La visite de deux ministres haïtiens à Montréal, devenue le refuge de près de 2580 demandeurs d’asile de ce pays, crée de vives inquiétudes chez des avocats spécialisés en droit de l’immigration. L’accueil réservé à cette délégation contrevient selon eux à la protection des réfugiés, puisqu’ils seront en contact avec des représentants du pays qu’ils tentent de fuir.
Pour formuler une demande d’asile, les milliers de Haïtiens qui ont traversé la frontière dans les derniers jours ont déclaré craindre la « persécution » ou être en « danger » s’ils devaient repartir vers leur pays d’origine.
L’arrivée d’une délégation haïtienne dans la métropole pourrait selon des avocats faire basculer le processus de ces milliers de demandeurs d’asile, puisque le Canada a l’obligation de protéger leur identité et surtout de ne pas les mettre en contact avec les autorités de leur pays.
« C’est contradictoire et inquiétant de tolérer la présence de membres du gouvernement d’Haïti. Un dossier de demandeur d’asile, c’est confidentiel. Ces gens-là, pour obtenir leur statut, déclarent avoir peur dans leur pays, et là, on les place dans une situation délicate. On n’aurait jamais demandé au gouvernement syrien de venir au Canada lorsqu’on a reçu ses réfugiés », mentionne Me Marie-Andrée Fogg, avocate à l’aide juridique de Montréal et de Laval, spécialiste du droit à l’immigration.
Me Fogg s’inquiète des déclarations du ministre des Affaires étrangères d’Haïti, Antonio Rodrigue, et de la ministre des Haïtiens vivant à l’étranger, Stéphanie Rodrigue. Le drapeau d’Haïti accroché dans le hall d’honneur avec en fond musical de la musique créole, les deux membres du gouvernement haïtiens ont été accueillis par le maire de Montréal, Denis Coderre, à l’hôtel de ville.
Stéphanie Rodrigue, ministre des Haïtiens vivant à l’étranger
« On est venu apporter notre appui et notre solidarité […] On a été envoyés par le gouvernement d’Haïti pour pouvoir évaluer la situation, rencontrer les gens et apporter un soutien moral », a d’abord fait valoir le ministre Rodrigue.
Plus tôt, la ministre de l’Immigration du Québec, Kathleen Weil, a soutenu que les centres d’hébergement pour les demandeurs d’asile qui affluent à la frontière canado-américaine se désengorgeront sous peu.
Me Stéphane Handfield, également spécialisé en droit à l’immigration, s’explique mal l’arrivée de la délégation. « Dans les derniers jours, le maire Coderre répète vouloir être une ville refuge pour ces gens. En recevant ces ministres, il se contredit. On ne peut pas vouloir protéger des réfugiés et les mettre en contact avec les autorités du pays qu’ils fuient », souligne l’avocat.
Son inquiétude est d’autant plus vive que les deux ministres haïtiens n’ont pas caché être prêts à aller rencontrer les ressortissants, dont près d’un millier sont hébergés temporairement au Stade olympique de Montréal.
« S’ils veulent nous recevoir, nous allons passer les saluer », a confié M. Rodrigue.
Le ministre Rodrigue estime que ce sera aux agents du gouvernement canadien de juger si leur venue a un impact sur les demandes des migrants.
« S’il y a des gens qui ne seront pas acceptés [au Canada], Haïti les recevra avec ses moyens », a même souligné le ministre.
Le maire Coderre quant à lui ne s’est pas dit inquiet de recevoir les représentants d’Haïti, même si ceux-ci pourraient être mis en contact avec des demandeurs d’asile.
« La Commission du statut de réfugié est tenue par des règles très strictes. Chaque dossier est fait de façon individuelle. […] Si on a un problème avec l’identité [d’un demandeur] et que l’on a besoin de ses documents, on doit saluer que le gouvernement haïtien envoie une délégation pour aider à la sélection », a-t-il fait valoir, rappelant qu’il a déjà été ministre de l’Immigration lorsqu’il était député à Ottawa.
Selon M. Coderre, la délégation haïtienne « n’est pas ici pour faire des listes ».
« Ils sont ici pour offrir des services et surtout pour démontrer que, si des gens veulent revenir, ils peuvent aussi faciliter les choses », a-t-il fait valoir.
Le ministre Rodrigue a renchéri mardi en rappelant qu’Haïti n’est pas un pays en situation de guerre. Il a souligné que la stabilité du pays se résout depuis le séisme de 2010.
« Haïti, petit à petit, fait son chemin vers la stabilité et le renforcement de la démocratie et des institutions », a-t-il fait valoir.
Me Handfield voit dans ces dernières affirmations une tentative du gouvernement haïtien de venir dissuader les migrants à demander l’asile.
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