Il y a quarante ans, le 30 avril 1975, le drapeau du Vietcong, formé de deux bandes horizontales, l'une rouge et l'autre bleue, frappées d'une étoile jaune au centre, était hissé sur le palais présidentiel de Saigon, la capitale de ce qui était alors le Vietnam du Sud. Voici comment décrivait la scène le correspondant de guerre et écrivain français Jean Lartéguy:
«Des soldats, presque des adolescents, avec des casques faits de fibres végétales, vêtus de camisoles de couleur verte, chaussés de sandales fabriquées avec des pneus usés et armés de fusils d'assaut AK 47 de fabrication chinoise, sont entrés dans le Palais présidentiel dont les grilles avaient auparavant été jetées par terre par un tank. Sur le balcon, on a hissé le drapeau du Vietcong. C'était un samedi, le 30 avril, et il était midi quinze.»
Les plus vieux d'entre nous se souviennent des scènes apocalyptiques de militaires américains tentant de fuir en pleine débandade. Des hélicoptères Chinook, remplis de fonctionnaires de l'ambassade américaine, de membres de la CIA et de hauts gradés militaires, tentaient tant bien que mal de s'envoler. Mais des milliers de Vietnamiens, qui avaient collaboré avec l'occupant américain, avaient réussi à forcer les portes de l'ambassade, dont les principales installations avaient été détruites par les propres Marines, et à prendre d'assaut la piste d'atterrissage. Des centaines de personnes, des hommes, des femmes et des enfants, des fonctionnaires vietnamiens à qui on avait promis de les protéger et de leur faciliter l'installation aux États-Unis en cas de pépin, tentaient désespérément de s'accrocher aux patins des hélicoptères en marche tandis que des Marines les frappaient avec la crosse de leurs armes pour qu'ils se déprennent et les laissent enfin s'envoler. On ne sait plus combien ont perdu l'usage de leurs mains dans cette opération, ni combien sont morts. Il était huit heures du matin, ce même samedi. Et Thieu, le président fantoche du Sud-Vietnam, avait déjà fui le pays en compagnie de plusieurs de ses fonctionnaires comme l'avait fait, seize ans auparavant, un autre dictateur, Fulgencio Batista, à Cuba, mettant fin du même coup au régime de terreur, à la prostitution, au trafic de la drogue et au jeu.
Les plus vieux d'entre nous se souviennent aussi comment cette guerre a marqué notre époque et nos consciences. Un peu partout dans le monde, sont nées, dans les années soixante, des organisations contre cette guerre injuste qui ont favorisé autant de mouvements en faveur de la paix. Des centaines de milliers de travailleurs, d'étudiants, de syndicats, d'artistes et d'intellectuels sont descendus dans la rue, pendant toutes ces années, pour protester contre l'invasion américaine et les massacres que les États-Unis perpétraient au nom de la liberté et de la menace communiste. Entre 50 000 et 100 000 Américains déchirèrent leurs papiers militaires et traversèrent la frontière pour se réfugier chez nous. On les appelait les draft-dodgers, les déserteurs. «Peace and Love», chantait-on un peu partout. Et le Che lançait son fameux mot d'ordre: «Il faut créer deux, trois, de nombreux Vietnam!»
À partir de 1965, plus d'un demi-million de soldats américains participeront à cette sale guerre. Sans compter toutes ces forces spéciales chargées des sales besognes. Au moins 58 000 soldats américains ne sont jamais revenus chez eux et près de 300 000 soldats ont souffert de blessures diverses, physiques ou psychologiques. Du côté des Vietnamiens, ce sont plus d'un million de combattants et deux millions de civils qui ont péri sous les bombes, dont des bombes au napalm, et tous les jours, des gens continuent de mourir à cause de millions de mines anti-personnelles qui ont été larguées un peu partout sur le territoire vietnamien ou des séquelles de l'agent orange, un produit toxique lancé du haut des airs par les puissants bombardiers B-52.
Les guérilleros du Vietcong, qui avaient déjà défait les Français lors de la fameuse bataille de Dien Bien Phu, en 1954, venaient de remporter une bataille décisive en s'emparant de Saigon et des principales bases militaires américaines et sud-vietnamiennes. Les Américains subissaient, eux, leur pire défaite de leur histoire.
Les plus vieux se souviennent très certainement que ce jour-là, l'humanité a poussé un grand soupir de soulagement.
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