposition que je trouve inacceptable), ce que propose ce parti, ce n’est, en somme, que d’aller plus loin que les 70%, chiffre tout de même élevé, par rapport à ce qu’étaient les compétences non fédérales en 1980 encore égales à zéro. Pourquoi dès lors parler d’une NVA voulant faire éclater le pays ? Les socialistes wallons —qui en 1961 ont parfois soutenu radicalement la grève autonomiste wallonne— font campagne pour l’unité belge. Soit. Mais quelle unité puisque l’Etat belge est déjà un Etat à trois compartiments (Bruxelles, Wallonie, Flandre), de plus en plus étanches ?
Une campagne électorale vaine
Il y a une troisième raison. Dans l’Etat fédéral belge, les électeurs votent somme toute par Région (Bruxelles, Flandre, Wallonie), et si le PS présente des listes en Wallonie et à Bruxelles (où il y a très peu de Flamands), il n’en présente pas en Flandre.
Dès lors pourquoi fait-il d’un parti flamand qu’il n’affronte pas sur le terrain et à qui il ne pourrait prendre aucune voix, son principal adversaire ? A mon sens parce que c’est rentable en termes de communication, que malgré les bouleversements étatiques profonds survenus en Belgique, en dépit du fait que l’Etat flamand aura au lendemain des élections un budget supérieur à celui de l’Etat fédéral (ce qui vaut aussi en proportion pour la Wallonie et Bruxelles), en Wallonie surtout, il se pourrait que la référence demeure belge pour un grand nombre de gens. Cette attitude (et des gens et du PS), est évidemment absurde. Mais il faut tenir compte aussi du fait que l’on va voter à l’Europe et que pour l’espace médiatique francophone deux élections dans les Régions vont compter, celles à Bruxelles (1 million d’habitants) et celles en Wallonie (3,5 millions d’habitants). Or, la RTBF a répété à plusieurs reprises que l’enjeu majeur des élections de mai prochain était Bruxelles [[Beaucoup de journaux télévisés ne parlent d’ailleurs absolument pas de la Wallonie, la seule chose qui lui soit souvent consacrée n'étant qu'une dernière séquence sur son folklore qui, il est vrai, est assez riche.]].
Comme, en plus, pour le PS (mais les autres partis francophones et wallons font de même), l’ « objectif » (si on peut appeler cela un « objectif »), est de « battre » (on ne sait comment !), la NVA, tout le reste sera passé sous silence, notamment les élections européennes (500 millions d’habitants), qui compteront encore moins que les élections en Wallonie, maigre consolation pour celle-ci, il est assez grave de devoir le faire remarquer même pour l’anti-européiste et le patriote wallon que je suis.
Des élections perdues d’avance pour tout le monde
Ces élections sont perdues d’avance. Il y a 13 ans selon les sondages belges qui mesurent plus la présence des femmes et hommes politiques dans les médias qu’autre chose, quatre personnalités étaient aux sommets de la « popularité » (mais à mon sens le sondage mesure autre chose) : Elio Di Rupo, Laurette Onkelinx, Didier Reynders et Joëlle Milquet. Ils la gardent aujourd’hui dans les sondages et certains auront ainsi mené leur carrière en politique de leur désignation à 30-40 ans comme ministres jusqu’à la retraite et même au-delà. C’est dire que les élections sont d’ores et déjà perdues pour la démocratie et qu’elles le seront aussi pour la Wallonie. Ce que je souhaite —car pour la première fois, je n’irai pas voter même si la loi m’y oblige dans le pays où je vis —, c’est que le Parlement européen ne fasse pas bouger plus de 20% d’électeurs sans pour autant espérer que l’Union européenne ne se remette en question, mais Rome ne s'est pas faite en un jour.
Il faut sortir des formes actuelles de la démocratie qui ne servent qu’à maintenir au pouvoir partout, les pires tendances politiques (la mise au pas des Parlements qui devront se soumettre en Europe aux exigences budgétaires de ce que l’on ose appeler l’ « Union ») et économiques (les politiques d’austérité qui ont multiplié par trois les revenus les plus élevés depuis trente ans selon Paul Krugman).
La maladie de la démocratie est si avancée que nous avons toujours un Québec qui n’est pas indépendant. Et en matière d’alternative à la démocratie représentative le gouvernement canadien a vraiment fait preuve de créativité en 1995 : accès à la citoyenneté canadienne artificiellement multipliés plusieurs fois, viol des lois québécoises sur les dépenses électorales sans compter tout ce qui justement ne sera pas vraiment compté.
Pour terminer, je voudrais me tourner à nouveau vers la proposition de « deuxième front » d’André Renard en 1961. La démocratie ne se réduit pas aux élections. Elle s’épanouit par les luttes. Dans la foulée de la grève du siècle encore, le mouvement wallon réclamait le référendum d’initiative populaire sachant bien que le fédéralisme était impossible à imposer par la voie parlementaire. S’il s’est imposé malgré tout, cela n’est pas venu de la démocratie représentative, mais d’autres formes de démocratie comme la grève générale. Le fédéralisme s’est imposé à la démocratie et non l’inverse. La grande candeur des Wallons qui s’opposent toujours à ce système fait peine à voir.
Il est vrai que cette démocratie est en train d’étouffer à nouveau tous les espaces publics en Union européenne. Le devoir de tous les démocrates est de refuser de s’y associer.
La Wallonie et les élections fédérales belges
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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